“Fuck les Européens!” Les Américains méprisent-ils l’Union européenne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Fuck the European Union", peut-on entendre dans la bouche de Victoria Nuland, chargée des affaires européennes à Washington
"Fuck the European Union", peut-on entendre dans la bouche de Victoria Nuland, chargée des affaires européennes à Washington
©REUTERS/Stefano Rellandini

Frères ennemis

Une vidéo mise en ligne sur Youtube en dit long sur les relations qu'entretiennent les États-Unis et l'Europe. "Fuck the European Union", peut-on entendre dans la bouche de Victoria Nuland, chargée des affaires européennes à Washington.

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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Atlantico : Victoria Nuland a récemment déclaré, dans le cadre d'une conversation concernant l'Ukraine, "Fuck  the UE!" Cette déclaration est-elle symptomatique des relations entre Washington et Bruxelles, ou ne s'agit-il que d'une anicroche que l'on oubliera vite ?

Anne Deysine : C'est plus qu'une anicroche. C'est un vrai dérapage verbal. C'est vrai qu'elle ne pouvait deviner qu'elle était écoutée ; néanmoins, il y a de quoi être frappé par le caractère plus que désinvolte des différentes remarques, vis-à-vis de l’Union européenne et de l’opposition ukrainienne.

Cela traduit une longue histoire particulièrement compliquée. Certains se souviennent peut-être de Kissinger. "L'Europe, très bien, mais quel numéro de téléphone ?"

Le problème n’a pas entièrement disparu malgré les améliorations apportées par.le traité de Lisbonne. Il y a dorénavant  une haute représentante en charge  des relations extérieures, Catherine Ashton. Maintenant, les Américains savent à qui s’adresser… en théorie. Cela étant, cela les arrange bien, parfois, de s’adresser en bilatéral, à François Hollande par exemple quand il s’agit de contacter le leader d’un pays qui a un siège au Conseil de Sécurité, ou à Angela Merkel quand il s’agit de problème économiques ou financiers.

En fait, les Américains ont comme toujours une position ambivalente : ils critiquent l’Europe parce qu’elle n’est pas unie, mais savent jouer sur le manque d’unité quand c’est dans l’intérêt des États-Unis.

Ce qui est reproché, ici, par Victoria Nuland en termes peu diplomatiques, c’est le manque d’unité de l’Europe qui l’empêche de taper du poing sur la table pour amener l’Ukraine dans le giron européen et faire le travail que Washington s'efforce de faire en sous-main. Ce qui est sous-jacent, c’est l’opposition entre Poutine et les États-Unis.

Les États-Unis ont toujours été un allié historique de l'Europe, puis de l'Union européenne. Quand les relations ont  elles commencé à décliner ?

Les États-Unis ont aidé à la création de l’Union européenne. Si l’Europe a pu se constituer après la guerre, c’est grâce à eux… et une fois que l’Union est devenue trop organisée, ils ont commencé à la critiquer et à la moquer.

Il ne s’agit pas d’un déclin continu, cependant. C’est toujours cette ambivalence qui dicte nos relations : si les États-Unis ont aidé l’Europe à la sortie de la guerre, c’est parce que ça se justifiait aussi commercialement. Ils avaient besoin d’un marché. L’ambivalence diplomatique se retrouve dans le commerce. Les États-Unis veulent une Europe forte, mais pas assez pour leur faire de l’ombre. Forte ; quand ils ont besoin d’une Europe forte ; et faible quand ça les arrange.

Ça n’est pas de l’hypocrisie, ceci dit. C’est simplement "America First". Une notion un peu particulière du patriotisme et de l’exceptionnalisme américain.

Qu'est-ce que cette affaire révèle de l'indépendance de l'Union européenne à l'égard des États-Unis ?

Sommes-nous indépendants… ? De toute façon, l’Union européenne n’existe pas en termes de politique étrangère. L’Europe est un géant économique, mais un nain politique. C’est un bon exemple : Merkel s’est immédiatement indignée, tandis que François Hollande (qui n’a pas intérêt à envenimer les choses, puisqu’il sera à Washington lundi) n’a rien exprimé.

L’Europe n’est pas sous la tutelle américaine : c’est un autre niveau. Au sein de l’OTAN, oui peut être. L’Europe n’est pas indépendante à ce niveau-là. En ce qui concerne l’Union européenne… Nous n’avons pas de ligne politique réelle, pas de mécanisme institutionnel qui permet de prendre les décisions (Catherine Ashton devant réunir un consensus).

Si on ne peut pas poser la question de l’indépendance, on peut toutefois constater deux choses : États-Unis et Union européenne sont dans le même camp ; et les États-Unis aiment les alliés dociles, ils aimeraient que nous agissions selon leur volonté. En un sens, notre incapacité à parler d'une seule voix nous protège des influences américaines.

Peut-on vraiment parler de mépris ? Ou le mot est-il mal choisi ?

Là aussi, il y a plusieurs niveaux. Une bonne moitié des Américains est persuadée que les Européens sont un peuple d’assistés, drogués aux aides sociales. La loi sur la santé est perçue par eux  comme  l’invasion  du modèle « socialiste »  européen qui déferle sur les États-Unis.

Pour autant, il faut prendre en compte  l’exceptionnalisme Américain. Les Américains, en toute bonne foi et de la même façon qu’ils sont patriotes et agissent selon le "America First", sont persuadés qu’ils forment le « peuple élu » ; qu’ils sont voués à un destin exceptionnel. Quand ils essayent d’imposer des décisions au reste du monde, c’est d’abord pour ce qu’ils estiment être le bien commun, puisqu’ils sont convaincus de savoir. Ce n’est pas du mépris ! C’est la certitude de détenir l’unique vérité là où tous les autres se trompent.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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