L’impact de la succession de tempêtes de cet hiver sur la faune et la flore du littoral <!-- --> | Atlantico.fr
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Une vague photographiée le 15 février, lors de la tempête Ulla, dans le sud de l'Angleterre.
Une vague photographiée le 15 février, lors de la tempête Ulla, dans le sud de l'Angleterre.
©Reuters

En voie d'extinction ?

Depuis la mi décembre, les tempêtes frappent le littoral breton, sans relâche. Souvent, les questions se sont portés sur le bilan économique et le bilan humain, mais de toute évidence nous ne sommes pas les seuls à avoir souffert des vents et de la houle.

Atlantico : Les dernières tempêtes ont ravagé les côtes bretonnes. Qu'en est-il des fonds marins ? Quels dégâts ont-ils du essuyer ?

Annie Peron : Il existe deux zones, qui ne sont pas touchées de la même façon. L'estran, qui se découvre à marée basse subit souvent de plus lourds dégâts que les zones plus au large. En effet, sur l'estran les algues ont été arrachées.

Les fonds ont également été particulièrement remués. C'est un problème car les sédiments sont donc remis en suspension, ce qui est potentiellement dangereux pour certaines espèces. Et pour cause : la turbidité (teneur d'un fluide en matières qui le troublent). L'eau se brouille, voire devient opaque et ne laisse plus filtrer la lumière. Il est possible aussi que les zones les plus côtières connaissent une dessalure en raison des quantités d'eau douce rapportées par les rivières les plus proches du littoral.

Les spécialistes notent souvent que le facteur le plus surprenant est la récurrence de ces tempêtes. La faune et la flore sous-marines ont-elles été surprises, elles aussi ? Ou, au contraire, comme l'ours qui hiberne en hiver, les différentes espèces qui peuplent les fonds se sont-elles préparées ? Quels sont les risques encourus pas la biodiversité sous-marine ?

Annie Peron : Non ; les espèces ne sont pas préparées, et toutes n'encourent pas les mêmes risques. Certaines disposent de capacités d'adaptation plus développées que d'autres, tandis qu'encore une fois, ce sont avant tout les espèces les plus proches des côtes qui sont touchées.

Si la disparition des algues peut sembler anecdotique, c'est en fait très loin d'être le cas. Les algues représentent une part essentielle de l'environnement marin, et de nombreuses espèces vivent grâce à elles, notamment en se fixant dessus ou en dessous. Quand les algues sont arrachées, ces espèces disparaissent également. Néanmoins, les algues ne se développent véritablement qu'à partir de mars, ce n'est donc qu'un moindre mal.

Concernant les espèces qui ne se sont pas fixées, elles ont généralement la possibilité de s'éloigner vers le fond, là où la houle se fait moins sentir.

Les sédiments restés en suspension constituent un vrai problème : d'une part, ils empêchent la photosynthèse pour toutes les espèces (essentiellement végétales) qui filtrent la lumière. D'autre part, ils sont susceptibles d'obstruer le système de filtration et donc de compliquer l'accès à l'air ou à la nourriture pour ces mêmes espèces.

Les espèces sous-marines ne sont pas les seules à dépendre de la mer. Comment s'en sortent les autres espèces, liées à l'océan sans vivre dedans ?

Annie Peron :Les tortues, comme les oiseaux et les mammifères marins sont plus fragiles. On assiste en effet à plusieurs échouages dont les conditions météorologiques sont le premier facteur.

Au-delà des problèmes que peuvent provoquer les hydrocarbures, les oiseaux marins ont eux aussi souffert de la turbidité de l'eau. A cause de l'opacité de l'eau, ils ne disposaient d'aucune visibilité pour chasser et donc pour se nourrir. En conséquence, et en raison de l'agitation causée par les tempêtes, ils se sont épuisés. C'est également le cas des jeunes phoques qui ont eu à lutter contre les courants et ont du dépenser plus d'énergie.

Jérome Pensu :En vérité, les espèces terrestres ont assez peu souffert des tempêtes. Comme souvent, ce sont les espèces maritimes qui ont été les plus lourdement touchées, notamment les oiseaux. Qu'il s'agisse du Guillemot de Troïl ou du Macareux moine, payent chaque année un lourd tribut au vent, à l'hiver, ses rudesses et ses intempéries.

Les petits mammifères terrestres, comme les renards ou n'importe quel mustilédé ont été très épargnés. Ce sont, de toute façon, des animaux cavernicoles qui restent donc au terrier et ne ressortent qu'une fois les évènements terminés.

Néanmoins, parmi les mammifères les plus touchés, on compte les phoques. Nombres d'entre eux ont étés retrouvés échoués. Ils étaient plus de deux-cents en mer d'Irlande ; et c'est véritablement exceptionnel.

Bien évidemment, les arbres ont aussi souffert, cependant il faut savoir que les tempêtes n'étaient pas si fortes que ça ; sur terre. C'est en mer qu'elles étaient le plus effroyables, elles y étaient simplement moins visibles.

Des écrevisses ont été retrouvées perdues en Charente-Maritime. En quoi les espèces ont-elles pu être déplacées, déboussolées ?

Jérome Pensu : Tout dépend, en vérité, de la force du vent et de la quantité de dépression auxquels les espèces ont eu à faire face. Après quatre tempêtes, me semble-t-il, on assiste a un déplacement massif des populations. A titre personnel, j'ai assisté et protégé des espèces (essentiellement des oiseaux) de toutes les marées noires depuis l'an 2000. Et pourtant, je n'ai jamais vu une aussi population aussi significative et considérable de Macareux Moine dans une structure de soin.

Cet hiver, les vents étaient beaucoup plus orientés noroit qu'usuellement, et le noroit étant un vent venant du Nord-Ouest, il est passé sur de nombreuses colonies et de nombreuses zones d’hivernages, ramenant du même fait énormément d'oiseaux.

La question se posait pour les espèces sous-marines. Qu'en est-il des autres ? Ont-elles appris à s'adapter à la récurrence de ces tempêtes ?

Jérome Pensu : La nature fait un tri nécessaire. Plus que les espèces en tant que telles, ce sont les populations qui sont soumises à ces épreuves . Les plus faibles meurent, tandis que les plus forts vivent. Il ne s'agit pas de régulation pour autant : c'est une question de gènes. Si seuls les plus forts s'en sortent, ils sont ensuite les seuls à pouvoir se reproduire, et donc les seuls à transmettre leurs gènes aux générations futures ; pour créer une population capable de résister à toutes les formes de rudesse naturelle. Et cette élimination des faibles se fait au travers des tempêtes, certes, mais surtout de concurrence territoriale et alimentaire.

Les milliers d'oiseaux morts retrouvés sur nos côtes sont morts d'une mort naturelle. La mort est un phénomène extrêmement naturel, et elle était inévitable en l'occurrence. Bien évidemment, la vision de toutes ces pauvres bêtes échouées sur nos plages peut créer de l'émotion, mais il faut avoir conscience de deux choses. Premièrement, la nature ça n'est pas le monde de Oui-Oui, et ce qu'on appelle souvent la « beauté de la nature » est une beauté particulièrement cruelle et dure. Deuxièmement, toutes ces bêtes ne sont pas mortes à cause de la tempête, mais certaines (comme tous les ans) étaient simplement mortes en mer. Les vents les ont charriées jusqu'aux rivages, dévoilant à nos yeux un spectacle qu'on ne voit en général pas, mais qui n'en est pas moins réel.

Certaines espèces finissent-elles d'ailleurs par être menacées d'extinction ?

Jérome Pensu : Pas par la tempête. Ce processus dont je parlais plus tôt, la sélection naturelle par l'élimination des plus faibles, permet justement d'assurer une population suffisamment solide pour résister à ce genre de catastrophes.

Certes, les Guillemot de Troïl et autres Macareux Moine sont des espèces rares, en France. Il faut bien insister sur le « En France », parce qu'il est essentiel. La France est un pays bien plus au sud que ceux vers lesquels ces espèces se dirigent et on n'a donc qu'une toute petite frange de la population globale sur le territoire. Que cette petite frange disparaisse de chez nous est envisageable, mais à tout vouloir estampiller en danger d'extinction, on dédramatise le vrai problème d'extinction d'une espèce. Cela devient une fumisterie.

Qualifier une espèce de menacée d'extinction est une affirmation grave. Et à force de la galvauder à tort et à travers, on se retrouve incapable de mobiliser les gens quand c'est véritablement le cas.

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