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Chlordécone : les Antilles empoisonnées pour des générations
©MYCHELE DANIAU / AFP

Scandale

Le Monde a publié ce mercredi 6 juin un article effarant sur l’utilisation massive de 1972 à 1993 dans les bananeraies, du chlordécone, un pesticide ultra-toxique. La quasi-totalité des Guadeloupéens et des Martiniquais sont aujourd’hui contaminés.

La menace est invisible, mais omniprésente : les sols sont contaminés pour des siècles par un pesticide ultra-toxique, le chlordécone, un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité) et classé cancérogène possible dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), selon l'article Planète publié par Le Monde ce mercredi 6 juin.

Cas unique au monde, le produit s’est répandu bien au-delà des bananeraies antillaises. Aujourd’hui encore, le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, distille son poison un peu partout. Pas seulement dans les sols, mais aussi dans les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines et la population Guadeloupéenne et Martiniquaise elle-même.

Un produit aspergé massivement pendant plus de vingt ans

En 1972 la commission des toxiques qui dépend du ministère de l’agriculture, accepte la demande d’homologation du chlordécone, considéré comme le remède miracle contre le charançon du bananier, un insecte qui détruisait les cultures. Les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique en sont aspergées massivement pendant plus de vingt ans pour préserver la filière, pilier de l’économie antillaise, avec 270 000 tonnes produites chaque année, dont 70 % partent pour la métropole.

La France interdit le produit en 1990, treize ans après les Etats-Unis mais il est toutefois autorisé aux Antilles jusqu’en septembre 1993 par deux dérogations successives, signées sous François Mitterrand par les ministres de l’agriculture de l’époque, Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson. Une décennie plus tard,  L’affaire du chlordécone surgit au début des années 2000 grâce à la mobilisation d’un ingénieur sanitaire, Eric Godard, de l’Agence régionale de santé (ARS) de Martinique. C’est lui qui donne un aperçu de l’ampleur des dégâts en révélant la contamination des eaux de consommation, des sols, du bétail et des végétaux. 

Une étude de Santé publique France, lancée pour la première fois à grande échelle en 2013 et dont les résultats, seront présentés aux Antillais en octobre, fait un constat alarmant : la quasi-totalité des Guadeloupéens (95 %) et des Martiniquais (92 %) sont contaminés au chlordécone. Leur niveau d’imprégnation est comparable : en moyenne 0,13 et 0,14 microgrammes par litre (µg/l) de sang, avec des taux grimpant jusqu’à 18,53 µg/l. Or, le chlordécone étant un perturbateur endocrinien, « même à très faible dose, il peut y avoir des effets sanitaires », a clarifié Sébastien Denys, directeur santé et environnement de l’agence, à nos confrères chez Le Monde.

La cartographie des zones polluées, restée confidentielle depuis sa réalisation en 2010, a enfin été rendue publique fin avril pour les deux îles. Un colloque public sur le chlordécone se tiendra également du 16 au 19 octobre en Guadeloupe et en Martinique. Une première.

"Les décisions prises à l'époque ont privilégié l'aspect économique (...) à la santé publique"

Selon Le Monde l'enjeu s'ouvrirait sur la crainte de l'Etat d’avoir un jour à indemniser les victimes. Mais l’histoire n’en est pas encore là. Pour l’heure, les autorités ne reconnaissent pas de lien "formel" entre le cancer de la prostate et l’exposition au chlordécone. 

Les conclusions des enquêteurs sont quant à elles sans ambiguïté : « Les décisions prises à l’époque ont privilégié l’aspect économique et social à l’aspect environnemental et à la santé publique », dans un contexte concurrentiel avec l’ouverture des marchés de l’Union européenne. La pollution des Antilles au chlordécone est ainsi "principalement la conséquence d’un usage autorisé pendant plus de vingt ans. Reste à savoir si, au vu des connaissances de l’époque, l’importance et la durée de la pollution étaient prévisibles".

Longtemps resté discret sur le sujet, Victorin Lurel, sénateur PS de la Guadeloupe, ancien directeur de la chambre d’agriculture du département et ancien ministre des outre-mer, dénonce un "scandale d’Etat". "Les lobbys des planteurs entraient sans passeport à l’Elysée, se souvient-il. Aujourd’hui, l’empoisonnement est là. Nous sommes tous d’une négligence coupable dans cette affaire."

Qui est responsable de cette situation ? La question est devenue lancinante aux Antilles. Des associations et la Confédération paysanne ont déposé une plainte contre X en 2006 pour "mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles".

Lu sur Le Monde

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