Parti communiste-Parti de Gauche, divorce en vue : quel impact pour la gauche ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Divorce en vue entre le Parti communiste et le Parti de Gauche.
Divorce en vue entre le Parti communiste et le Parti de Gauche.
©Flickr

La zizanie

Le Parti de Gauche s'est dit opposé à ce que le Parti communiste renouvelle toute alliance avec le Parti socialiste pour les élections à venir après les municipales. Malgré le climat houleux entre les deux formations, Jean-Luc Mélenchon se dit toujours confiant dans l'avenir du Front de Gauche.

Atlantico : Lors d'un conseil national du Parti de gauche qui s'est tenu dimanche, la formation politique a exigé du PCF, au travers d'une motion adoptée à 97 %, qu'il ne renouvelle pas ses alliances avec le Parti Socialiste, notamment pour les européennes. Si les deux partis font liste commune aux élections européennes, au lieu de se présenter séparément, le nombre de voix obtenues serait-il supérieur ? L'union, pour les partis de gauche, fait-elle nécessairement la force ?

Yves-Marie Cann : Il n’y a bien entendu aucune garantie à ce que l’union du PCF et du Parti gauche aux élections européennes permette au Front de gauche d’obtenir un nombre de voix supérieur au total de celui que les deux formations obtiendraient séparément. Toutefois, d’un point de vue au moins symbolique, faire listes à part signerait l’acte de décès de ce mouvement apparu aux européennes de 2009. Surtout, un Front de gauche à 10 % pèserait davantage sur le débat public que deux forces politiques obtenant chacune, dans le meilleur des cas, aux alentours de  5%. Cette dernière hypothèse serait alors du « pain béni » pour le Parti socialiste.

Sylvain Boulouque : Historiquement, la gauche semble plus forte lorsqu'elle s'inscrit dans un processus d'unité, comme en 1924, en 1946 ou en 1981. Inversement, lorsque la gauche est divisée, on constate par exemple dans les années 50 et 70 une diminution du nombre de votes en faveur de la gauche. En cumulé, cela dépend surtout de la conjoncture : la gauche se porte moins bien en période de crise, au profit de la droite. Mélenchon, aux dernières élections, donnait l'impression de progresser, ce qui était vrai par rapport à 2007, mais pas par rapport à 2002 ou 1995 : sur cette durée-là, on constate une régression jusqu'à aujourd'hui du nombre de voix de la gauche de la gauche.

La principale problématique que le Front de Gauche a à résoudre aujourd'hui est-elle celle du report de voix vers d'autres formations, notamment le FN ? Le Parti de gauche, qui peut attirer les déçus des grands partis, gagnerait-il à faire cavalier seul ?

Yves-Marie Cann : Nous le voyons dans les enquêtes, la force politique qui profite aujourd’hui le plus des difficultés de l’exécutif national de gauche et de la crise de leadership à droite, c’est le Front national. Si le socle électoral du Front de gauche témoigne dans nos enquêtes d’une certaine solidité depuis l’élection présidentielle, le parti dirigé par Marine Le Pen a quant à lui engrangé de nouveaux soutiens au sein de la population.

Le Front de gauche en général et le Parti de gauche en particulier ne parviennent pas, en effet, à capitaliser sur le contexte actuel. Ceci tient à mon avis beaucoup au discours tenu par ses leaders, au premier rang desquels figure Jean-Luc Mélenchon. A titre d’exemple, traiter de « nigauds » les salariés manifestant en Bretagne aux côté des « Bonnets rouges » n’a sans doute pas été du meilleur effet auprès des premiers concernés. Plus globalement, la gauche du parti socialiste, en adoptant une posture de principe favorable au multiculturalisme, peine à rencontrer un écho favorable auprès des couches populaires ou des classes moyennes inférieures qui sont en demande de davantage de protection face aux aléas de la mondialisation et de sa composante migratoire.

Sylvain Boulouque : Le problème numéro un du Parti de gauche, c'est qu'il est petit. Seul, il est dans la marginalité groupusculaire car son nombre de militants est très faible. Soit il s'allie avec le PCF, et bénéficie ainsi de l'appareil du parti (et c'est ce qui s'est passé lors des deux dernières élections), soit il se retrouve avec une audience proche de celle du NPA. Seul, sa capacité à attirer des déçus d'autres partis reste minime, et ne s'étend pas au-delà du PC et de la gauche la plus radicale, de type NPA.

Les partis de gauche qui dans leur histoire se sont déjà alliés au Parti Socialiste (PC, EELV) ont-ils perdu une frange de leur électorat ? Vers quelles formations ces électeurs se reportent-ils ?

Yves-Marie Cann : Les alliances politiques sont souvent à double tranchant, surtout en cas de victoire. Si elles permettent de s’assurer de l’élection d’un nombre significatif de ses représentants, comme aux législatives ou élections municipales par exemple, elles rendent par la même occasion les formations politiques concernées comptables du bilan des majorités sortantes. Ceci peut constituer un sérieux handicap au scrutin suivant, en cas de mauvais bilan. Le principal risque est alors la démobilisation de l’électorat, plutôt qu’un nomadisme électoral, de la gauche vers la droite ou vers l’extrême droite.

Le cas des députés EELV à l’Assemblée nationale constitue d’ailleurs un cas d’école intéressant. Bon nombre des députés écologistes élus en juin 2012 l’ont été dans des circonscriptions que l’on peut qualifier « d’opportunistes », c’est-à-dire suivant le mouvement général de l’élection présidentielle. Le sort de nombreux députés EELV est ainsi intimement lié à l’issue de la présidentielle de 2017 : en cas de réélection de François Hollande, nombreux sont ceux qui devraient conserver leur siège. En cas d’élection d’un président de droite, ce sera nettement plus délicat !

Sylvain Boulouque : On constate un double mouvement. Dans la première phase d'alliance, lorsque le PS progresse, les partis alliés suivent la même tendance. Et dans une deuxième phase, le PS reste seul, et finit par absorber et mettre sur un même plan les partis alliés. On constate cette absorption systématique depuis 1981. L'électorat de gauche traditionnel, quel que soit son choix du premier tour, votera toujours pour le PS au second. La frange qui choisira de ne pas voter pour le PS au second tour parce que selon elle il ne vaut pas mieux que l'UMP, est très marginale. Et ce ne sont pas trois ou quatre cas d'anciens du PC qui seraient passés au FN  qui permettent de dire vers qui ces marginaux choisissent de se diriger.

Sur le fond, une alliance entre PC et PG est-elle vraiment cohérente ? Les points d'entente sont-ils si nombreux que ce cela ?

Sylvain Boulouque : Les points d'accord sont plus importants que les points de désaccord : le "non" au référendum de 2005, le refus du libéralisme… Les désaccords sont plus de nature tactique. Le PC sait que s'il se présente seul aux élections municipales ou régionales, il perdra ce qui lui reste d'appareil. Les points de désaccord restant majoritairement locaux, l'entente sur la politique commune globale l'emporte. Idéologiquement, les grandes lignes sont les mêmes.

PG, PCF, EELV : verra-t-on un jour (pour les européennes ou les présidentielles) un véritable ensemble politique de gauche proposer une alternative au PS ? Le moteur d'une telle coalition serait-il à trouver dans la déception suscitée par la présidence Hollande, ou dans une volonté raisonnée de ne plus faire de compromis avec le PS ?

Yves-Marie Cann : Cette hypothèse me semble peu probable, au moins dans la perspective des prochaines élections européennes. Une telle alliance, alors que EELV a conclu un accord de gouvernement avec le Parti socialiste, constituerait à n’en pas douter un véritable « casus belli » aux yeux du Président de la République et du Parti socialiste. Les choses peuvent en revanche paraître plus ouvertes dans la perspective de l’élection présidentielle mais nous en sommes encore loin. Ceci nécessiterait toutefois une recomposition du paysage politique à gauche, à supposer que ces trois formations soient en mesure de trouver un terrain d’entente programmatique et un candidat faisant consensus.

Sylvain Boulouque : Pour l'instant une grande alliance semble difficile, car globalement la gauche est mal en point. De plus EELV continuera majoritairement de vouloir s'allier avec le PS plutôt qu'avec la gauche de la gauche. Les éléments écologistes qui seraient prêts à une alliance avec le Front de gauche sont marginaux. Sur le plan sociologique, ils sont plus proches du PS, voire du Modem pour certains.

Une telle coalition se formerait par défaut, et constituerait un nouveau cartel d'organisations qui s'ajouterait par-dessus le Front de gauche, qui en est déjà un. Ce serait une famille de plus, qui n'a pas la même culture, et avec des membres qui de toute façon refuseraient. Même un José Bové, qui était opposé à la Constitution européenne de 2005, ne s'allierait pas avec Mélenchon. Il faudrait un éclatement, ou au moins une petite dissidence qui rejoindrait le Front de gauche. De plus, la majorité des écologistes sont pro-européens… "Ensemble", qui est le "Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire", qui regroupe les anciens trotskystes et les communistes dissidents, est tout de même plus proche de Mélenchon. Sur le plan électoral, ce groupe peut espérer récupérer une ou deux mairies, sans plus. Leur base de militants se limite à quelques centaines, mais le Parti communiste et le Front de gauche veillent sur eux car ils représentent la courroie de transmission avec le NPA. On est loin des pro européens d'EELV...

Alors qu'on s'attend à une débâcle du PS aux municipales, ses alliances avec le PC peuvent-elles sauver les meubles ? A l'inverse, le PC pourrait-il y perdre, et pourquoi ?

Yves-Marie Cann : Aujourd’hui, le PC a sans doute davantage à gagner d’une alliance avec le Parti socialiste que l’inverse, notamment dans les municipalités communistes. Le jeu des alliances lui permet en effet de conserver un certain nombre de bastions municipaux qui basculeraient sans doute dans le giron du PS en cas de divisions à gauche. Dans d’autres villes, comme à Paris par exemple, l’alliance PC-PS dès le premier tour permet aux communistes de s’assurer de l’élection d’un nombre minimum de leurs représentants dans différents arrondissements et au Conseil de Paris. L’appoint de voix pour Anne Hidalgo me semble en revanche assez limité, le Parti de gauche ayant quant à lui décidé de présenter ses propres listes.

Sylvain Boulouque : Tout dépend de la taille. Dans les grandes villes, avec ou sans le PC, le PS sauvera les meubles. Dans les villes moyennes et petites, les résultats pour la gauche seront catastrophiques. Inversement, le PC devrait garder la main mise sur les villes de même taille qu'il contrôle déjà. Leur appareil militant devrait durer le temps d'un mandat municipal encore, ensuite il est beaucoup plus difficile de se projeter…

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