Contre-productif ? "Un forcené aux motivations floues et aux propos confus" : petite analyse de la "prudence" du discours médiatique sur l’attaque de Valence<!-- --> | Atlantico.fr
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La France sort juste d’une année d’actes de terrorisme multiples, dont les plus « réussis » ont tout de même fait 150 morts.
La France sort juste d’une année d’actes de terrorisme multiples, dont les plus « réussis » ont tout de même fait 150 morts.
©Reuters

Rhétorico-laser

Les commentaires suscités par l’attaque de militaires devant la mosquée de Valence ont de quoi laisser pantois. Ceux du Procureur d’abord, qui ne parle qu’au conditionnel.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Les commentaires suscités par l’attaque de militaires devant la mosquée de Valence ont de quoi laisser pantois. Ceux du Procureur d’abord, qui ne parle qu’au conditionnel (« l’homme aurait dit », « serait » etc.), minimise l’engagement idéologique de l’agresseur, (« musulman pratiquant mais non radical »), s’interroge sur son « équilibre psychique » et introduit une bien curieuse nuance (« d’origine tunisienne mais de nationalité française »). Pour finir par écarter la qualification de terrorisme et par inculper l’individu pour « tentative d’homicides sur dépositaires de l’autorité publique ». Mais, après tout, la prudence est une vertu de la justice, qui pourra par la suite, selon la progression de l’enquête, revoir sa copie et son incrimination… Les précédents ne manquent pas !

En est-il pour autant de même des médias qui, sauf erreur, n’ont pas pour mission première de relayer sans distance et sans question la parole officielle ? Et qui éventuellement pourrait pousser la réflexion un peu plus loin et tenter quelque mise en perspective ? La France sort juste d’une année d’actes de terrorisme multiples, dont les plus « réussis » ont tout de même fait 150 morts. Voilà qui devrait inciter à davantage d’effort éditorial. A moins que justement le traumatisme des derniers mois ne soit tel que nos grands médias, comme ils aiment tant l’être, se sentent investis d’une mission sacrée : ne pas en rajouter, quitte à passer aussi vite que possible sur tout signe de retour de la menace. De grâce, est-ce trop demander que de s’interroger, avant de pouvoir, espérons-le, tourner la page ?

Certes, l’on n’en est plus aux premiers commentaires de l’affaire Merah et encore de l’attentat contre Charlie, quand la « piste de l’extrême droite » était évoquée à titre d’ « hypothèse » : qui s’en souvient encore? Mais tout de même : la sobre qualification de l’agresseur pendant de longues heures (« l’homme »), avant de laisser place à celle, providentielle, de « forcené » qui induit l’explication exclusivement psychologique de l’attaque, voilà qui laisse un peu rêveur. Tout comme les propos soit disant « confus » dudit « forcené » qui a bel et bien déclaré (pourquoi donc le conditionnel repris en chœur par les médias pour des témoignages attestés ?) qu’ « Allah est grand ». Rien de moins confus. Etrange déni qui rappelle là encore Charlie lorsque l’on entendait en direct les cris des frères Kouachi, « Allah o Akbar », que les journalistes affirmaient « ne pas comprendre ». Tout comme ces motivations soit disant « floues »d’un agresseur qui voulait, selon ses propres dires, « tuer des militaires parce que les militaires tuent des gens et qu’il voulait être tué par eux». Or lorsque l’on sait (ce que personne ne rappelle) que Daech a justement incité ses partisans à tuer des Français partout et par tous les moyens possibles et qu’il préconise le martyr de ses « combattants », il y a là, semble-t-il comme un « faisceau d’indices »… qui pourrait, (eh oui !), faire penser à un acte terroriste.

Car, malgré ce que l’on entend de toutes parts, le fait, très probable à ce stade, que l’individu ait agi seul ne retire en rien la qualification de terroriste à son acte : l’article 421-1 du code pénal vise aussi bien « l'entreprise individuelle » que « collective » en la matière.

Ces questions légitimes, sauf coup de théâtre, ne seront donc pas posées. On ne peut évidemment qu’espérer que les réponses seront négatives. Mais ne pas les poser, contrairement à ce qu’espèrent les partisans de la « discrétion », est en fait totalement contre-productif. Voilà qui alimentera encore la défiance envers les médias et la théorie du « complot politico-médiatique » sur le thème dévastateur du « on nous cache les choses ! ». Et, plus grave encore, voilà qui nourrira la suspicion à l’égard des tous les Musulmans, faute de désigner précisément les seuls coupables.Il est frappant de constater dans cette affaire comme dans les autres, combien les voix musulmanes, du moins les plus éclairées,savent, elles, dénoncer clairement et condamner les fanatiques issus de leur communauté, tandis que nos commentateurs se perdent en circonvolutions rhétoriques par peur de la « stigmatisation ».

Etrange pays en vérité, où l’on cite Camus à tout bout de champ et sa célèbre mise en garde : « ne pas nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». Le message n’est visiblement pas encore reçu. 

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