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Voici l'arme de la tuerie du Colorado... Et pourquoi elle pourrait bien rester légale
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Far West

Le massacre du Colorado relance le débat sur le port d'arme aux Etats-Unis. Mais la loi américaine sur le sujet ne devrait pas changer pour l'instant.

Le massacre du Colorado relance le débat sur le port d'arme aux Etats-Unis. Car la législation sur les armes reste très laxiste outre Atlantique, et ce malgré un nombre impressionnant de morts par balles par chaque année, qui s'élève à presque 30 000.

Un AR-15 : voila l'arme qui a tué 12 personnes vendredi dans la banlieue de Denver. C'est un fusil d'assaut semi-automatique d'une capacité de 100 balles, qui peut "transpercer deux personnes" à la fois, selon CNN. Et qui est légal aux États-Unis. Ironie du sort : cette arme aurait été bien plus difficile à se procurer il y a quelques années à peine, avant l'expiration, en 2004, du Federal Assault Weapons Ban (Traité fédéral sur les armes d’assaut).

Toujours selon CNN, le suspect aurait acheté 6000 balles sur Internet.

Le maire de New York Michael Bloomberg est un des plus fervents défenseurs de lois restrictives en matière de contrôle du port d'arme. Il a appelé les deux candidats à l'élection présidentielle à se saisir du sujet, lors d'une émission de radio.

"Vous savez, c'est bien joli les paroles de réconfort, mais peut-être qu'il est temps que les deux personnes qui veulent être président des Etats-Unis se lèvent et nous disent ce qu'ils comptent faire face à cela, parce que c'est manifestement un problème à travers le pays. Et tout le monde dit toujours "N'est-ce pas tragique ?", et l'on se demande si le type n'a pas voulu recréer une scène de Batman. Je veux dire, il y a tant de meurtres par arme à feu tous les jours, il faut que cela cesse. Et plutôt que de belles paroles sur leur désir de faire un monde meilleur, qu'il nous disent comment."

"C'est un vrai problème. Quel que soit votre avis sur le Second Amendement, votre avis sur les armes, nous avons le droit d'entendre de leur part des décisions concrètes, pas seulement des généralités - et plus spécifiquement ce qu'ils comptent faire à propos des armes"

"Je peux vous dire ce que nous faisons ici à New York. La législature de l'État de New York a passé les lois les plus dures contre les armes. Certains États pourraient ne pas être d'accord. Très bien mais que voulez-vous faire ? Peut-être que chaque gouverneur devrait se mobiliser. Mais en dernière instance, la responsabilité revient au leadership à un niveau national, c'est-à-dire à celui qui sera Président des Etats-Unis à partir du 1er janvier."

Il faut agir : c'est aussi l'avis de Simon Mann, ancien officier de la British Army. Cet expert en sécurité et mercenaire réagit dans un papier d'opinion pour le Sydney Morning Herald. Il estime que la tuerie d'Aurora a été rendue possible à cause de la législation américaine, et précisément d'une "disposition constitutionnelle archaïque du 18e".A l'époque, elle trouvait sa raison d'être, dans la protection des intérêts de la toute nouvelle République, contre les intérêt fédéraux qui voudraient la corrompre. Aujourd'hui, elle serait devenue nocive.

Mais il est fort probable que rien ne change, note le spécialiste, tant l'amour des armes est ancré aux Etats-Unis : "Hier, les partisans des armes développaient déjà l'argument selon lequel un spectateur dans la salle armé et vif d'esprit aurait pu arrêter l'assaillant et éviter de nombreux morts, ce qui a toujours été la justification centrale derrière les lois" 'conceal and carry'' (NDLR : les lois permissives) ".

Gabrielle Giffords, Columbine... les Etats-Unis ont la mémoire courte en matière de tragédies liées aux armes à feux, note le Huffington Post. Le sénateur John McCain avait pour sa part fait valoir le fait que les massacres existent aussi dans des pays ou les armes sont interdites, comme en Norvège. Le massacre commis par Anders Brevik était selon lui la preuve qu'une législation stricte pouvait toujours être contournée par un fou furieux.

Autre obstacle : le lobby des armes extrêmement puissant et très impliqué dans la campagne présidentielle, dont par exemple la célèbre National Rifle Association qui compte 4 millions de membres. Les candidats à l'élection présidentielle doivent éviter de fâcher ces associations, sous peine de subir le même sort que le candidat malheureux Al Gore en 2000, qui avait fait campagne pour une plus grande régulation du port d'arme.

Les opposants  au contrôle des armes font valoir un argument démagogique mais rhétorique très puissant, selon Kristen Rand, une responsable du Violence Policy Center, une association opposée à la prolifération des armes. Ils se plaisent à rappeler que "ce n'est pas le moment pour récupérer de tels évènements tragiques à des fins politiques", explique Rand : "Leur but est de retarder le problème, jusqu'à ce que la pression qui pèse sur les épaules des décideurs ne retombe, alors l'immédiateté retombe et chacun tourne son attention vers autre chose."

Atlantico a interrogé André Kaspi, agrégé d'histoire et spécialiste de l'histoire des États-Unis.

Atlantico : Les observateurs semblent assez pessimistes sur l'éventualité d'un changement législatif, pour limiter la prolifération des armes, tant les Américains sont attachés au second amendement. Pourquoi  est-ce si compliqué de modifier la loi ?

André Kaspi : Tout d'abord, ce ne serait pas exactement une loi, ce serait un amendement à la Constitution. Pour abroger le deuxième amendement, il faudrait toute une procédure extrêmement longue, et une majorité complexe dans les différents Etats. C'est donc difficile à obtenir.

De plus, il y a deux interprétations contradictoires sur cet amendement. La première consiste à dire que cet amendement à été adopté il y a maintenant 220 ans parce que les Pères de la Constitution voulaient que les Américains puissent se défendre contre un ennemi étranger, en constituant des milices qui disposeraient d'armes et assureraient la défense nationale. La deuxième interprétation est une extension, une extrapolation de la première : tous les Américains ont le droit de détenir des armes.

Il faut comprendre la position du maire de New-York : dans l'Etat de New York, le contrôle des armes à feu est beaucoup plus strict que dans les Etats de l'Ouest ou du sud. C'est un Régime de fédération et pas un régime de centralisation. La Constitution est une chose, et son application dans les différents états en est une autre.

Les lobbies favorables aux armes font-il davantage pression en cette période d'élection présidentielle ?

La National Rifle Association (NRA) est très puissante et très influente. Pendant longtemps, son président était Charlon Heston. Si on touche au deuxième amendement, il y aura une levée de boucliers de la part des lobbies. Pour ne rien arranger, nous sommes en période électorale, et il va de soi qu'aucun des candidats ne cherche à perdre des électeurs en faisant des propositions intempestives.

Mais les défenseurs des armes a feu expliquent que ce ne sont pas les armes qui sont dangereuses, c'est la manière dont on s'en sert. Au Colorado, même les étudiants ont le droit de porter des armes, car il y a eu des fusillades dans différents campus. On estime que le campus est un lieu dangereux, donc on autorise les armes. Mais, si les étudiants portent une arme, ils peuvent s'en servir à tort et à travers.

La grande question, c'est : jusqu'où va la liberté individuelle ? Est-ce que c'est de porter une arme et de s'en servir de manière judicieuse, ou faut il interdire carrément le port d'arme ? Il y a eu récemment un grave accident en Floride. Dans une "cité fermée", une résidence ultra-protégée réservée aux résidents, un habitant a remarqué la présence d'un jeune noir, et il a cru que l'intrus commettait des infractions. Le jeune noir a finalement été tué par balle. Pourquoi ? Parce qu'il existe en Floride une loi qui autorise à se servir de son arme en cas de danger. Et tout dépend de ce que l'on estime être un danger. C'est au citoyen de déterminer lui-même ce qui est dangereux, et quand il est opportun d'utiliser son arme. C'est une conception totalement différente de la notre.

Certains observateurs prétendent qu'Al Gore aurait perdu les élections de 2000 à cause de sa volonté de renforcer la législation en matière d'armes. Est-ce crédible ?

Oui, c'est en partie crédible. Mais il n'a pas perdu les élections par le nombre de suffrages : il les a perdues par la répartition entre les Etats, et par la décision de la Cour Suprême.

En 2008 par  exemple, au cours des primaires qui opposaient Barack Obama et Hillary Clinton, Obama avait fait un discours au mois d'avril en Pennsylvanie, dans lequel il disait "il y a trop de gens qui sont attachés à la défense des armes". Cela a fait très mauvais effet, et immédiatement Obama a rengainé son discours pour ne plus en parler.

Aujourd'hui, il y a sans doute 250 millions d'armes reparties aux Etats Unis. Cela ne veut pas dire que tous les Américains ont des armes mais que certains en ont plusieurs, comme c'était le cas de l'assassin du Colorado, qui disposait de 3 ou 4 armes et 6000 munitions. C'est une véritable montagne à déplacer. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse pas la déplacer un jour. Mais pas dans les circonstances actuelles. Surtout pas lorsqu'il y a un débat politique, et pas en période de campagne présidentielle.

La dernière loi fédérale concernant le contrôle des armes à feu date de 1994 : c'est la loi Brady. Brady était l'attaché de presse de Ronald Reagan, grièvement blessé lors de l'attentat contre Reagan en 1981. Il est resté sur une chaise roulante, et sa femme a fait campagne pour un contrôle des armes a feu, et quelques "mesurettes" ont été adoptées, mais on est lin du compte.

A quoi pourrait ressembler une nouvelle législation éventuelle ?

Si une loi passe, elle ne doit pas aller à l'encontre du deuxième amendement car la constitution l'emporte sur les lois. Elle doit pouvoir entrer dans les compétences du gouvernement fédéral. La loi peut concerner par exemple le commerce des armes, car le commerce entre les Etats est de la compétence fédérale. Il est possible par exemple d'interdire la vente d'armes par Internet. Internet passe par-dessus les frontières des Etats, donc c'est du domaine fédéral. Les citoyens pourraient acheter des armes, mais dans l'Etat dans lequel ils vivent. Au contraire, la vente a l'intérieur des Etats, et le port d'armes, cela concerne chacun des états.

Vous dites qu'un changement de législation devra attendre la fin de la campagne présidentielle. Mais d'ici là, le massacre du Colorado aura certainement été oublié, et ne pourra plus servir de prétexte. Ne sera-t-il pas trop tard, une fois l'émotion retombée ?

Des prétextes, il y en a eu plusieurs. Columbine, l'affaire de la Virginie… des fusillades de ce genre, malheureusement, sont régulières, et les prétextes ne manquent pas. Encore faut-il qu'il y ait une volonté politique, non seulement de la part du président, mais aussi d'une majorité au Congrès. Vous avez des élus de différents Etats, parmi lesquels des Etats partisans du maintien de la situation actuelle.

Mais on en parlait déjà après l'assassinat du président Kennedy en 1963, puis en 68 lorsque Martin Luther King a été assassiné. Deux mois plus tard, c'était au tour de Robert Kennedy…

Combien de massacres faudra-t-il avant que la législation évolue ?

Difficile à dire, il faudra attendre que les mentalités évoluent. Cela prend du temps, mais c'est possible. Prenons par exemple le mariage homosexuel. Il y a peu de temps encore, l'autoriser semblait inenvisageable. Mais Barack Obama l'a fait, parce que cela correspondait à son intérêt électoral : l'opinion était prête. Les politiciens ne sont pas fous, tout cela procède de calculs électoraux. Si une modification sensible se produit dans l'opinion, un changement pourrait se produire.

 Propos recueillis par Julie Mangematin

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