Silencieuses ou nues... Pourquoi Hollywood peine à modifier la représentation des femmes<!-- --> | Atlantico.fr
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Mila Kunis, Natalie Portman et Scarlett Johansson, en 2011.
Mila Kunis, Natalie Portman et Scarlett Johansson, en 2011.
©Reuters

Bimbo ou copine rigolote ?

Seulement 28% des rôles parlants du Top 100 des films sortis en 2013 sont tenus par des femmes. Un chiffre qui semble témoigner d'une certaine représentation de la femme au cinéma, notamment aux États-Unis. Mais la situation pourrait bien évoluer avec l'éclosion de femmes réalisatrices.

 Pascal  Bauchard

Pascal Bauchard

Professeur d'histoire, Pascal Bauchard est spécialisé dans l'histoire du cinéma.

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Atlantico : Selon le rapport du Women’s Media Center (ici), seulement 28,4% des rôles parlants dans le Top 100 des films sortis en 2013 sont tenus par des femmes, le taux le plus bas depuis 2007. Quelle est la représentation des femmes dans le cinéma aujourd'hui ? Cette vision varie-t-elle en fonction de la production, s'il s'agit d'un blockbuster ou d'un film indépendant par exemple ?

Pascal Bauchard :  Dans le cinéma américain mainstream, qui est plutôt formaté pour un public d'adolescents, on ne peut pas s'attendre à des miracles... Les personnages de femmes restent plutôt stéréotypés, soit la bimbo soit la bonne copine.... Mais il ne faut pas désespérer : on peut ainsi remarquer que quelques scénaristes femmes ont récemment permis l'apparition de personnages féminins un peu plus consistants: le travail de Kristin Wiig est de ce point de vue intéressant : après plusieurs années passées dans la fameuse émission de télévision Saturday Night Live,  elle a co-écrit et interprété une comédie en 2011, qui a eu un grand succès, Mes meilleures amies, comme un pendant féminin aux films de Judd Apatow, avec qui elle travaille d'ailleurs : à suivre donc... De même, le film Frances Ha, sorti l'an passé et réalisé par Noah Baumbach, présentait un beau personnage féminin... Il a été écrit et interprété par Greta Gerwich, vite (trop vite?) qualifiée de Woody Allen au féminin !

A part cela,en dehors du système hollywoodien, quelques réalisatrices parviennent à travailler comme Kelly Reichaldt qui présente des portraits de femmes indépendantes (notamment dans Wendy and Lucy sorti en 2009, avec son actrice de prédilection, Michelle Williams) : de même, Courtney Hunt propose deux beaux portraits de femmes, Ray et Lila, dans son film Frozen River, réalisé la même année. Mais ces exemples restent marginaux...

Cette image de la femme au cinéma a-t-elle évolué durant l'histoire du cinéma ? Quelle était la représentation de la femme au cinéma durant les années 30, 40, 50 ? En quoi est-elle différente de celle d'aujourd'hui ? Les femmes ont 3 fois plus de chances d'apparaître nue dans des films que les hommes. Quel rapport les cinéastes – et notamment les cinéastes américains – entretiennent-ils avec la nudité, et particulièrement la nudité féminine? 

En fait, Hollywood est passé par plusieurs phases : au début du parlant, on tolérait une réelle liberté de ton et certains personnages féminins sont très dominateurs : l'actrice Barbara Stanwick interprète ce genre de femme prête à tout pour réussir : dans le film Baby Face, elle couche de manière très intéressée avec tous les hommes qui vont lui permettre d'arriver au sommet ! Certaines interprètes comme Jean Harlow , Mae West, incarnent des femmes qui ne s'en laissent pas compter. Mais, par la suite, les studios, après quelques scandales retentissants et la pression de ligues et groupes religieux, adoptent un code de bonne conduite, le code Hays, qui pendant près de trente ans, va "mettre le couvercle sur la marmite ": pas de représentation de l'acte sexuel (et surtout pas entre personnes de races différentes), pas de baisers trop longs, pas de perversions sexuelles à l'écran (à l'époque, l'homosexualité est considérée comme telle !).

Le grand jeu des réalisateurs hollywoodiens a été de contourner le code, en utilisant toutes les métaphores possibles (Hitchcock fut un maître en la matière...). Dans les années 1960, le code va finir par être abandonné, notamment avec l'émergence des cinéastes du New Hollywood (d'Arthur Penn à  Coppola , en passant par Cimino, Friedklin...). Non sans réticence d'ailleurs : on sait par exemple que Martin Scorsese a eu beaucoup de scrupules à tourner une scène sexuelle très explicite dans Who that's knocking at my door ? Depuis, en tout état de cause, le cinéma américain ne semble plus avoir de tabous, même si on continue globalement  à mieux accepter les scènes de violence que les scènes de sexe... On l'a aussi vu avec les déboires qu'a affronté le dernier film de Kechiche La vie d'Adèle pour être diffusé outre Atlantique.

Le rapport du Women's Media Center révèle que seulement 16% des  films du Top 100 ont été écrits, réalisés ou produits par des femmes. Est-ce que cette donnée peut en partie expliquer l'image donnée aux femmes au cinéma ? Est-ce pour cela que, de ce point de vue, la France fait figure d'exception avec des réalisatrices reconnues comme Catherine Breillat, Nicole Garcia, Noémie Lvovsky, etc. Les femmes ont-elles des rôles plus forts en France ?

Il est clair que le regard des femmes cinéastes est, disons, "autre"... Il est vrai également qu'on a assisté, surtout depuis quelques années, à l'émergence d'un cinéma "au féminin", qui aborde sans doute les choses sous un autre angle. A votre liste, il ne faut pas oublier la grande "ancêtre" Agnès Varda, qui tourne depuis l'époque de la Nouvelle Vague, ainsi que de nombreuses femmes cinéastes, Pascale Ferran, Claire Denis, Emmanuelle Bercot, Maïwen, Isild le Besco, Valérie Donzelli, Sophie Fillières et j'en oublie sûrement !

Certains de ces films ont présenté des personnages féminins extrêmement forts, comme L'une chante, l'autre pas (1973) ou Sans toit ni loi, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle principal (1985)...

Reste à savoir si ce cinéma de femmes est différent de celui des hommes. On peut en tout cas relever que les films tournés par ces réalisatrices nous proposent des histoires "au féminin" : dans Avoir ou pas, de Laetita Masson, sorti en 1995, Sandrine Kimberlain incarne une femme chômeuse en détresse avec beaucoup de conviction et ce thème de la femme fatiguée de la vie et prête à tout reprendre à zéro se retrouvent dans plusieurs œuvres récentes : Elle s'en va, d'Emmanuelle Bercot (2013) et tout récemment Lulu, femme nue, de Solveig Ampsach, avec Karin Viard ...L'an dernier, Isabelle Czajka a réalisé La vie domestique, avec Emmanuelle Devos dans le rôle principal, ou 24 heures de la vie d'une femme. Un quasi-documentaire sur la condition féminine ! On peut d'ailleurs penser que ces réalisatrices ont abordé ces sujets parce qu'elles estimaient que leurs collègues masculins ne faisaient pas le boulot...

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