"Bourde chez Bourdin" : pourquoi l’ignorance et surtout la défense de Myriam EL Khomri sont vraiment inquiétantes<!-- --> | Atlantico.fr
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La ministre a commis non pas une erreur sur le CDD mais deux : le nombre de renouvellements possibles, mais aussi la durée maximale "jusqu’à 3 ans" a-t-elle dit, alors que la règle générale est de 18 mois.
La ministre a commis non pas une erreur sur le CDD mais deux : le nombre de renouvellements possibles, mais aussi la durée maximale "jusqu’à 3 ans" a-t-elle dit, alors que la règle générale est de 18 mois.
©Reuters

Rhétorico-laser

Le buzz autour de la bourde de Myriam El Khomri chez J.J. Bourdin continue : et il est légitime, mais pas forcément pour les raisons avancées par les uns ou par les autres… Car le problème est bien plus systémique que personnel.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Myriam El Khomri sur le CDD chez Jean-Jacques Bourdin a eu un retentissement (pardon, un "buzz" !) particulier, notamment sur les réseaux sociaux : l’humour consterné l’a disputé au tombereau d’insultes habituel d’auteurs protégés par un courageux anonymat. Invitée de RTL ce dimanche,  la ministre du Travail a tenté de rectifier le tir dans une prestation mieux préparée sur le fond et surtout sur la forme, mais où la patte des communicants gouvernementaux pesait toutefois lourdement sur la spontanéité des réponses.

Cette séquence agitée vaut-elle donc qu’on la prolonge ? Faut-il réinstruire le procès d’une jeune ministre prise de court par un intervieweur chevronné qui en a croqué de plus coriaces ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit et écrit, y compris dans ces colonnes ?

Eh bien pas tout à fait… Notamment sur le plan de la rhétorique utilisée par la ministre et par ses défenseurs : car ceux-ci ont été étonnamment nombreux, y compris dans les médias. D’abord, personne (sauf erreur) n’a relevé que la ministre a commis non pas une erreur sur le CDD mais deux : le nombre de renouvellements possibles, mais aussi la durée maximale "jusqu’à 3 ans" a-t-elle dit, alors que la règle générale est de 18 mois. Certes, personne ne lui a délivré un satisfecit pour son ignorance mais toute une panoplie d’outils a été déployée pour sauver le "soldat El Khomri".

Florilège : "une interview, ce n’est pas un quizz", "Bourdin a été brutal", "on ne demande pas à Myriam El Khomri de connaitre le code du travail par coeur" ; "et pourquoi pas le nom du vainqueur du tour de France en 1956 ?" ; "Benjamin Castaldi, lui, ne connaît pas le niveau du smic" ; et bien sûr, comme sur tout sujet dans le débat français, un providentiel "précédent Sarkozy", lequel en l’occurrence sécha en mars 2007 devant le même Bourdin sur la distinction entre sunnites et chiites. A quoi la ministre elle-même a rajouté sur RTL toute une série d’arguments… 

L’arsenal est impressionnant. Récapitulons : tout d’abord la minimisation  ("ma réponse était inexacte" à la place de "réponse fausse") ; la marginalisation (au-delà de cette histoire de CDD, ce qui compte c’est ma réforme du code du travail) ; la substitution (j’agis en politique, pas en experte) ; le déni factuel ( je ne suis pas une ministre hors sol ; je connais bien l’entreprise) ; la preuve par l’absurde : "si je me suis trompée, n’est-ce pas que le code du travail est trop complexe ?" ou "faut-il donc être médecin pour être ministre de la Santé ?". Enfin la prétérition (qui consiste à dire ce qu’on a affirmé ne pas vouloir dire) : je ne jouerai pas sur ma personne et mes origines mais "il y a un problème dans notre pays : le nom ou la couleur de la peau restent des marqueurs extrêmement importants".

Il se pourrait bien que le bilan final de la séquence au moins sur le plan média-politique soit paradoxal : cette ministre très peu connue est désormais sous les feux des projecteurs et bien des Français auront découvert son existence. De quoi réjouir ses communicants !

A moins que des questions têtues ne demeurent et n’assombrissent cette nouvelle notoriété :

1/ Peut-on réformer ce qu’on ignore ?

2/ Une question sur le CDD, qui représente 80% des embauches actuelles, ne relève pas d’un "quizz" pour une ministre du Travail mais d’une exigence journalistique légitime. Tout comme l’exercice du "droit de suite" par Jean-Jacques Bourdin même s’il est rare en France.

3/ L’argument du "ministre de la santé-médecin" est totalement spécieux : on ne demande pas à un ministre de la Santé de soigner, ni à un ministre du travail d’embaucher. On demande aux deux de créer les meilleures conditions possibles pour les acteurs de terrain : en l’occurrence les médecins et les employeurs ! Les ministres sont donc censés connaître l’organisation élémentaire de leur secteur de compétence.

4/ Si, comme le dit justement la ministre, le régime des CDD est trop complexe, quel beau sujet pour ladite réforme ! Or il n’en sera aucunement question dans sa loi…

5/ Ce qui est en cause ce n’est pas son ignorance du code du travail mais celle du monde du travail.

6/ Or, est-ce connaître le monde de l’entreprise que d’avoir travaillé pour son père (seul exemple donné par la ministre) et enchaîné ensuite depuis l’âge de 23 ans stages, contrats et mandats dans la mouvance du Parti socialiste ?

7/ Est-ce répondre à la seule question posée, celle de sa compétence, que d’invoquer ses origines et de protester de sa "francité" ?

8/ N’est-ce pas par ce genre d’argument victimaire et hors-sujet, nourrir soi-même la tentation de l’amalgame et desservir toutes les "femmes, jeunes et beurs", qui connaissent, elles, parfaitement les règles de renouvellement du CDD ?

Mais pour l’image personnelle de Myriam El Khomri, le plus grave est peut-être ailleurs. Cette jeune femme sympathique, spontanée et visiblement réformatrice était visiblement bridée par la langue de bois obligatoire. Sa remarque répétée sur "les mots interdits" aurait dû retenir l’attention autant que sa bévue sur le CDD. Malgré la pression de Jean-Jacques Bourdin, impossible de lui faire dire "assouplissement" ou "flexibilité". Malgré celle des animateurs de RTL, impossible de la faire s’interroger sur les tabous du code du travail. Et impossible de lui faire émettre un doute sur ces "syndicats représentatifs" qui ne représentent guère plus qu’eux-mêmes.

La personne, on le voit, n’est pas en cause ; c’est un système. Un système où tout, des nominations à la politique suivie, ne relève que de la communication et des considérations partisanes.

C’est bien pourquoi il est vain de demander la démission de Myriam El Khomri. Sans doute aurait-elle déjà eu lieu dans toute autre démocratie ; mais dans un pays où un ministre n’est jamais responsable de ses dires, mais aussi de son action (ou de son inaction !), la sanction serait inique. L’exemple vient de bien plus haut. Et pas seulement à gauche !

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