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Retour de la guerre froide en Europe... et pendant ce temps-là une autre se met en place entre la Chine et les Etats-Unis
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Transpacifique

Tandis qu'en Europe les souvenirs de la Guerre froide se réveillent autour de la crise Ukrainienne, une autre crise diplomatique se profile en mer de Chine, entre les Etats-Unis et l'Empire du Milieu, dont les velléités de conquête se durcissent.

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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Atlantico : L'Europe a les yeux rivés sur l'Ukraine. Pourtant, ça n'est pas la seule poudrière. Peut-on dire que les événements d'Ukraine forment une sorte de masque opaque qui cache les événements qui ont lieu dans le Pacifique ? Quelle est la teneur de ceux-ci ? Dans quoi sont impliqués les USA et la Chine ?

Anne Deysine : L’Ukraine appartient à une zone géographique et une zone d’influence très proches de nous. Tous les ex-pays de l’Est étant plus ou moins sous la coupe de la Russie, c’est un dossier important pour l’Europe. En revanche, la Mer de Chine du Sud présente un problème fondamental aux yeux des Etats-Unis, qui sont maintenant beaucoup plus tournés vers le Pacifique que vers l’Europe.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle François Hollande a été si bien reçu la semaine dernière aux Etats-Unis : les Américains sont bien contents qu’il fasse une partie du travail qu’eux-mêmes n’ont plus l’envie ou les ressources de faire en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient. Leur attention est tournée vers l’Asie. Ils sont d’autant moins intéressés par le Moyen-Orient qu’ils sont maintenant autosuffisants sur le plan énergétique.

Quelles sont les raisons du désaccord sino-américain ? Peut-on craindre une nouvelle formation de blocs, voir une Guerre froide d'un autre genre que celle qui a déchiré le monde par le passé ?

Il existe une très forte interdépendance économique, mais aussi stratégique et diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine. De plus, la Chine a un siège au conseil de sécurité de l’ONU : dès qu’une crise éclate quelque part, comme en Syrie, l’Europe et les Etats-Unis ont besoin de la Chine.

Mais il existe aussi une rivalité, une concurrence très forte, sur les deux mêmes dimensions économique et diplomatique.

Sur le plan économique, le partenariat trans-pacifique est une zone de libre-échange regroupant le Canada, certains pays d’Amérique latine et certains pays du Sud-Est asiatique mais pas la Chine, l’objectif étant de tenter de la mettre à l’écart, afin de pouvoir coopérer sans elle.

La même chose se passe sur le plan militaire. Les Etats-Unis doivent pouvoir défendre leurs alliés traditionnels que sont le Japon et la Corée du Sud contre la Chine. A tel point que l’Otan pourrait se trouver entrainée vers la Mer de Chine. Il y a eu un certain nombre d’incidents navals. La marine américaine et la marine chinoise s’observent et on rapporte des incidents réguliers, sans pour autant pouvoir véritablement parler de Guerre froide.

Récemment, un navire porte missile américain a failli entrer en collision avec un navire de débarquement chinois, les contraignant à des manœuvres d’évitement, chacun accusant l’autre d’avoir eu un comportement offensif le premier.

Souvent, sans représenter d’incident grave, il s’agit surtout de story telling et de communication. Les Chinois s’emparent parfois de ces épisodes pour communiquer en disant qu’ils ont gagné, en faisant reculer les Américains.

Pour comprendre la mentalité chinoise, il faut comprendre le jeu de Go : ce jeu de pions noirs et blancs qui consiste à encercler son adversaire. C’est ce que les Chinois font dans le mer de Chine, en installant des bases navales un peu partout, de façon à contrôler de territoire en ayant des points d’appui un peu partout.

Les intérêts économiques de ces deux géants pourraient-ils freiner les tensions ? Ou au contraire font-ils partie de ces éléments qui jettent de l'huile sur le feu ?

Je pense que leur grande interdépendance économique les oblige à rester calmes et dans la coopération. De plus, il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la dette américaine est détenue par les Chinois.

D’un autre côté, Barack Obama a reçu le Dalaï-Lama sans le consentement de la Chine et malgré ses mises en garde, en affirmant qu’il était libre de recevoir qui il voulait, sans leur demander leur avis. La Chine était furieuse.

La concurrence est réelle, car les investissements chinois sont partout, et ce sont souvent des investissements étatiques. Partout, ils achètent les matières premières et s’implantent. Dans un premier temps, les pays sont très contents - comme en Afrique - car des afflux de cash arrivent, puis au bout d’une dizaine d’années ils se rendent compte que tout n’est pas rose.

La Chine entre de plus en plus dans des confrontations directes, notamment avec les menaces qu'elle a adressées à la maison blanche, concernant la réception du Dalaï-Lama par Barack Obama. La Chine serait-elle en train de prendre confiance ?

De toute façon, la croissance de la Chine est fabuleuse, mais en terme de PNB et de richesse totale, elle est encore très loin des Américains, donc ces déclarations sont un peu de la gesticulation et des rodomontades. Pour le moment, les Américains sont loin devant à tous les niveaux, et ce malgré les progrès considérables de la Chine, qui malgré l’augmentation des salaires garde des salaires faibles et fait face à une pollution terrible. A tel point qu’ils vont finir par accepter de participer à la réduction des gaz à effet de serre, car on ne respire plus en Chine.

Qu’est-ce qui pourrait faire basculer la situation ?

En mer de Chine, il ne s’agit pour l’instant que d’escarmouches, jusqu’ici les Américains font en sorte de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Les Chinois veulent vraiment s’implanter en mer de Chine. Mais comme pendant la Guerre froide, personne n’a intérêt au conflit ouvert. De plus, un conflit serait encore plus dramatique que pendant la Guerre froide, car les économies sont encore plus interdépendantes. Le bon sens économique devrait empêcher une catastrophe.

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