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3 millions de morts par an sur la planète à cause de la pollution de l'air : quid de la situation en France ?
©Reuters

Atlantico Green

D'après une récente étude la pollution de l'air tue davantage que le VIH et le paludisme réunis. Et la France a encore des progrès à faire en la matière.

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne

Jean-François Narbonne est l'un des experts de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, professeur de Toxicologie, expert pour l’affaire du Chlordécone.

Il est par ailleurs professeur à l'Université de Bordeaux 1 et docteur en nutrition.

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon une étude publiée dans la revue Nature (voir ici), plus de 3 millions de personnes par an sont tuées prématurément par la pollution de l'air extérieur. Pouvez-vous expliquer ces chiffres ?

Jean-François Narbonne : Pour ce qui concerne les chiffres il s'agit de surmortalité, c'est à dire que pour les personnes atteintes de maladies en particulier respiratoire ou cardiaques, l'exposition à la pollution atmosphériques aussi bien de l'air intérieur que de l'air extérieur aggrave leur maladie  et peut causer une mort prématurée. Ces chiffres avoisinant avaient d'ailleurs été publiés par l'OMS en 2014. Les données sont obtenues par application d’un modèle dit « global atmospheric chemistry » prenant en compte d’une part 7 catégories de contamination issues de zones rurales ou urbaines et d’autre part les données de mortalité globale (année de référence 2010).

La nature des contaminants varie évidemment avec les conditions locales climatiques, économiques, industrielles, habitations urbaines ou rurales et leurs effets varie avec la sensibilité des populations exposées (adultes, enfants, homme, femme, caucasiens, asiatiques, africains, jeunes vieux...). Cette pollution concerne la population générale mais aussi les populations de travailleurs exposés moins nombreuses mais plus exposées. Un autre élément important est que pour de nombreux pays ou zones dans le monde il n’existe aucune donnée fiable sur les pollutions atmosphériques. En 2002 quand j’avais participé dans le cadre de l’UNEP, à établir le premier état de pollution de la planète, nous avions été confronté à ce manque de données et nous avions pour les zones sans résultats, extrapolé les données obtenues dans des pays comparables. Les données sanitaires sont, elles, basées sur plusieurs études épidémiologiques de cohortes sur les mortalités prématurées pour de nombreuses maladies comme les AVC, les maladies pulmonaires aigues et à long terme (cancers pulmonaires) ou les maladies cardiaques.  Les modèles essayent donc de tenir compte de tous ces paramètres et donnent des fourchettes très variables. Il faut donc prendre les données chiffrées plus comme des indications que comme de vraies données de santé publique. D’ailleurs ces résultats ont été présentés et discutées au dernier congrès EUROTOX à Porto auquel je participais du 13 au 16 Septembre.

Stéphane GayetLe phénomène appelé pollution atmosphérique (l'atmosphère est la couche gazeuse entourant le globe terrestre) est la présence, au sein de l'air extérieur, d'un mélange de gaz nocifs et de particules délétères (délétère : nuisible à la santé ; c'est la composante non gazeuse de l'air : ces particules se trouvent en suspension plus ou moins durable, mais finissent tôt ou tard par sédimenter). Les gaz polluants sont nombreux : les plus nocifs d'entre eux pour la santé sont le monoxyde de carbone (CO), l’ozone (O3), le dioxyde d’azote (NO2) et le dioxyde de soufre (SO2). Les particules sont des éléments microscopiques, ayant un diamètre de l'ordre du micromètre (ou micron, égal à un millième de millimètre), solides ou liquides, et qui sont en suspension dans l’air. On les désigne en anglais par l'expression particulate matter (PM : matières particulaires). On distingue trois tailles de PM : les PM1, particules ultrafines dont le diamètre moyen est inférieur ou égal au micron ; les PM2,5, appelées particules fines, dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 2,5 microns ; les PM10, dont le diamètre moyen est inférieur ou égal à 10 microns. La durée de persistance dans l'air de ces particules varie de quelques jours pour les PM10 et les PM2,5, à quelques semaines pour les PM1. Cette pollution de l’air a donc des effets néfastes sur la santé humaine, même à des concentrations assez faibles. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dit qu'elle constitue un risque environnemental de premier plan pour la santé et considère qu'elle est en cause dans au moins deux millions de décès prématurés par an dans le Monde. Cette étude récente le revoit à la hausse, à plus de trois millions. On dispose aujourd'hui de suffisamment de travaux scientifiques pour affirmer cela. Cette pollution, d'une part favorise la survenue de certaines maladies, d'autre part aggrave des maladies déjà en cours. Il s'agit surtout du cancer du poumon (cancer bronchique), de maladies pulmonaires non cancéreuses (bronchite chronique, emphysème, asthme, dilatation des bronches) ainsi que de maladies cardiaques (angine de poitrine ou angor, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque) et vasculaires (athérome : formation de plaques qui durcissent et rétrécissent les artères avec de multiples conséquences). Lors des pics de pollution, il survient une augmentation significative du nombre d'hospitalisations pour affection cardiaque ou pulmonaire. Mais on a aussi montré une répercussion sur la grossesse avec un risque plus élevé de faible poids.

Toutes ces données sont donc effectivement bien alarmantes et à prendre très au sérieux.

Quelles sont les causes de cette pollution ? Certaines régions sont-elles plus touchées que d'autres ? Pourquoi ?

Jean-François Narbonne : Les résultats de l’étude de Nature montre comme déterminant dans les relations effets santé et pollution atmosphérique le rôle déterminant des particules inférieures à 2,5 µ (PM 2,5). Au niveau toxicologique il faut savoir que les petites particules  (inférieures à 10 µ mais surtout celles inférieures à 2,5 µ pénètrent profondément dans les poumons (comme les particules de combustion des cigarettes) et peuvent provoquer ou aggraver des lésions par leur action physiques (induction de processus d'inflammation) et par action chimique du fait de leur constitution ou des substances adsorbées à leur surface ou dans les pores). Ces particules viennent essentiellement des combustions (surtout particules carbonées, suies) de poussières (silice, bois, érosion du sol ou de matériaux comme la paille ou aliments du bétail), d'aérosols (kérosène, pesticides, solvants...) ou d'engrais (l'azote donne dans ce cas des NOX). On voit donc une multiplicité de sources de pollution qui varient fortement en fonction des zones géographiques. L’incinération de biomasse ou de combustibles fossiles produit énormément de particules de différentes tailles allant des suies aux PM 1et chargées en carbone. Ceci concerne donc surtout les pays dits émergents comme la Chine utilisant par exemple le charbon comme combustible majeur. Au contraire si ce genre de pollution a concerné l’Europe au XIX ème et au XXème siècle c’est aujourd’hui la pollution d’origine agricole  qui est globalement prédominante avec les traitements liés aux engrais et aux pesticides (en particulier les Nox).

Stéphane Gayet : Ces différents polluants de l'air extérieur sont essentiellement émis par les véhicules (automobiles, autobus, autocars, camions…), les engins de chantier, les établissementsindustriels, les équipements servant à la combustion (installations de chauffage et de cuisson : la part des appareils domestiques est importante) et les incendies dont les feux de forêt, qui sont fréquents dans certaines régions du globe. D'autres polluants comme l'ozone sont produits indirectement du fait de réactions chimiques. Le charbon est une source d'énergie fossile encore extrêmement utilisée, soit pour le chauffage au sein des foyers ou des collectivités, soit pour alimenter des centrales thermiques productrices d'électricité. Alors que la France a énormément réduit sa consommation de charbon – notamment en raison de difficultés d'approvisionnement -, d'autres pays industrialisés comme les États-Unis d'Amérique, la Chine et plus près de nous l'Allemagne continuent à utiliser largement ce minerai de très bon rendement énergétique, mais contribuant malheureusement et amplement à la pollution de l'air.

À côté de ces principaux polluants de l'air, d'autres sont moins concentrés, moins étudiés et médiatisés en tant que polluants atmosphériques. Il s'agit, en particulier, des pesticides, des dioxines et de l'ammoniac. Les effets des deux premiers groupes sont plus lents et plus mal connus que ceux des autres polluants classiques, vus plus haut (cancers autres que bronchiques, perturbations endocriniennes et immunitaires…). Le cas de l'ammoniac sera abordé plus loin.

La répartition géographique de la pollution atmosphérique est très inégale.

À l'échelle planétaire, il existe un contraste saisissant entre, d'un côté, le sud-Est du continent asiatique et le sous-continent indien, et, de l'autre, le continent africain. D'un côté, on trouve une concentration de villes extrêmement polluées, de l'autre, de très vastes contrées qui semblent ne pas connaître la pollution de l'air.

Les explications en sont à la fois économiques et météorologiques. En effet, pour qu'il y ait une pollution importante de l'air, il faut d'une part, une intenseproduction de polluants, et d'autre part, une insuffisance d'épuration de l'air.

Quels sont les mécanismes naturels d'épuration de l'air ? Ils sont de deux ordres : les déplacements d'air et les précipitations ; mais bien sûr, ces dernières déplacent la pollution de l'air vers le sol et l'eau. La plupart des grandes villes sont situées dans une cuvette - qui est parfois en altitude -, car c'est là qu'il y a l'eau vitale (cours d'eau, nappes phréatiques). L'encaissement résultant favorise la rétention et la concentration de la pollution de l'air. Les déplacements d'air sont doubles : le vent, qui déplace la pollution d'une zone géographique vers une autre, et les mouvements d'air ascendants qui font remonter la pollution de l'air vers les couches supérieures. Ainsi, les contrées où il y a fréquemment du vent et celles qui sont souvent arrosées sont naturellement protégées de la pollution atmosphérique par rapport aux autres. C'est le cas de beaucoup de pays du continent africain. Quant aux mouvements d'air ascendants, ils sont générés par le gradient négatif de température du sol vers les couches d'air élevées (la nuit et tôt le matin, le sol, plus chaud que l'air du fait de son inertie thermique, génère un déplacement d'air ascendant, car l'air chaud s'élève (faible densité ; au contraire, dans la journée et le soir, du moins quand le soleil a assez chauffé, ce gradient s'inverse, ce qui maintient la pollution dans les basses couches d'air, c'est-à-dire celles où nous vivons et respirons). Tout ceci fluctue bien entendu selon les saisons et en fonction des variations météorologiques.

La Chine et l'Inde sont deux très vastes pays qui ont connu une croissance très rapide. Le cas du Pakistan est assez similaire. Ce développement économique accéléréne s'est pas accompagné d'une forte prise de conscience des pouvoirs publics, ni par voie de conséquence d'une maîtrise suffisante des sources de pollution qui se sont multipliées. Leur industrialisation rapide et l'essor considérable des entreprises et moyens de transport polluants ont eu pour conséquence notamment une pollution très élevée de l'air. Sont en cause une énorme consommation d'énergies fossiles et un investissement dérisoire dans les moyens de contrôle de la pollution. Tout cela dans un contexte de démographie galopante. La prise de conscience a commencé, mais elle est tardive, le mal est déjà avancé. Il faudra des années et des années pour combattre cette phénoménale pollution.

Sur le territoire français, la qualité de l'air est assez hétérogène. Elle dépend de la position géographique, du relief et bien sûr de la densité de population et de l'urbanisation. D'une façon schématique, on peut relever que certaines régions affichent souvent des niveaux de pollution atmosphérique élevés : c'est le cas du Nord-Pas de Calais, de la Picardie, de la Haute Normandie, de la Lorraine et de la région Rhône-Alpes. Au contraire, les régions qui apparaissent comme celles bénéficiant de la meilleure qualité d'air sont la Bretagne, le Limousin, la région Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon. Attention, cet aperçu est schématique et, au sein d'une même région, il est fréquent d'observer des disparités significatives entre deux départements.

Selon le professeur Jos Lelieveld, à l'Institut Max Planck de chimie en Allemagne, qui a dirigé la recherche, les émissions agricoles de l'ammoniac ont eu un impact "remarquable".  Un cinquième de tous les décès dans le monde résulte de ces émissions, qui proviennent principalement de bovins, poulets et des porcs et de la sur-utilisation d'engrais. Est-ce un vrai problème actuel ?

Jean-François Narbonne : Effectivement comme indiqué précédemment la pollution d’origine agricole donne une forte prédominance aux dérivés azotés. Par exemple nous avons tous les ans à Paris un pic de pollution au printemps par les NOx dû aux épandages d’engrais  dans les zones céréalières et betteravières qui entourent Paris et qui n’ont rien à voir avec la circulation automobile dans Paris (comme veulent nous le faire croire certains élus de la capitale partisans de la circulation alternée). Dans cette étude il donc est important de différencier les chiffres qui concernent la Chine et des pays comme l'Afrique ou l'Inde dont certains sont en situation de très forte pollution (celle qui nous avions dans les années 60 et 70) et la situation actuelle en Europe et en France où la pollution à fortement diminuée depuis les 30 glorieuses. Les normes sur les émissions ont fortement évoluées et on a assisté à une forte diminution de toutes les émissions concernant les industries,  la production d’énergie, les transports alors que la pollution particulaire liée aux activités agricoles ont moins diminué.  Les chiffres que nous avons pour la France montrent une diminution de 1990 à 2012 de -60% pour les PM 2,5 de 40% pour les NOx et de 73% pour les COV. Par exemple le transport routier à diminué les COV de 94% en 15 ans.

Si la publication de Nature montre une photographie instantanée il faut aussi voir les évolutions dans le temps en tenant compte d’une part de la lourde pollution des pays asiatiques qui aura du mal à être réduite rapidement et d’autre part des gains obtenus dans les pays occidentaux qui mettent en œuvre depuis plus de 50 ans une politique d'amélioration permanente des normes d'émission. Certains modèles montrent par exemple, qu'une réduction de 25% de la pollution atmosphérique augmente significativement l'espérance de vie.

Stéphane Gayet : L'ammoniac (NH3) est une combinaison d'azote et d'hydrogène. Il s'agit d'un gaz à odeur piquante. Il existe en fait sous deux formes : l'ammoniac au sens propre, et l'ammoniaque qui est une solution aqueuse d'ammoniac. Les composés azotés sont des substances qui comportent un ou plusieurs atomes d'azote (N), corps simple entrant dans la composition de 80 % de l'atmosphère (N2, gaz inodore) et des tissus vivants. L'azote des composés azotés est en permanence recyclé. C'est le cycle de l'azote : la circulation des composés azotés dans la nature, par l'intermédiaire des organismesvégétaux et animaux. Ainsi, la transformation des matières organiques du sol par des bactéries produit de l’ammoniac.

L'ammoniac est émis dans l'atmosphère sous différentes formes, et plus particulièrement sous la forme de nitrate d'ammonium (NH4-NO3, considéré comme "l'ammoniac de l'air"), qui est un polluant longtemps sous-estimé. En effet, plusieurs mesures - qui ont été réalisées notamment en France - ont relevé la forte proportion de nitrate d’ammonium dans la composition des matières particulaires (PM) polluantes de l'air extérieur. Cet ammoniac est produit à 97 % (selon le rapport français du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique ou CITEPA de 2010) par l’agriculture, faisant de ce secteur le principal levier de la réduction des émissions d'ammoniac en France. De fait, la France, avec 649 kilos tonnes d’ammoniac (NH3) émis dans l'air en 2010, est le premier émetteur d’ammoniac de l’Union européenne.

Au sein du secteur agricole, l’élevage est le principal contributeur et représente 77 % des émissions d’ammoniac agricole en 2010. Le principal contributeur de l’élevage est l’élevage bovin (67 % des émissions de l’élevage en 2010), suivi par les élevages avicole (15 %) et porcin (10 %). Les autres sources d'émission d'ammoniac (nitrite d'ammonium) dans l'air sont surtout constituées des épandages d'engrais azotés utilisés pour fertiliser les sols.

Cette pollution de l'air par de l'ammoniac (nitrite d'ammonium) est donc un vrai problème actuel de santé publique. Aussi, un ensemble de réglementations internationales a été mis en place depuis la fin des années 90 afin de diminuer les émissions d’ammoniac. En France, le Plan particules et le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques découlent de ces réglementations. Depuis plusieurs années, l’élevage agricole s’est engagé dans la réduction des émissions d’azote, dont l’ammoniac. Mais il faut reconnaître que l'ammoniac reste l'un des polluants de l'air les moins bien connus.

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