"Un beau dimanche" de Nicole Garcia : l’importance des appartenances dans un monde qui fait l’apologie des identités fluides<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Pierre Rochefort et Louise Bourgoin, dans Un beau dimanche.
Pierre Rochefort et Louise Bourgoin, dans Un beau dimanche.
©Les films pelleas

Un beau film

Peut-on avoir un soi bien à soi, en s’arrachant à son passé ? C’est ce à quoi l’époque nous encourage. Le dernier film de Nicole Garcia répond par un rappel à l’essentiel : n’oublions pas le socle affectif. Sobrement, elle y fait l’éloge de la rencontre : on s’aime, donc j’existe.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

Voir la bio »

La grâce de la liberté ou la pesanteur de l’ordre ? Peut-on avoir un soi bien à soi, en s’arrachant à son passé ? C’est ce à quoi l’époque nous encourage. C’est aussi l’objet de polémiques où l’on vante les mérites d’une « identité fluide », éloignée des appartenances, par rapport aux fixations d’hier.

Face à ce débat, le dernier film de Nicole Garcia, « Un beau dimanche », répond par un rappel à l’essentiel : n’oublions pas le socle affectif. Sobrement, simplement, avec une sensibilité qui suggère plus qu’elle n’expose, elle y fait l’éloge de la rencontre : on s’aime, donc j’existe. Servie dans sa démonstration par deux jeunes mais remarquables acteurs - Louise Bourgoin, lumineuse et épatante de spontanéité ; Pierre Rochefort, un écorché tout en intériorité - qui « sonnent » merveilleusement juste chacun dans leur rôle.

Le film oppose deux univers. Un monde de conventions bourgeoises où règne la performance : académique, professionnelle et tennistique. Un autre monde où le travail ingrat ne sert jamais de faire valoir, et où la vie s’organise bon an mal an, au gré des disponibilités. « Savoir placer l’église au centre du village », dit le bon vieux proverbe. « Un beau dimanche » a suivi le conseil.

Le premier monde tourne autour d’une imposante demeure toulousaine, dont les épais murs de briquettes ont abrité des générations d’ancêtres soucieux de leur lignée. Elle s’élève à quelques lieux de la Garonne que l’on voit s’écouler paresseusement,  évocation d’une nature laborieusement domestiquée pour servir les maîtres. Elle est entourée de buissons tirés au cordeau, sillonnés d’allées aussi perpendiculaires que leurs propriétaires.

Ces derniers ne se distraient que pour mieux se consacrer aux objectifs familiaux : les aïeux peuvent être fiers. La descendance poursuit l’œuvre. Même aux repas, pas d’abandons complaisants à de franches rigolades autour de la table mais des joutes entre frères et des échanges en franglais. Des amis anglais sont en effet là. Les écrevisses fraîches d’hier sont aujourd’hui surgelées et notre français si longtemps révéré comme la langue de l’esprit se fait doubler par la langue du business : la conversation, comme le reste, doit avant tout viser à l’efficacité. La gratuité n’est pas de mise. Qui sait si les ancêtres - eux qui ne voyaient pas d’un bon œil l’abandon de la langue d’Oc – apprécieraient cette infidélité-là ?

Dans l’autre monde, point d’héritage, rien de ce lien vertical qui fige dans une dette en privant de la liberté d’être soi. C’est la mer cette fois, vaste étendue illimitée, qui fixe le décor. Une mer que tous peuvent partager – petits baigneurs et grands bateaux. Une mer qui prête au rêve : sur ce yacht mouillé au loin, pourquoi pas une star ? Et au fond… pourquoi pas moi ? Question inconcevable dans la demeure de famille. Autour de cette mer, des êtres libres d’attache, et qui s’appartiennent complètement, jusqu’à la moelle. Ou plutôt jusqu’à la peau : des peaux brunies, ornées et percées, des peaux aux tatouages sinueux qui sont leur jardin à eux –  leur seul bien. Leur fierté est d’en disposer, de ces corps surexposés, sans avoir à rendre compte.

Est-on si « vraiment soi » dans un univers aussi libre ? N’en vient-on pas à se perdre dans l’errance ? A la mer si représentative de ce monde de liberté, il faudrait ajouter le haschich… Autour des tables du restaurant de plage, entre deux voiles, on ne parle plus business comme dans la maison de brique : on parle thune. Et pour faire de la thune, toutes les fantaisies paraissent bonnes. Ou toutes les violences. Sandra a les dettes de la rêverie. Elle a construit des châteaux en Espagne. Son restau à Saint Martin n’a pas marché et des financiers-voyous sont prêts à tout pour récupérer leur mise. Elle croise Baptiste qui a fui sa famille en plantant là des études brillantes et le manoir rassurant parce que la dette de la lignée lui paraissait trop lourde : c’était renoncer à soi.

Deux formes d’errances opposées qui n’attendaient qu’une rencontre pour se poser et exister enfin ; deux êtres indistincts qui prennent consistance grâce à un « nous » qui les rassemble et leur donne à chacun un monde bien à eux - un monde où l’on se révèle à l’autre comme à soi. Sous le regard d’un enfant qui flotte en s’agrippant comme il peut à ces adultes en dérive, tous en quête d’eux-mêmes au point de l’oublier, lui… Un regard grave, lourd comme on peut en avoir quand on sait encore qu’on a besoin ni d’un nom ni de thunes, mais des autres – les « grands » – pour être soi. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !