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L'Institut Bruegel dresse un bilan mitigé des politiques de sortie de crise en Grèce, en Irlande, au Portugal et à Chypre.
L'Institut Bruegel dresse un bilan mitigé des politiques de sortie de crise en Grèce, en Irlande, au Portugal et à Chypre.
©Reuters

Et c'est pas fini !

Plus de 5 ans après la faillite de Lehman Brothers, la crise est loin d'être derrière nous. Les pays peinent à se redresser, les plans de sauvetage s'accumulent sans toujours être efficaces et les conséquences s'annoncent lourdes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : L'Institut Bruegel dresse un bilan mitigé des politiques de sortie de crise en Grèce, en Irlande, au Portugal et à Chypre. Comment l'expliquer alors même que beaucoup en Europe se sont félicités des résultats obtenus dans ces pays ?

Nicolas Goetzmann : Le fait de se féliciter des résultats de ces pays est une curiosité que je ne parviens pas à expliquer. Je ne parviens même pas à trouver une variable sur laquelle m’appuyer pour pouvoir soutenir les politiques qui ont été déployées dans ces pays. Le bilan n’est pas mitigé, il est désastreux. 

Les pays que vous citez sont tous dans cette situation, avec des taux de chômage compris entre 12 et 28% et des niveaux de dette colossaux, largement au-delà des 100% sur PIB pour chacun d’eux. L’Irlande était attendue à un niveau proche de 2.00% de croissance en 2013, les chiffres ont été révisés à 0%. L’Espagne a chuté de 1.2%, la Grèce de 4% etc…La belle histoire de l’austérité qui marche n’a aucune prise avec la réalité en dehors d’un point : le taux auquel ces pays empruntent sur les marchés. Mais cette « amélioration » n’est pas la conséquence des politiques budgétaires de ces pays, mais la conséquence de la promesse faite par le Président de la BCE, Mario Draghi, de faire tout ce qu’il faudrait (« whatever it takes »), pour sauver l’euro. Ce qui est une forme d’assurance. Il est d’ailleurs important de rappeler que ce type de politique d’austérité n’est pratiqué qu’en Europe et nulle part ailleurs, ce qui en fait une sorte de laboratoire économique. Et les résultats sont inexistants. 

Avons-nous trop tendance à voir les résultats à court terme en ignorant les coûts à plus long terme que peuvent avoir ces politiques ? Quels sont-ils ?

La situation de l’Espagne est ici un cas d’école. La fin de l’année 2013 avait permis de voir le taux de chômage baisser un peu et les fans de l’austérité hurlaient victoire. Mais l’augmentation des chiffres du chômage en janvier 2014, à hauteur de 113 000 personnes, a été une douche froide. Car cette hausse a été accompagnée d’une autre statistique, 200 000 emplois supplémentaires ont été détruits en 2013. Ce qui était annoncé comme le retour de l’Espagne a fait long feu. Le taux de chômage y est de 26%, 28% en Grèce, et  15.3%  au Portugal. 

Sur le long terme, l’effet est très lourd. Car le chômage conjoncturel a tendance à se transformer en chômage structurel, les gens inemployés perdent peu à peu leurs compétences et ne retrouveront que difficilement un emploi, même en période de croissance. L’impact est le même sur l’investissement, sur le taux de participation de la population au travail etc…En fait, ce type de politique métamorphose jusqu’à la mentalité même d’un pays et de sa population, qui va jusqu’à prendre acte de sa situation de déclin et à accepter ce déclin comme étant inéluctable, voire comme étant mérité.

Le plan de sauvetage dont bénéficiait l'Irlande a touché à sa fin en décembre 2013. Peut-on pour autant parler de sortie de crise ? Quelles données permettent de relativiser ce succès ? 

La belle histoire de l’Irlande qui sort de la crise grâce aux plans d’austérité n’est qu’un fantasme. La dette du pays était de 25% du PIB en 2007, elle est aujourd’hui à 120%, le déficit a été de 8.2% en 2013, le PIB par habitant s’est contracté de 17% au total, l’immobilier s’est effondré de 55%, la production industrielle a encore chuté de 5% au cours des 12 derniers mois et on arrive quand même à parler de succès. Et je souhaite bonne chance à l’Irlande car les membres du G20 ont bien l’air de s’être mis d’accord pour mettre fin au régime fiscal local de 12.5% pour l’impôt sur les sociétés. Lorsque l’on sait que la pharmaceutique représente 34.5% du PIB du pays, que 9 des 10 plus grandes sociétés pharmaceutiques mondiales y sont installés notamment pour cette raison fiscale, il y a de quoi s’inquiéter pour la suite. L’Irlande exporte un peu plus de 100% de son PIB, c’est une économie totalement ouverte et qui ne repose que sur la demande extérieure. Quant à la supposée baisse du chômage de 40 000 personnes, elle s’explique par la migration de 33 000 personnes hors des frontières irlandaises.

La Grèce devait quitter son plan de sauvetage en décembre prochain. Toutefois, il y a des chances qu'un troisième programme soit mis en place, qui passerait par un renforcement des engagements budgétaires et par des réformes structurelles. Qu'est-ce qui explique que les plans de sauvetage échouent dans certains pays alors qu'ils fonctionnent ailleurs ?

Les plans de sauvetages échouent partout. La réalité le montre, la théorie le montre, mais il semblerait que nombre de dirigeants semblent encore prêts à y croire. Le cas du Japon est intéressant sur ce point car la classe politique japonaise a eu besoin de 22 ans pour adopter des mesures efficaces. Le monde entier se moquait des japonais pendant ce temps, mais les européens ont déjà 6 années au compteur. Il n’y a pas d’exemple de pays qui seraient parvenus à redresser leur situation en exerçant une contraction double : budgétaire et monétaire, cela ne marche simplement pas.

Le cas de la Grèce peut être regardé sous un autre angle, celui de la santé publique. Le budget des hôpitaux a chuté de 25% et les dépenses pharmaceutiques de 50%. Etant donné que l’accès aux aides de santé est conditionné au fait d’avoir un emploi, ce sont 800 000 personnes qui n’en bénéficient plus. La situation est telle que Médecins du Monde s’y est installé pour offrir des soins à ces personnes. On peut notamment citer l’augmentation de 43% de la mortalité infantile depuis 2009. 

Combien de temps encore les pays européens vont-ils continuer de payer la crise ? Et certains plus que d'autres ?

En prenant le cas de la France, qui a perdu 20 points de croissance nominale depuis l’entrée en crise, et en supposant de façon complètement fantaisiste que le pays revienne dès 2014 à son taux de croissance nominale (croissance + inflation) potentiel de 4%, elle pourrait au moins stopper les effets de la crise. Mais pour reprendre ce qui a été perdu, il faudrait regagner ces 20 points en plus des 4% annuels, c’est-à-dire qu’il faudrait imaginer des taux de croissance réels de 3% pendant 10 ans pour effacer la crise. Pour d’autres pays comme la Grèce, les chiffres sont deux à trois fois plus élevés. Par contre en Allemagne, il ne faut surtout rien changer, aucune perte de croissance nominale n’est à signaler, tout va bien. La crise ne se soldera pas toute seule, pour imaginer pouvoir reprendre un peu de ce qui a été perdu, il n’y a qu’une seule solution, c’est la relance monétaire par la BCE.Et pour le moment, c’est plutôt la déflation qui est l’horizon, c’est-à-dire une aggravation de la situation. 


Propos recueillis par Marianne Murat

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