"Vous êtes minoritaires" "Non, c’est vous qui êtes minoritaires" Le duel surréaliste d’un gouvernement et d’un syndicat tous deux... ultra-minoritaires<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
"Vous êtes minoritaires" "Non, c’est vous qui êtes minoritaires" Le duel surréaliste d’un gouvernement et d’un syndicat tous deux... ultra-minoritaires
©Reuters

Rhétorico-laser

Au lendemain de Roland-Garros, la métaphore s’impose : les échanges entre le gouvernement et la CGT à propos du conflit en cours sur la loi El Khomri sont aussi virulents qu’entre Novak Djokovic et Andy Murray, le talent et le fair-play en moins. Et les deux camps d’utiliser la même arme rhétorique devant des Français de plus en plus perplexes : "vous êtes minoritaires !"

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Il faut dire que les uns et les autres peuvent puiser leurs arguments dans des sondages contradictoires, car eux aussi fondés sur des biais rhétoriques. Tout dépend de la question posée et de sa formulation. Si l’on demande aux Français s’ils pensent que « le gouvernement doit retirer la loi Travail pour empêcher le blocage du pays », on risque fort d’avoir une réponse positive. Mais il en est de même si on leur demande si « la CGT abuse de son droit de grève ». Toutefois une même question posée à trois semaines d’intervalle montre clairement que l’opinion a basculé, estimant désormais à 54% que le « mouvement social » n’est plus justifié (BVA, 2/3 juin).

Une certitude, en tout cas, demeure : les deux parties en conflit, gouvernement et CGT, sont toutes deux ultra-minoritaires dans l’opinion. Avec 14% d’intentions de vote, François Hollande crève tous les planchers d’impopularité et Manuel Valls est désormais pris dans la même spirale. Taxer,comme ce dernier l’a fait, la CGTd’« organisation minoritaire » a donc de quoi faire sourire de la part d’un gouvernement minoritaire au sein d’une gauche elle-même minoritaire ! Quant au « premier syndicat de France », avec moins de 3% des salariés comme adhérentset moins de 27% des voix aux élections professionnelles, il devrait être un peu plus modeste. Il est vrai qu’à ses yeux majorité veut dire majorité parmi les (peu nombreux) grévistes. Voilà pour la démocratie selon la CGT.

Pour ce qui est du droit, le débat est vite tranché : le parallèle préféré de la Confédération entre le « blocage du 49-3 » (par le gouvernement) et le blocage du pays (par elle-même) n’oublie qu’une détail, fort peu relevé il est vrai : les blocages syndicaux sont illégaux, le recours à l’article 49-3 est lui parfaitement légal ; comme son nom l’indique, il s’agit d’un article de la Constitution adoptée par référendum, donc par le peuple français. Ce que tout le monde semble avoir oublié.

De même que tout le monde semble refuser de tirer les conséquences de l’illégalité des pratiques cégétistes. A commencer par le gouvernement lui-même qui se « scandalise » de ces actes « inacceptables », « incompréhensibles », « intolérables » etc. : mais, en sa qualité de gardien de la loi, ne pourrait-il pas tout simplement engager des poursuites et, encore plus simplement, réquisitionner les agents publics ? Illégalité dénoncée, certes, par Pierre Gattaz dans ces mêmes colonnes. Mais alors, pourquoi le MEDEF ne porte-il pas plainte lui-même au lieu de transmettre la patate chaude aux entreprises soumises aux pressions et intimidations quotidiennes ? L’organisation patronale n’a-t-elle pas, comme on dit en droit, « intérêt et qualité à agir » ? Quant au patron de la SNCF, son appel à la « solidarité » avec la population est sincère et louable ; à ceci près qu’on ne demande pas aux cheminots de faire preuve de vertu mais de faire le travail pour lequel ils sont (bien) payés : assurer le service public. Il est vrai que le gouvernement vient de rappeler à Guillaume Pépy qu’il ne devait pas confondre la présidence de la SNCF avec sa direction effective…

La vraie raison de toutes ces confusions de mots et de rôles, comme la cause profonde de ces sondages contradictoires, est à chercher dans la tolérance séculaire de la majorité (silencieuse) des Français à l’égard de la violence sociale et de la casse. Surtout quand il s’agit de préserver des rentes pour lesquelles notre vieux peuple a toujours eu une grande tendresse.

Mais justement, il est bien possible que la direction de la CGT ait dépassé les limites autorisées et commence à réveiller des souvenirs dangereux pour sa propre survie, en se comportant comme l’aristocratie à la fin de l’Ancien régime : la défense bec et ongles de ses privilèges, quel qu’en soit le coût pour le peuple. La persistance de la grève à la SNCF en pleine inondation du Bassin parisien en est la preuve flagrante. A quand une déclaration de Philippe Martinez du genre : « ils n’ont plus de train ? Qu’ils prennent donc leur Porsche ! » ?

Une caste ultra-minoritaire à la fois en guerre ouverte avec le pouvoir mais lié, corps et âme, à lui ; un pouvoir lui-même perçu comme illégitime parce que non représentatif ; voilà en effet qui rappelle un précédent : la France en 1789.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !