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Comment les attentats de janvier et novembre 2015 ont restructuré l’opinion française
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Jérôme Fourquet - directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise à l'Ifop - et Alain Mergier - sémiologue & sociologue - reviennent sur les effets des attentats de novembre 2015 mais plus encore sur une année entière d’intense succession d’événements liés à Daesh, la guerre en Syrie et la crise des migrants.

Alain  Mergier

Alain Mergier

Alain Mergier est sociologue et sémiologue. Il est le co-fondateur et le dirigeant de l'Institut Wei.

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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L’analyse du traitement médiatique des événements de 2015 fait émerger une série "d’images-forces" et de concepts, à la dimension extrêmement anxiogène, qui façonnent les représentations collectives. Le terrorisme s’est incorporé au bruit de fond de la vie quotidienne et l’a bousculée en augmentant crescendo. 

Le ressenti de la menace terroriste par les Français varie entre 50 % et 60 % de septembre 2001 à septembre 2011. Quelques jours avant "Charlie", 80 % des Français, soit la proportion la plus élevée jamais enregistrée depuis 2001, jugent la menace terroriste forte. A la suite des attentats du 13 novembre, 98 % des personnes interviewées font le même diagnostic. Ce qui change également à partir de novembre 2015, c’est le sentiment de vivre dans un pays en guerre. Le ton belliciste est de plus en plus employé dans les médias. En parallèle, le virage sécuritaire pris par le gouvernement rencontre une très forte adhésion : selon un sondage Ifop réalisé par Internet du 18 au 20 novembre, plus de 90 % des personnes interrogées se disent favorables à la déchéance de nationalité pour les binationaux en cas d’actes terroristes. 

Au gré des perquisitions administratives sur tout le territoire, de la région parisienne au Puy-de-Dôme, de la région lyonnaise à la Manche et des impressionnantes interventions de la police, qui laissent préjuger de la présence de candidats au Djihad dans des territoires insoupçonnés, le sentiment d’une menace omniprésente s’est renforcé.

L’inquiétude se nourrit également des infiltrations, supposées ou vérifiées, d’individus radicalisés dans des centrales nucléaires, à la RATP ou au sein d’ADP. Au discours sur la propagation du fondamentalisme islamique à toutes les sphères de la société, y compris dans l’entreprise, répond l’attachement à la laïcité qui s’affirme et se durcit : 84 % des Français estiment qu’elle est un élément important pour l’identité de la France et 81 % – contre 58 % en 2005 – d’entre eux jugent qu’elle est menacée. 

De multiples fissures apparaissent dans le "rempart républicain". Le score de 28,4 % du Front national au premier tour des élections régionales en témoigne et dénote une inflexion du vote vers l’extrême droite, notamment au sein de l’électorat catholique ; les violences contre les musulmans de décembre 2015 à Ajaccio et la recrudescence des actes antimusulmans constituent d’autres signes de ce durcissement.

Pourtant le "rempart" à la dérive frontiste persiste. L’amalgame est réprouvé par 67 % des Français et le Front national a été largement battu au deuxième tour des élections régionales grâce au front républicain. Par ailleurs, contrairement à l’attaque de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher qui n’avait pas permis à tout le monde de s’identifier aux victimes, les attentats du 13 novembre ont renforcé l’attachement à la France de la population issue de l’immigration : les parquets, qui avaient été submergés en janvier par les infractions d’apologie du terrorisme, n’ont eu affaire qu’à quelques cas isolés à la suite du 13 novembre et le Conseil français du culte musulman (CFCM) a adopté, à l’unanimité, le principe d’un prêche unitaire et national pour condamner l’idéologie djihadiste et rappeler l’attachement indéfectible des musulmans à la République le 20 novembre 2015.

Néanmoins, Daesh donne à voir à l’opinion française une nouvelle géographie de la violence, une confusion entre ici et là-bas. D’une part, Daesh mène en Syrie une guerre avec occupation de territoires. D’autre part, il mène en France un combat souterrain avec l’irruption de l’attentat-suicide, forme la plus inquiétante du terrorisme contre laquelle il est difficile de lutter et qui montre la détermination sans faille de nos adversaires qui n’ont pas peur de mourir. Dans ce contexte, le discours du président de la République au Congrès de Versailles qui marque l’entrée en guerre de la France, la poursuite des combats au Moyen-Orient, l’agression de centaines de femmes à Cologne dans la nuit du 31 décembre 2015, les informations sur le nombre de citoyens français partis combattre dans les rangs de Daesh sont à l’origine d’un trouble profond dans la société française. Ce trouble s’observe également parmi les cadres supérieurs et les diplômés, catégories réfractaires au vote FN. En un an, au terme de cette année terroriste, le rapport aux valeurs d’ouverture et de tolérance s’est donc modifié et la demande d’une réponse musclée à la menace terroriste se fait jour. Et si le rempart tient encore, il est bien possible que de nombreux principes soient davantage remis en cause si une troisième vague d’attentats venait frapper la France.

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