Et si Cameron avait plutôt demandé si l’Écosse devait rester membre du Royaume-Uni… ou l’art de poser la bonne question <!-- --> | Atlantico.fr
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David Cameron aurait été mieux avisé de demander : "Voulez-vous que l'Ecosse continue de faire partie du Royaume-Uni ?"
David Cameron aurait été mieux avisé de demander : "Voulez-vous que l'Ecosse continue de faire partie du Royaume-Uni ?"
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"L’Écosse doit-elle devenir un pays indépendant?" : c’est la question à laquelle les Écossais vont répondre ce jeudi 18 septembre. Une question qui, dans la formulation, avantagerait plutôt les indépendantistes alors que David Cameron est fortement critiqué pour sa gestion politique du référendum qui risque de coûter cher au Royaume-Uni.

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à l’IEP de Grenoble, chercheur au laboratoire PACTE, directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, et auteur notamment de Comportements et attitudes politiques aux Presses universitaires Grenoble. Il a également dirigé l'ouvrage Les élections présidentielles sous la Ve République (Documentation française). 

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Atlantico : Plutôt que de choisir la formulation "l'Ecosse devrait-elle être un pays indépendant ?", le gouvernement britannique aurait-il été mieux avisé de demander "Voulez-vous que l'Ecosse continue de faire partie du Royaume-Uni ?", comme l'affirme Andrew Colman, professeur de psychologie à l'université de Leicester (voir ici) ?

Pierre Bréchon : Je ne vois pas de différence significative entre ces deux formules du point de vue de ceux qui sont amenés à choisir. Le choix exprimé au travers d’un referendum sur un sujet aussi important se fait après un débat démocratique dans le pays, où les arguments du pour et du contre ont largement pu être exprimés, sur une question qui s’inscrit dans une longue tradition historique, avec des acteurs depuis longtemps favorables à l'indépendance, et d'autres qui défendent l'unité avec Londres. Le débat sur les pouvoir attribués au pouvoir central de Londres est ancien, et a déjà été suivi d’évolutions au cours du temps, avec davantage de pouvoirs et d'autonomie donnés à l'Ecosse.

Sur ce front, donc, le citoyen écossais a une position structurée. Si on regarde les derniers sondages, on trouvera des hésitants, mais quoi qu’il en soit les termes sont connus de tous. Certains aspects sont techniques, les gens ne connaissent pas bien les conséquences exactes en termes de monnaie, de capacité à rester dans l'UE sans avoir à repasser par un processus d'adhésion. Il est difficile d'apporter des réponses à toutes ces questions, car ce cas est inédit. Mais ce qui est certains, c'est qu'en termes politiques les électeurs ont pu se faire leur opinion depuis un certain temps, en fonction d'une histoire qui n’est pas récente.

Hors contexte écossais, dans quelle mesure ce type de nuance dans le choix des mots peut-il influer sur la réponse donnée par les personnes interrogées ?

Un référendum est généralement organisé après une campagne électorale, qui permet aux citoyens de se mobiliser et de se faire une opinion. Sur les questions européennes par exemple, on voit que les opinions  évoluent tout au long de la campagne. En Ecosse le "non" l'emportait au début, et on a vu un glissement vers le "oui" s’opérer, jusqu’à donner ce dernier gagnant dans un ou deux sondages. Ce mouvement sur des questions européennes s'est vu plusieurs fois, notamment sur le traités constitutionnel de 2005, au Pays Bas et en Irlande (et aussi en 2008 pour cette dernière lors eu traité de Lisbonne). Les eurosceptiques en général se font entendre dans la campagne, et c'est donc sur des arguments politiques que cela se joue, et non sur la formulation de la question.

En revanche dans les sondages d'opinion, quand on pose des questions impromptues à des gens sans opinion structurée, on voit très bien que sur certains sujets, la formulation ne change pas grand-chose, mais que sur d'autres elle influe sensiblement sur la réponse donnée. Il est intéressant d’analyser dans ces expériences qui a été sensible à quel type de formulation. Cela permet de comprendre les logiques qui sont en jeu derrière la formulation et la réponse donnée. 

Dans le cadre des grandes consultations populaires comme les referendums, comment celui qui en est à l'origine doit-il procéder pour avoir le plus de chances d'obtenir une réponse favorable, ou à tout le moins pour ne pas désorienter les citoyens ?

C'est le pouvoir exécutif qui détermine la question. C'est un choix politique que d'organiser un référendum, et ce choix comprend la formulation. En France, en 1969, quand le général de Gaulle organise son dernier referendum, beaucoup auraient voulu que les deux questions posées le soient distinctement : l’une portait sur la réforme du Sénat, l’autre sur la régionalisation. Or de Gaule n’y voyait qu’une seule question : "me voulez-vous toujours au pouvoir" ? Des gens avaient envie de répondre "oui" à une question et "non" à l’autre, mais n'ont pas pu.

Dans certains cas le projet peut être très technique, comme à l’automne 1958, lors de l’adoption de constitution 5e République. Là aussi la formulation est simple, par contre pour répondre en conscience, il aurait fallu lire un texte très long. La même chose s’est produite en 2005 pour le traité constitutionnel européen. Dans les deux cas très peu de gens ont tout lu avant d'aller voter. Par conséquent le choix des individus se fait en fonction d'une posture politique globale, fondée sur les relais d’opinion qui ont leur préférence.

Dans l'édition du Grand soir 3 (voir ici), la question suivante a été posée aux internautes : "Le développement des vols low cost doit-il entraîner une modification des conditions de travail des pilotes ?", remportant une majorité de "non" (51,1%), le "oui" étant mis fortement en minorité (29%). En quoi était-elle biaisée ?

Rappelons que c'est une question posée dans le cadre d'une émission télévisée qui n'a rien de représentatif. C'est l'opinion d’internautes qui veulent bien s’en saisir. La propension à répondre à ce genre de question est variable selon les profils, leur politisation, leur éducation. La représentativité n’est pas du tout garantie.

Sur la formulation, force est de constater que c'est une question très compliquée. L'une des règles en matière de sondage consiste à construire des questions aussi simples que possible. Tout d’abord, il aurait fallu demander "doit-il ou ne doit-il pas". Ensuite, cela suppose de savoir en quoi consiste le développement des compagnies low cost ; la situation des pilotes est floue, et on ne sait pas si le salaire est concerné. La véritable question ne porte pas sur le low cost, mais sur le fait de savoir s’il est normal que la concurrence fasse baisser les niveaux de salaires.

Dans le cadre des sondages quelles sont les règles à respecter dans les questions, et les écueils à éviter ?

Il faut un discours simple, neutre, qui ne doit pas inciter à aller dans un sens ou dans l'autre. Aujourd’hui encore on voit des questions mal ficelées, mais globalement les instituts ont amélioré la formulation des questions, car à force elles ont bien vu ce qu'il fallait éviter. On a appris à être plus prudent et à mieux interpréter. Cependant sur les problèmes compliqués, il est difficile de faire des questions simples. La limite se trouve surtout sur les questions de politique étrangère, car le Français moyen connaît moins bien les enjeux que pour les questions de politique intérieure.

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