Quel impact pour la démocratie des matchs entre médias et politiques dans un climat de défiance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A l'occasion de son allocution de lundi au siège de l'UMP, Jean-François Copé s'est lancé dans une diatribe contre les médias, qui selon lui l'ont pris personnellement pour cible.
A l'occasion de son allocution de lundi au siège de l'UMP, Jean-François Copé s'est lancé dans une diatribe contre les médias, qui selon lui l'ont pris personnellement pour cible.
©Reuters

Copé contre le Point

La sortie Jean-François Copé contre les médias et l'agressivité dont ils feraient preuve à son égard pose une questions plus vaste : celle des relations entre journalistes et politiques, faites d'oppositions frontales et de connivences, au détriment de leur auditoire mécontent : les Français.

Atlantico : A l'occasion de son allocution de lundi au siège de l'UMP, Jean-François Copé s'est lancé dans une diatribe contre les médias, qui selon lui l'ont pris personnellement pour cible. Les élites politiques et les journalistes ont-ils d'une certaine manière eux-mêmes "organisé" cette opposition qui les anime ? Est-elle factice ?

Jean-François Kahn : Cette opposition est en partie factice, on peut même dire que c'est un classique. L'homme public éprouve une certaine difficulté à assumer le fait que, par définition, il est exposé au jugement du public, et que les médias, par définition, sont des médiateurs entre public et politiques.

J'avais d'ailleurs participé à une émission avec Jean-François Copé, organisée par Franz-Olivier Giesbert. Copé considère en quelque sorte que les journalistes, les enquêteurs, n'existent pas vraiment, et qu'il s'agit toujours d'une affaire d'homme à homme : l'homme politique contre l'homme à la tête du journal. De plus, en bon libéral, il voit tout dans une logique de marché : il me reprochait de critiquer Sarkozy sous prétexte que cela faisait vendre. Et c'est oublier que si le fait de critiquer Sarkozy ou Copé fait vendre, c'est que derrière, il y a un problème. J'ajoute que les mêmes politiques, qui ne supportent pas que l'on dise des choses désagréables sur leur compte, et qui disent, comme Copé, faire l'objet d'une fixation hostile, ont la mémoire courte : ils oublient les unes du Point contre Hollande et Ayrault, qui étaient assassines.

A partir du moment où l'on admet que les médias ont le droit d'attaquer les politiques, il faut admettre l'inverse. Autrement la partie n'est pas égale. J'ai moi-même pu faire des unes très agressives à l'endroit de Nicolas Sarkozy, les sarkozystes ont réagi violemment, ce que j'ai toujours trouvé logique. J'ai dégagé une règle, que j'ai qualifiée "des trois L" : je lèche, je lâche, je lynche. Les mêmes médias qui ont porté aux nues celui qui vient de gagner une élection, se retournent contre lui aussitôt qu'il s'affaiblit. La chose a été nette avec Dominique Strauss Kahn, ou Balladur, pour ne citer qu'eux. Mais certains ont systématiquement la faveur des médias, comme Daniel Cohn Bendit, qui pour eux n'a jamais tort sur rien. Pierre Moscovici, qui pourtant mène une politique d'échec, n'est jamais critiqué par la presse. Les Rocard, les Delors ont bénéficié d'une aura médiatique également. Mais à l'inverse, nombreux sont ceux qui pourraient objectivement se plaindre des médias. Ceux qui ont été objectivement trop attaqués, ce sont Chevènement, Chirac, Villepin, Bayrou, Boutin, Mélenchon aujourd'hui, Montebourg…

Mais tous les politiques ne sont pas concernés par ces assassinats en règle, et surtout pas Copé. Ce dernier, pour des raisons irrationnelles, est détesté dans l'opinion publique. Et il est le seul à droite à susciter un tel ressentiment. Les médias sont donc influencés par cette détestation publique, qu'on sent transpirer dans leurs colonnes. Mais on ne peut pas parler d'un désir de démolir Copé. L'information du Point n'est pas inventée de toutes pièces, c'est une rumeur très persistante parmi les députés de l'UMP, et notamment certains sarkozystes, qui est présentée de manière construite dans un journal.

Peter Gumbel : Sur le fond, Copé est en train de mener une démarche classique. De graves accusations sont formulées contre lui, il se défens en attaquant les journalistes sur le fait qu'ils ne joueraient pas le jeu, qu'ils seraient corrompus. Une telle tactique est universelle. Ceci dit, dans le cas de la France, les frontières entre les politiques et les médias sont plus floues qu'en Angleterre ou aux Etats-Unis. Les règles autour du "off" sont assez ambiguës, on ne sait jamais où placer le curseur de la confidentialité. La proximité entre les deux n'est pas très saine.

Les Français ont-ils quoi que ce soit à gagner de ces relations en apparence conflictuelles ? La démocratie s'en trouve-elle lésée, et les citoyens se sentent-ils toujours plus éloignés de leurs dirigeants, ainsi que des médias censés les informer ?

Jean-François Kahn : Mon ouvrage s'intitule "L'horreur des médias", on ne peut pas être plus net. Ceci dit, le problème des médias ne réside pas principalement dans une agressivité qui serait démesurément agressive ou destructrice à l'égard du monde politique. Mais le problème est aussi inverse : politiques et médias sont trop proches. Les journalistes qui dînent, passent des weekends, parlent "de tu à toi" avec les politiques... voilà un réel problème.

Les Français nourrissent un double rejet. Celui des médias, tout d'abord. Et ceux-ci ne peuvent pas faire comme si on ne pouvait pas entendre ces critiques. Ce repli des journalistes dans leur bulle, leur absence de remise en question, sont des choses effarantes. D'un autre côté les politiques peuvent difficilement formuler les critiques que je viens d'exprimer, car eux-mêmes sont l'objet d'un très fort rejet. On peut se demander si cela ne les rapproche de façon très ambiguë, et n'aggrave pas cette impression de connivence.

Peter Gumbel : L'information sur Copé rapportée par Le Point ne relève pas de la petite "pique", si elle est vérifiée, c'est tout de même grave. Les médias sont tout de même composés de personnes qui posent des questions directes et pertinentes : Jean-Jacques Bourdin par exemple. Ceci dit, les journalistes anglais et américains se sont beaucoup moqués de leurs confrères français lors de la conférence de presse de François Hollande en janvier. Alors que tout le monde voulait savoir quelle était la nature de sa relation avec Julie Gayet et Valérie Trierweiler, on l'a laissé parler pendant vingt minutes sur des sujets économiques assez flous. La première question sur ce point  a été très timide, ce qui a montré la différence d'approche entre les pays. En France on est plus réticent à aller à l'attaque en public. Cela se fait, mais moins que dans la presse anglo-saxonne.

Ce "match" entre politiques et médias, qui s'attaquent mutuellement, se retrouve-t-il ailleurs, ou s'agit-il d'une spécificité française ? Dans d'autres pays, les relations entre les deux sont-elles plus saines ?

Jean-François Kahn : La connivence est moins poussée dans certains pays. Les journalistes américains, sans forcément être des exemples, sont très étonnés des rapports entretenus entre les journalistes et les politiques français. Cela n'existe pas dans leur monde.

Peter Gumbel : Aux Etats-Unis, les politiques de droite attaquent en permanence les grands chefs de la presse écrite et télé. C'est d'ailleurs pour cela que Fox New a été créée : on voulait avoir une chaîne de télé plus partisane. On constate des excès, certes, comme avec les médias de Murdoch en Angleterre, mais le point de départ reste tout de même plus "adversériel" qu'en France. Aux Etats-Unis on est beaucoup plus soucieux d'avoir des relations très professionnelles et distanciées avec le pouvoir. L'équilibre est difficile à respecter, mais cette exigence est bien là. En France, Sarkozy tutoyait en permanence les journalistes, ce qui ajoutait à la confusion.

Qu'en est-il du "off" ? Cette pratique n'entretient-elle pas une ambigüité dans les relations entre politiques et médias ? De quelle nature cette ambiguïté est-elle ?

Jean-François Kahn : On pourrait admettre qu'il s'agit d'une confiance de personne à personne. Cela est tout à fait respectable. Mais dans la réalité, le contrat tacite n'est pas respecté : dans un premier temps le journaliste n'en parle pas, puis fait un livre sur la base du off. Parce que ça se vend mieux.

Peter Gumbel :Franz-Olivier Giesbert a publié dans un livre les "off" de Sarkozy. Ce qui revient à oublier le principe de base du "off" : ce que l'on dit est autorisé pour publication ou ne l'est pas. Aux Etats-Unis, si l'interview est en off et que la personne dit des choses vraiment injurieuses, on ne les rapporte pas, ou bien on les atténue. En France, on retrouve souvent les citations entre guillemets, anonyme certes, mais très méchantes. En "off", on est censé pouvoir exploiter l'information, mais pas les parties qui relèvent d'attaques personnelles. Depuis la guerre en Irak, les journalistes cherchent à minimiser le "off", à argumenter pour que finalement la confidence ne soit plus couverte systématiquement. En France, on constate une certaine "paresse", on accepte le "off" sans bien savoir comment on va l'utiliser après.

Dans le cas Copé, peut-on dire que le zèle déployé par le Point pour montrer le caractère suspect de certaines dépenses de l'UMP est sélectif ? D'autres sujets – le fonctionnement de l'Etat  notamment – ne mériteraient-ils pas d'être traités plus en profondeur, servant ainsi davantage l'intérêt collectif ?

Une presse vraiment libre ne serait-elle pas celle qui s'attaque à des problèmes plus fondamentaux que ceux du financement de meetings ? Cette liberté ne devrait-elle pas être mise à profit pour montrer des problèmes plus structurels au niveau de l'Etat ?

Jean-François Kahn : Jean-François Copé répond, de manière habile d'ailleurs, en pointant du doigt les revenus des journalistes et le manque de transparence dans leurs propres financements. Ce qui rejoint d'ailleurs le problème du soutient financier de la presse par l'Etat. Pour un libéral notamment, c'est un vrai problème. Le fait que l'Etat donne 15 millions d'un côté, 16 de l'autre, et 13 ailleurs, on ne voit pas bien au nom de quoi cela peut être défendu. Cette perfusion permet d'ailleurs aux médias de ne pas mener les réformes nécessaires. Les politiques devraient le dire à froid, mais s'ils le font, comme c'est le cas présentement, parce qu'un journal les met en cause, alors c'est lamentable.

La presse peut être critiquable soit parce qu'elle est trop hostile, soit parce qu'elle est trop favorable, et ce de manière systématique. Dans l'ensemble, un équilibre est respecté, mais comme je l'ai dit, il existe une liste de politiques qui ont été outrageusement attaqués, quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent. Mais Copé n'est pas dans cette liste, il ne peut sérieusement se prévaloir de telles agressions. Sans compter que l'information du Point est soit fausse, et alors le journal pourra être condamné pour calomnie, soit elle est vérifiée, et on ne peut lui reprocher d'avoir rapporté la vérité. Et cette information était déjà tenue pour vérifiée par nombre de politique du bord de Jean-François Copé.

Peter Gumbel : L'information sur Copé rapportée par Le Point est importante et pertinente. On sait qu'en France les problèmes liés aux financements sont "traditionnels" : Chirac, Giscard, Mitterrand…

Ce qui est intéressant, c'est le financement de la presse par le gouvernement. Les sommes sont importantes, et entretiennent une ambiguïté. Il faut savoir que même le Herald Tribune reçoit un financement indirect du gouvernement français. Où est l'indépendance ? La presse se garde de poser la question, car elle a bien besoin d'argent… Copé n'a donc pas totalement tort dans sa démarche.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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