Justes ou injustes ? Ce que Whatsapp nous apprend sur les inégalités et les 0,1% les plus riches<!-- --> | Atlantico.fr
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Facebook a racheté l'application de messagerie WhatsApp pour 19 milliards de dollars.
Facebook a racheté l'application de messagerie WhatsApp pour 19 milliards de dollars.
©Reuters

Double peine

Si la technologie remplace souvent les travailleurs les moins qualifiés, elle tend aussi à amoindrir la part des revenus dévolue au travail, la baisse du coût relatif des biens d’investissement incitant les entreprises à aller vers le capital.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Lorsqu’une famille ukrainienne quitte son pays d’origine pour les Etats Unis et que 20 ans après, l’enfant de la famille signe la vente de sa société Whatsapp à Facebook pour 19 milliards de dollars, le mythe américain est conforme aux attentes. La photographie de Jan Koum, fondateur de Whatsapp, signant le contrat en question sur le porte de son ancien bureau subventionné vient apporter une touche romantique supplémentaire à ce qui est déjà un mythe. Yes we can.

Mais cette histoire symbolique de la méritocratie a des implications plus générales quant aux effets de la technologie sur la croissance et plus précisément sur l’emploi. Si une société de 55 personnes parvient à une valorisation de 19 milliards de dollars, entrainant dès lors une importante concentration de richesse sur un savoir-faire spécifique, quelques questions peuvent se poser.

Une récente étude des économistes Karabarbounis et Neiman met en perspective l’influence de la technologie sur une variable auparavant considérée comme constante : la part des revenus dévolue au travail. Les deux chercheurs parviennent à une conclusion claire :

« La stabilité de la part des revenus du travail est un point de départ clé pour les modèles macroéconomiques. Nous soutenons que la part globale du travail a décru significativement depuis le début des années 1980, ce déclin est apparu dans la grande majorité des pays et des industries. Nous montrons que la baisse du coût relatif des biens d’investissement, souvent attribuée aux avancées des technologies de l’information et à l’âge informatique, ont poussé les entreprises à sortir du travail pour aller vers le capital. La baisse des prix des biens d’investissement explique pour moitié la baisse de la part des revenus du travail, même en tenant compte d’autres facteurs (..). »

Comme le relevait Ryant Avent de « The Economist », cette baisse n’a pas eu lieu de façon progressive mais elle s’est concentrée à des moments charnières : pendant les récessions. Lorsqu’une entreprise subit les effets de la récession, elle est indirectement incitée à remplacer ses employés les moins productifs par de la technologie. Les tâches les plus routinières sont ainsi déplacées de l’homme vers la machine au moment précis où les récessions frappent, c’est-à-dire lorsque la pression sur les coûts est la plus forte.

Ce processus apporte un nouvel élément au puzzle. Les salariés les moins qualifiés voient leur travail disparaître et celui-ci est remplacé par un besoin supérieur en qualification de la part des entreprises. Des salariés plus qualifiés prennent en charge la nouvelle technologie fraichement acquise. Le déséquilibre apparaît dès lors entre salariés qualifiés et non qualifiés.

Ce phénomène a-t-il également lieu en France ? Le graphique suivant délivre une réponse assez nette.

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Source

De l’autre côté du spectre : les 0.1% les plus riches. (Ce qui nous permet d’illustrer le propos avec le cas Whatsapp). Car la baisse progressive des revenus du travail suppose une hausse plus ou moins proportionnelle des revenus du capital. Les gains effectués sur les économies faites en termes de « travail » sont distribués sur les revenus de capitaux. C’est ainsi qu’aux Etats Unis, les revenus des plus riches se sont accrus de façon bien supérieure à ceux du reste de la population :

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Source : The Atlantic

Les revenus des 0.1% les plus riches ont ceci de particulier d’être composés à 50% des revenus provenant du capital, et profitent ainsi directement du phénomène décrit plus haut. Ce qui permet de mettre en évidence la corrélation entre revenus des plus riches et les développements boursiers :

Source : The Atlantic

L’accroissement des inégalités prend ainsi racine, pour une part, dans le développement des technologies. Mais il serait idiot de considérer la technologie comme un ennemi, car d’autres causes sont à l’œuvre et des corrections sont possibles.

En effet, Il existe des moyens de lutter contre cette situation. En dehors de l’évident besoin d’éducation et de formation des salariés permettant ainsi d’élever le niveau général de qualification, le cas récent du Royaume Uni peut interpeler. Car la croissance du Royaume a ceci de particulier qu’elle a créé un important nombre d’emplois, soit 485 000 postes pour la seule année 2013. Cette forte création d’emplois questionne les économistes car elle a été concomitante à une baisse de la productivité. La raison en est simple ; la baisse de productivité résulte de l’embauche de salariés parmi les moins qualifiés, ce qui pèse à la baisse sur le niveau moyen de productivité du pays. Pourquoi ? Parce que le Royaume a toléré un niveau d’inflation supérieur aux années antérieures, permettant ainsi un ajustement du coût réel du travail et une incitation plus importante pour les entreprises d’employer un salarié plutôt que d’avoir recours à la technologie. Au fur et à mesure que l’inflation érode le niveau des salaires réels, les personnes les moins qualifiées redeviennent attrayantes pour les employeurs.Une telle politique vise à favoriser le plein emploi et permet ainsi de partager les revenus de façon plus équilibrée, en sortant les personnes les moins qualifiées du cercle vicieux qui est en train de s’enraciner dans nos sociétés.

Le fait est que nos économies se développent sur deux puissants facteurs depuis 30 ans : une faible inflation et une intensification de la technologie. Lorsque ces deux processus sont couplés, le résultat apparaît clairement : concentration des richesses et exclusion des moins qualifiés. Il n’existe pas de solution satisfaisante, mais il est possible d’ajuster le tir pour parvenir à un équilibre, car aujourd’hui, la balance penche très favorablement vers un seul côté.

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