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Des millions d’utilisateurs de Facebook sont connectés à Internet sans le savoir.
Des millions d’utilisateurs de Facebook sont connectés à Internet sans le savoir.
©DR

Connecting People

L'explosion du réseau social notamment sur les terminaux mobiles change la conception d'Internet et transforme les usages traditionnels du Web. Si bon nombre de personnes à travers le monde n'ont pas la possibilité de surfer sur Internet, la connexion à Facebook par exemple est facilitée.

Josiane Jouët

Josiane Jouët

Josiane Jouët est professeur dans la pratiques des médias numériques, audiences et publics des médias, usages des réseaux numériques, méthodologie qualitative à l'université Panthéon-Assas-Paris II. Ses thèmes de recherche sont les usages des technologies de l'information et de la communication et les pratiques d'information, politisation et culture citoyenne.

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Boris Beaude

Boris Beaude

Boris Beaude est géographe. Il est chercheur au sein du laboratoire Chôros de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (Epfl) et Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris. Ses travaux portent sur la dimension spatiale de la télécommunication et plus généralement sur le contexte spatial de l'interaction sociale. Il s'intéresse aux moyens que les individus se donnent pour maîtriser l'espace et, en particulier, à Internet comme espace singulier de la coexistence.

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Atlantico : Dans certaines parties du monde, il est plus facile d'avoir un accès à l'application Facebook qu'à internet. On a donc constaté que certains utilisateurs du fameux réseau social déclarent ne "jamais utiliser internet" et donc n'associent pas le réseau internet et le réseau social. Quel enseignement retire-t-on de cette étude ?

Boris Beaude : Cette étude permet de rappeler que l’accès à Internet, pour une large partie de la population mondiale, demeure une question d’argent. Le coût de la connexion peut être important et dissuasif dans de nombreux pays. En l’occurrence, Facebook a des accords avec des opérateurs tels que Tigo ou Airtel, au Ghana, au Kenya ou en Tanzanie, afin de fournir un accès gratuit à Facebook, et quelques services, très peu nombreux. Cette situation prétendument vertueuse constitue l’une des plus importantes atteintes à la neutralité du Net. Si ces personnes distinguent Facebook et Internet, c’est tout simplement parce que leur expérience des deux est tout à fait différente. L’une est gratuite, l’autre payante.

Est-ce que cette position de monopole pourrait se révéler dangereuse si le propriétaire de Facebook commençait à asservir les utilisateurs ou les autres acteurs du réseau internet ?

Boris Beaude : Facebook est une entreprise côtée en bourse. Ses « propriétaires » sont en cela ses actionnaires, même si Zuckerberg a un rôle majeur dans les orientations de cette entreprise, en plus d’être l’un des principaux actionnaires. L’asservissement est déjà largement engagé. La majeure partie des utilisateurs de Facebook utilise ce service pour sa valeur sociale (le nombre de personnes qui s’y trouvent) et non pour sa qualité intrinsèque. Par exemple, Google+ n’est pas significativement moins bien conçu que Facebook. Si les concurrents de Facebook ne parviennent pas à émerger significativement, à l’exception de pratiques spécifiques (LinkedIn et Snapchat par exemple) ou d'aires culturelles très différentes (QZone et VK), c’est essentiellement lié à un effet de club (ou de réseau). La multiplication des réseaux sociaux ne présente effectivement aucun intérêt. Il ne doit théoriquement n’y en avoir qu’un. Facebook occupe ce rôle en Occident.  

Assiste-on désormais à un déclin de l'Internet traditionnel ?

Boris Beaude : Les fondements techniques d’Internet résistent relativement bien. C’est l’usage qui en est fait qui évolue vers des pratiques monopolistiques contraires aux principes d’ouverture et de décentralisation d’Internet. La connexité qui prévaut sur Internet est très différente de la contiguïté qui prévaut sur le territoire. Les centralités, sur Internet, n’ont potentiellement pas de limite ! Les monopoles y trouvent leur forme la plus épurée et la plus efficace.

Josiane Jouët : L'internet n'est pas encore menacé en tant que tel et il s'enrichit chaque jour de nouveaux services. Le problème est la croissance explosive des sites de réseaux sociaux qui est, pour les jeunes, leur première rencontre avec l'internet sans qu'ils sachent nécessairement que Facebook est un service du web. Or ces "digital natives" adoptent ce réseau social pour échanger avec leurs réseaux d'amis et Facebook devient rapidement leur source d'information dans tous les domaines, pour l'actualité, leurs hobbies etc..  C'est en quelque sorte leur portail. Sur ce réseau social, l'ouverture sur le monde est réduite à leur environnement personnel et leurs  propres centres d'intérêt. Nous sommes dans ce cas loin de l'internet conçu comme un espace de découverte de nouveaux territoires et loin de l'utopie qui a accompagné les débuts du réseau des réseaux.

Comment les entreprises qui vivent grâce à internet peuvent réagir pour attirer le jeune public en dehors de Facebook?

Josiane Jouët : De fait de nombreuses entreprises ont désormais leurs comptes Facebook. Pour attirer le jeune public vers d'autres usages de l'internet, il faut développer leur intérêt pour d'autres services de l'internet; c'est une question d'éducation au sens large du terme. Les jeunes qui ont d'autres centres d'intérêt que "leur Facebook", selon leur langage, explorent les multiples potentialités de l'internet. Nous retrouvons là, la question fondamentale des inégalités sociales et culturelles! 

Boris Beaude : En fait, le très jeune public n’est pas le plus concerné. C’est d’ailleurs le public qui contribue le plus au développement des concurrents de Facebook. Ce problème est en cela plus général. Parce qu’il ne peut y avoir qu’un Facebook, il ne doit y en avoir aucun. Tous les acteurs, publics, privés, associatifs, doivent se mobiliser et développer pour les réseaux sociaux un standard équivalent au Web, qui a maintenant plus de 20 ans, afin d’en finir avec la privatisation de notre vie privée, qui n’a finalement jamais été aussi publique. Cela peut prendre un peu de temps, mais c’est probablement inéluctable. Entre temps, Facebook étend son activité et son pouvoir dans des proportions tout à fait inédites, et inacceptables. Nous n’accepterions jamais cela pour l’ensemble des autres domaines d’activité. Pourquoi devrions-nous l’accepter pour nos relations sociales ?

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