Produire aux Etats-Unis coûte que coûte : le patron d’American Apparel a-t-il tout compris à la mondialisation ou son pari le mène-t-il droit à sa perte ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Produire aux Etats-Unis coûte que coûte : le patron d’American Apparel a-t-il tout compris à la mondialisation ou son pari le mène-t-il droit à sa perte ?
©

Made in USA

En pleine période de crise, le fondateur et PDG de la marque de prêt-à-porter American Apparel a fait le pari fou du tout Made in USA. Mais la dégringolade de ses chiffres et son mauvais comportement permettent de douter de l'avenir de la marque.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »

Atlantico : Dov Charney, fondateur et PDG de la marque de vêtements américaine American Apparel, a une réaction quelque peu originale au moment où les résultats de son entreprise sont au plus bas. Il a, en effet, fait le pari du tout made-in-USA, mettant un point d'honneur à rester indépendant des pays à faible coût de main d'œuvre comme la Chine ou Taiwan. Ce pari est-il judicieux ?

Alexandre Delaigue : Dans l'absolu, pourquoi pas. La localisation dans des pays à bas salaires, pour un fabricant de prêt à porter, présente des avantages et des inconvénients. L'avantage est bien entendu le prix, mais aussi une certaine souplesse et réactivité. En cas de pic de demande, les ouvriers du Bangladesh peuvent travailler fievreusement jour et nuit, c'est plus difficile dans les pays développés. Mais cette localisation pose quelques problèmes. Premièrement, la difficulté à contrôler ce qui se passe à distance, avec le risque de voir ses modèles copiés, ou une production de médiocre qualité ; et les coûts et les contraintes du transport. Ces dernières sont très faibles pour l'instant, mais on ne pourrait pas jurer que cela restera le cas éternellement, si le prix du carburant augmente par exemple.

Récemment, la balance des avantages et inconvénients allait dans le sens de la délocalisation ; mais il n'est pas impossible que la tendance s'inverse sous l'effet de la technologie. La robotisation accrue des activités fait que le coût du travail devient un facteur de moins en moins important, et les machines peuvent devenir bien plus flexibles que les ouvriers à l'autre bout du monde, qui finiront eux aussi par demander des hausses de salaires. Dans ces conditions, l'avantage de la localisation près de ses marchés reviendrait, et on assisterait à une "relocalisation" sous forme d'usines très robotisées.

American Apparel a-t-elle une chance, in fine, d'être pionnière en prêt-à-porter made-in-USA dans un monde où toutes les autres marques auront relocalisé leurs entreprises ?

Il y a de bonnes raisons d'en douter. D'abord parce que ce n'est pas toujours une bonne stratégie d'avoir raison avant tout le monde. Actuellement, les relocalisations d'activités dans les pays riches ne représentent quasiment rien ; il faut se méfier des effets d'annonce et des reportages édifiants sur la relocalisation, qui n'ont qu'un rapport lointain avec la réalité concrète. Même si ce mouvement finit par se produire, quel intérêt y a-t-il a avoir été le premier, si entre-temps les concurrents ont un avantage lié à leur localisation dans les pays à bas salaires ?

American Apparel n'est pas le seul à jouer la localisation américaine ; d'autres marques font de même. Les soucis d'American Apparel viennent de ce que la simple localisation aux Etats-Unis ne suffit pas ; les acheteurs disent toujours qu'ils sont prêts à acheter national, mais la réalité est bien loin des discours. Si la localisation nationale ne se traduit pas par des avantages d'une autre nature, comme la flexibilité de l'outil de production, ou la qualité des produits, elle ne sert à rien. Le patriotisme économique, c'est un discours, pas une pratique des consommateurs.

Le fait qu'il s'agisse du secteur du  prêt-à-porter rend-il le pari plus astucieux ? Pourquoi ? 

Pourquoi pas. Un fabricant de prêt-à-porter comme Zara a tiré un avantage à conserver une partie de sa production en Espagne : cela permet une plus grande réactivité et un meilleur contrôle sur les produits, avec une organisation de production intégrée, dans laquelle les informations sur ce qui se vend et ne se vend pas remontent en temps réel des points de vente vers la production. Dans le prêt-à-porter, ce genre de "juste à temps" peut être un énorme avantage, à condition de savoir l'utiliser.

Cette gestion d'entreprise est-elle suffisante pour être rentable ?

C'est un élément parmi d'autres dans un système. S'imaginer, comme le fait American Apparel, qu'il suffit d'afficher made-in-USA et autres "coton bio" sur des produits dont au bout du compte, la qualité n'est pas différente de celle des concurrents, pour être compétitif, c'est se bercer d'illusions. Ça n'est pas un argument de vente suffisant pour les consommateurs. Le secteur du prêt-à-porter est aujourd'hui fondé sur des dépenses massives en marketing et distribution, et des coûts de production très faibles (d'où la production dans les pays à bas salaires). Cela crée une niche pour ceux qui voudraient vendre des produits de bonne qualité, sans passer par les réseaux traditionnels, et sans recours à un marketing considérable, comme American Giant, qui produit le "meilleur sweat à capuche du monde" (voir ici). 

American Apparel fait la même chose que tous ses concurrents, simplement en croyant que produire aux Etats-Unis sera un avantage. Cela ne fonctionne pas.

Propos recueillis par Marianne Murat

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !