"Etat d’urgence", ou comment François Hollande a réussi une magistrale manœuvre rhétorico-politique qui laisse l’opposition (presque) sans voix<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande devant le Congrès.
François Hollande devant le Congrès.
©Reuters

Rhétorico-laser

Faute d’être mémorable, le discours du président de la République au Congrès lundi 16 novembre dernier a été d'une redoutable efficacité politique. François Hollande a effet su capitaliser sur ses atouts initiaux.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Sans doute l’adresse de François Hollande au Congrès lundi dernier ne restera-t-elle pas dans les annales des grands discours de guerre, puisque "guerre" il y a. Elle a laissé sur leur faim tous ceux qui se rappellent Churchill ou de Gaulle en 1940. Images rares, argumentation (volontairement ?) confuse, élocution claire mais sans souffle. Quant au traitement - exclusivement juridico-militaire - du sujet, on aurait attendu plus de hauteur de vue et de pensée. Et quelques mots sur le problème majeur de la radicalisation…

Mais faute d’être mémorable, ce discours a répondu aux attentes immédiates des Français avec son dispositif sécuritaire. Et il a été politiquement d’une redoutable efficacité. D’abord parce que son contexte était porteur : solennité du cadre, fonction suprême de l’orateur qui peut compter sur le réflexe légitimiste de l’opinion dans un contexte de tragédie nationale. Laquelle, requérant naturellement "l’union" du même nom, rend délicate ipso facto toute velléité d’opposition.

Ce qui ne diminue en rien l’habileté tactique du Président, qui a admirablement su capitaliser sur ces atouts initiaux : recours au procédé désormais bien connu de la "triangulation" par la reprise de la thématique du camp adverse et proposition surprise d’une révision de la Constitution. Dans le premier cas, toute réaction négative de la droite sera interprétée comme de l’inconséquence : dans le deuxième, l’obligation d’un vote aux 3/5ème du Parlement la met "dans une seringue" : dire non, c’est se voir taxer de "trahir l’union nationale" ; dire oui,c’est apporter un soutien objectif au président et sa majorité.

Et ce qui devait se produire se produisit : cacophonie dès lundi entre les présidents des groupes LR et l’Assemblée et du Sénat ; chahut désastreux à l’Assemblée mardi ; chamailleries entre ténors ; voire regret gêné (ou intéressé?) d’Alain Juppé que l’on ait baissé les effectifs de la police et dela gendarmerie sous le quinquennat Sarkozy.

Et voilà le tour de force réussi ! C’est l’opposition qui est sur la défensive, accusée de l’impréparation du pays, soupçonnée de "calculs politiciens" et sommée de se justifier sur toutes les ondes !

Sa première et seule ligne de défense : "Que de temps perdu !" a été enfoncée en un clin d’oeil par un "mieux vaut tard que jamais !" repris en choeur par les médias. Seuls, dans la déconfiture d’une droite déconcertée, François Fillon et Bruno Le Maire ont su trouver des mots justes, des arguments pertinents… et des questions gênantes.

Impréparation il est vrai commune à une classe politique qui a remplacé la rhétorique, c’est-à-dire l’art de l’argumentation et de la formulation par la "com'", c’est-à-dire la posture et le parler pour ne rien dire. Or cette impréparation est désastreuse dans le contexte d’infériorité abyssale de l’opposition dans lesmédias audiovisuels, où la dissymétrie de traitement a été une fois de plus éclatante.

Curieusement, d’ailleurs comme après Charlie, aucun rappel n’a été fait des déclarations du PS et de François Hollande lui-même lors de l’affaire Merah. On n’aura pas la cruauté de les rappeler ici mais ce précédent devrait au moins inciter les nouveaux gardiens du temple de "l’unité nationale" à plus de mesure et de décence avant de morigéner les esprits sceptiques. Et que l’on n’allègue pas le contexte électoral de 2012 : les régionales ne sont-elles pas dans 15 jours ? François Hollande, lui, ne l’a pas oublié.

De même seuls les réseaux sociaux se sont mobilisés (victorieusement d’ailleurs) contre le tweet de Gaspard Gentzer, chef de la communication de l’Elysée sur les "73% de Français trouvant François Hollande à la hauteur" : pas "d’exploitation politique", avez-vous dit ?

De même encore, personne, sauf erreur, n’a daigné comparer les mesures prises depuis le 13 novembre avec les déclarations antérieures des principaux responsables de lamajorité, Premier ministre en tête, surces mêmes mesures. De la déchéance de la nationalité à l’assignement à résidence en passant par la lutte contre la propagande djihadiste, tout ce qui était, il y a 10 jours encore, réputé "impossible juridiquement", "irréaliste", "contraire à l’Etat de droit »est désormaisdevenu évidence première".

Tout se passe comme si un immense tour de passe-passe s’était opéré sous couvert d’un véritable "état d’urgence rhétorique" pour effacer le passé récent et esquiver les questions de fond. Comme celle-ci : la lutte contre le djihadisme nécessite-t-elle vraiment des innovations législatives et a fortiori une révision constitutionnelle ? Ou avant tout des ajustements réglementaires, dépendant donc du seul gouvernement, et l’application stricte des lois existantes, dépendant donc de la seule justice ? Car c’est là que le bât blesse : sur tous les sujets, des textes existent depuis des lustres mais sont très peu appliqués.

Même tour de passe-passe réalisé avec brio par le Président lui-même dans l’une des rares bonnes formules de son discours : "le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité". L’affaire est passée comme une lettre à la poste, malgré le sophisme complet qui la sous-tend : l’urgence sécuritaire auraitpu tout autant justifier la nécessité de faire des "sacrifices" ailleurs : langage churchillien qui certes ne peut être attendu de François Hollande ; mais pourquoi ne pas tout simplement exclure du calcul de notre déficit budgétaire les dépenses supplémentaires que la situation impose à la France, y compris le coût de ses interventions extérieures ?

Les règles de "l’unité nationale" doivent donc être clarifiées : elle ne saurait nullement consister en un béni-oui-oui et un effacement total de la mémoire, de l’équité et de nos engagements : François Hollande fait aussi de la politique : l’opposition a le droit d’en faire aussi.

Et les commentateurs devraient s’aviser que "l’état d’urgence" n’impose en rien l’urgence de ne plus penser.

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