Ukraine : jusqu'où est prêt à aller Vladimir Poutine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine
Vladimir Poutine
©Reuters

Invasion

Le Sénat russe a approuvé l'envoi de troupes en Ukraine, alors que Kiev accuse déjà Moscou d'avoir déployé plusieurs milliers d'hommes en Crimée. En réaction, l'Alliance atlantique a décidé de convoquer ce dimanche une réunion d'urgence des 28 ambassadeurs des pays membres de l'OTAN

A la surprise générale, la Chambre haute du parlement russe, le Conseil de la Fédération, a approuvé ce samedi le déploiement de forces armées dans la région ukrainienne de Crimée, en réponse à une demande du président Vladimir Poutine. Les élus ont voté à une très large majorité la décision de recourir aux "forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de l'Ukraine jusqu'à la normalisation de la situation socio-politique dans ce pays". En réaction, l'Alliance atlantique a décidé de convoquer ce dimanche une réunion d'urgence des 28 ambassadeurs des pays membres de l'OTAN, avant une Commission Otan-Ukraine prévue dans l'après-midi, a indiqué ce samedi son secrétaire général Anders Fogh Rasmussen. À la veille de la réunion d'urgence des ministres européens des Affaires étrangères à Bruxelles, le chef de la diplomatie grec, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE, est attendu ce dimanche à Kiev où il rencontrera les nouveaux dirigeants ukrainiens. Il sera accompagné par son homologue britannique William Hague.

La décision du Sénat russe intervient au lendemain d’une conférence de presse de Barack Obama, qui avait mis Moscou en garde sur les "coûts" de toute intervention militaire en Ukraine. De nombreuses réactions se sont succédé suite à ce vote. François Hollande a estimé que "tout doit être fait pour éviter une intervention extérieure". Le président de la République a ajouté qu'un recours à la force par la Russie ferait peser "des menaces réelles sur l'intégrité territoriale et la souveraineté" de l'Ukraine. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s'est lui dit "profondément inquiet". Il appelle au "calme et au dialogue", comme l'ensemble des dirigeants européens

Tout le monde est pris de court, tout le monde est en train d'improviser", résume François Heisbourg, expert à la Fondation française de recherche stratégique (FRS), interrogé par l'AFP.

Pour Andy Kuchins, directeur du Programme Russie/Eurasie au CSIS (Centre des études stratégiques internationales), "le problème est que M. Poutine peut agir beaucoup plus rapidement pour atteindre ses objectifs que Washington ou l'Europe. Et le problème pour nous est que nous ne savons pas jusqu'où il veut aller L'objectif auquel nous devrions penser très rapidement est d'empêcher un scénario similaire dans d'autres régions".

Pour Guillaume Lagane, interrogé par Atlantico, "la perte de l’Ukraine est un échec géopolitique majeur qui peut profondément heurter le pouvoir russe, c’est pour cela que l’on peut craindre sa réaction". Le président russe a en effet lutté contre les révolutions de couleur dans la région pour éviter un rapprochement des ex-pays du bloc soviétique avec l’Europe. Avec Ianoukovitch au pouvoir en Ukraine, il se profilait une entrée de l’Ukraine dans l’alliance eurasiatique voulue par Poutine, une zone commerciale regroupant des anciens pays de l’Union soviétique, dont le Kazakhstan et la Biélorussie ont accepté de faire partie.

En 2008, la Russie avait mené – déjà pendant la période des jeux olympiques – une guerre éclair de cinq jours sur la Georgie. Elle s’était soldée par la mise en place de deux Etats-fantoches pro-russes, l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, quadrillés par des milliers de soldats russes. Un tel scénario est-il envisageable aujourd’hui ?

"Encourager le sécessionnisme de l’est et du sud permettrait de briser l’Ukraine et de créer un nouveau conflit gelé, ce que les Russes ont déjà fait en Moldavie (avec la Transnistrie) ou en Géorgie", explique Guillaume Lagane. L’intérêt de ces conflits gelés : "ils affaiblissent les Etats de la zone d’intérêt privilégiée de Moscou et les empêche de se rapprocher de l’Union européenne". L’Union oblige en effet les candidats à l’adhésion à régler les problèmes susceptibles de dégénérer en conflits….

Vendredi, des sources diplomatiques européennes se voulaient néanmoins rassurantes, en estimant que Vladimir Poutine n'avait pas intérêt à trop faire monter la tension à trois mois du prochain sommet du G8 qu'il doit accueillir à Sotchi. "La tentation naturelle (des Occidentaux) est de donner le bénéfice du doute à Poutine. Personne n'a intérêt à voir la situation se dégrader dans la région", expliquait à nouveau François Heisbourg à l’AFP samedi.

Vladimir Poutine pourrait d’ailleurs n’être en train que de jouer avec les nerfs des occidentaux… Peu après le vote du Sénat, le Kremlin a annoncé que le président russe n'avait pris "aucune décision" et que l'armée pourrait ne pas intervenir immédiatement…

L'analyse de Laurent Vinatier, chercheur associé à l’institut Thomas More et consultant pour Emerging Actors Consulting, spécialiste de la Russie et de l’ex-Union soviétique.

chercheur associé à l’institut Thomas More et consultant pour Emerging Actors Consulting. Spécialiste de la Russie et de l’ex-Union soviétique
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Atlantico : La situation s’est encore tendue en Ukraine. Kiev a annoncé le rappel des réservistes ukrainiens et la fermeture de l'espace aérien et a accusé Moscou d’avoir « déclaré la guerre ». La situation aujourd’hui rappelle celle de la guerre éclair de Géorgie en 2008, qui s’est traduite par la création de deux Etats fantoches pro-russe : aujourd’hui, la perspective d’une invasion de la Crimée est-elle plausible ?

Laurent Vinatier : On est effectivement dans le même scénario que la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Moldavie avec Transnistrie… C’est une stratégie russe de reconquête d’un espace qu’elle considère comme le sien. Mais ce n’est pas une conquête militaire : en Ukraine actuelle, en Géorgie, en Moldavie, la Russie ne domine militairement, mais possède ces leviers, ces épines, qui lui permettent de conserver un droit de regard et d’influencer ces pays.
Puisque la Russie a « perdu » l’Ukraine – car il était plus facile de traiter avec Ianoukovtich – elle va faire comme en Géorgie dès le début des années 1990, comme en Azerbaïdjan, comme en Moldavie après la chute de l’URSS : diviser ces Etats pour garder sur eux une sorte de lien qu’ils peuvent tirer pour faire pression.

Vladimir Poutine ne s’est jamais caché d’être nostalgique de l’Union soviétique. Est-ce que ça explique la situation d’aujourd’hui, ou est-ce que c’est plus une réaction émotionnelle suite au camouflet subit par le départ de Ianoukovitch ?

Je ne crois pas que sa nostalgie de l’URSS détermine les choix politiques actuels de Poutine. Par contre, il est très important en politique mondiale de ne pas perdre la face, et il est flagrant qu’après le départ de Ianoukovitch, que la Russie et Poutine ont perdu la face. Il y a de ça, sans doute, ainsi que la stratégie post-impériale de la Russie pour garder le contrôle sur les Etats qu’elle revendique.

On peut aussi expliquer ces tensions très vives en Ukraine par une volonté de parler d’égal à égal avec les Etats-Unis. Les décisions actuelles de la politique russe sont directement adressées aux Etats-Unis. Quand Barack Obama dit que toute intervention armée russe aurait un « coût », ça envenime les choses dans la problématique poutinienne. Si ça va si loin, et que le Sénat a autorisé le président russe à pouvoir user de la force, c’est parce que la Russie se mesure aux Etats-Unis. On est dans un chicken game : c’est à celui qui s’arrêtera le premier.

Jusqu’où Poutine peut-il aller pour avancer ses pions ? Risquerait-il vraiment un conflit avec l’Ukraine - son armée n’est pas celle de la Géorgie… - voire avec les Etats-Unis ?

Je ne sais pas, tout est possible : la situation en Ukraine est depuis le début pleine de surprise. Je ne sais pas jusqu’où ils pourraient aller, mais le fait que Poutine et Obama aient parlé pendant 90 minutes hier montre que ça va s’arrêter dans la mesure du possible. C’est bon signe pour éviter ce chicken game.

Poutine n’est donc pas complètement irrationnel ?

Non, au contraire. On ne peut pas dire que Poutine est irrationnel. Sa politique est souvent réactive, on réagit plus qu’on prévoit, mais c’est tout de même des actions réfléchies. La Russie est le pays des échecs, après tout.

En créant des conflits gelés, que ça soit en Moldavie avec la Transnistrie, en Géorgie ou en Ukraine, Poutine utilise-t-il la stratégie du chaos pour affaiblir ses voisins, même si finalement ça n’apporte pas grand-chose à la Russie ?

Je ne pense pas que ça soit une stratégie du chaos, plutôt un soft power d’un nouveau genre. On n’est plus dans des réseaux de langue ou d’éducation, mais plutôt dans un soft power où on garde un pied dans la porte. Ces situations ne sont pas complètement instables : la Géorgie, la Moldavie, s’en sortent plutôt bien. Elles s’enrichissent, progressent… C’est plutôt une stratégie qui empêche que la Russie soit totalement exclue. Elle se défend pour ne pas perdre trop. Ce n’est pas une question de gagner, c’est plutôt prévenir toute perte, du point de vue russe.

Affaiblir ses voisins, est-ce un moyen de cacher les errances de la Russie (aucun levier de croissance à part les hydrocarbures, corruption, etc.) ?

On peut voir ça à deux niveaux : le premier, c’est de faire en sorte que sa base d'influence ne soit pas trop réduite. C’est pour cela qu’ils gardent les pieds dans ce qu’on appelle leur « zone d’intérêt privilégiée ». Et lorsque ces pays sont trop à l’ouest, elle les découpe. La Russie leur dit : « vous pouvez évoluer, mais on vous prend une partie de votre territoire ».

Le deuxième niveau, qui est le vrai niveau pour un Poutine réaliste – il ne s’agit pas de refaire l’URSS, mais de faire de la Russie une puissance mondiale – est que qu'à partir de cette base qu'elle s’est construite, la Russie peut parler d’égal à égal avec ceux qui comptent dans le monde : les Etats-Unis, la Chine, et l’Union européenne. Le premier niveau est un tremplin pour jouer un rôle dans le second niveau.

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