Attentats : pourquoi j'assume, moi, d'être en colère<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme dont la compagne est morte au Bataclan refuse à ses assassins "le cadeau" de sa haine et de sa colère.
Un homme dont la compagne est morte au Bataclan refuse à ses assassins "le cadeau" de sa haine et de sa colère.
©Reuters

La vie en rouge

Un homme dont la compagne est morte au Bataclan refuse à ses assassins "le cadeau" de sa haine et de sa colère. Peut-on le faire à sa place ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Je suis sans doute un être humain de moins bonne qualité que lui, mais je ne suis pas spontanément en empathie avec l'homme dont la compagne est morte au Bataclan lorsqu'il assure, sur Facebook et sous un concert de louanges convenues (d'ailleurs souvent sincères, car qui ne souhaite pas devenir un meilleur être humain ?), qu'il n'a ni haine ni colère et qu'il continuera à jouer avec son petit garçon à l'heure du goûter en guise de pied de nez...

Il y a quelque chose comme de l'abdication fataliste qui ne me plaît pas derrière cette proclamation d'absence de colère. Comme l'idée qu'il est déjà passé à autre chose ; que nous devons déjà passer à autre chose ; qu'il s'agirait même la meilleure façon de rendre la monnaie de leur pièce aux assassins.

Je ne présume évidemment pas de ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui vient de traverser une épreuve pareille mais, au moins autant que ceux chez qui cette réaction trouve un écho positif, je suis capable de me projeter dans la situation. Et dans ma projection, je suis indiscutablement en colère. Désespéré, inconsolable, écœuré, anéanti, mais en colère.

On m'a fait remarquer, alors que je développais ce point de vue en privé, que je passais à côté de ce qui animait cet homme, que le deuil prenait tout un tas de formes différentes, que c'était sa manière à lui de réagir et que réduire son initiative à l'affichage d'une photo de chaton mièvre sur les réseaux sociaux en face d'une telle tragédie était ne pas comprendre qu'il exprimait, en réalité, force et dignité.

C'est possible. On l'a vu, je n'exclus pas d'être un être humain d'un calibre inférieur. La colère, après tout, ne sert à rien. Elle n'a pas de contenu pratique. Elle ne fait pas revenir les disparus. Elle n'émeut même pas le barbu sanctimonieux qui, de son QG de Racca, décide de qui doit mourir à Paris ou à Beyrouth. Au contraire.

Mais c'est une émotion humaine, primitive, légitime, que même Aristote approuve dans l’Éthique à Nicomaque (oui, voilà que je fais mon Enthoven, maintenant, mais il faut bien que je préempte l'accusation de faire mon Sloterdijk) : « L'homme (...) qui est en colère pour les choses qu'il faut et contre les personnes qui le méritent, et qui en outre l'est de la façon qui convient, au moment et aussi longtemps qu'il faut, un tel homme est l'objet de notre éloge ».

Moi, je suis en colère. Pour lui, pour elle et pour tous les autres. Même si ça ne sert à rien (et vous avez le droit d'être en colère après moi).

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