Syrie : le décret du roi d'Arabie saoudite interdisant le financement du djihad suffit-il vraiment à bloquer tous les mouvements de fonds saoudiens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un récent décret du Roi Abdallah stipule que tout engagement dans une organisation extrémiste sera désormais passible de 5 à 30 ans de prison.
Un récent décret du Roi Abdallah stipule que tout engagement dans une organisation extrémiste sera désormais passible de 5 à 30 ans de prison.
©Reuters

Comédie ?

Souhaitant couper court aux critiques de sa politique étrangère, l'Arabie saoudite vient d'adopter des mesures drastiques à l'égard des "djihadistes" combattant dans des conflits extérieurs. Une intention en apparence louable qui cache mal l'attirance de plus en plus forte d'une partie de la jeunesse saoudienne pour la Guerre Sainte.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Un récent décret du Roi Abdallah stipule que tout engagement dans une organisation extrémiste sera désormais passible de 5 à 30 ans de prison. Quels sont les objectifs derrière une telle mesure et que révèle t-elle des problématiques internes du pays ?

Fabrice Balanche : Le simple fait que le monarque saoudien promulgue cette loi indique justement que les Saoudiens financent et rejoignent ces organisations sur une grande échelle. Mais comment le royaume saoudien définit-il une organisation extrémiste ? S’agit-il seulement d’Al-Qaïda ou cela concerne-t-il toutes les organisations islamistes qui prônent la violence ? Dans ce dernier cas, ce sont tous les groupes rebelles salafistes financés par la monarchie saoudienne qui seraient visés.

La jeunesse saoudienne connaît un profond malaise, les uns sont des consommateurs en puissance qui profitent de la rente pétrolière, les autres refusent ce modèle consumériste et trouvent leur salut dans l’Islam radical. Le Jihad (la guerre sainte) en Syrie est devenu une cause mobilisatrice pour une partie d’entre elle. Cela inquiète la monarchie qui se méfie du potentiel de déstabilisation politique de cette frange de la population radicalisée qu’elle a contribué a formé dans un système scolaire particulièrement réactionnaire qui produit des islamistes en puissance.

Riyad est pourtant accusé régulièrement de soutenir indirectement des milices, notamment en Syrie ou l'organisation Jabhat Al Nosra est, d'après les dires du chef des renseignements saoudiens, financée et appuyée par le Royaume. Comment distinguer le vrai du faux parmi ces contradictions ?

L’Arabie saoudite est une gérontocratie figée par la succession entre frères. Le roi Abdallah est âgé de 90 ans, il est malade d’un cancer depuis des années et une équipe médicale le maintien en vie artificiellement. Le prince héritier, Sultan, n’est que de trois ans son benjamin, il n’est pas en très grande forme non plus. Les autres fils de feu Abdelaziz Al Saoud attendent leur tour avant de laisser la place à la génération suivante. En 1992, le roi Fahd aurait voulu sauter une génération pour confier la couronne au plus apte des petits-fils du fondateur de la dynastie. Mais cela aurait créé trop de conflits entre les différents clans issus des douze épouses d’Abdelaziz Al Saoud. Le respect de la tradition affaiblit le pouvoir central, bloque les réformes socio-économiques, politiques et aiguise la lutte entre les différents clans, dont l’objectif est de s’emparer des postes clés qui procurent un accès privilégiés à la rente pétrolière.

Les clans saoudiens soutiennent les rebelles syriens, certains n’hésitant pas à financer Jabhat Al Nosra ou ses succursales, telle que Jaich al Islam, très présente dans la périphérie de Damas. La guerre en Syrie est une façon de montrer sa force au sein de l’appareil saoudien par groupes rebelles interposés. Le conflit récent entre les rebelles est en partie le fruit de la guerre par procuration que se livrent les différents clans de la famille royale saoudienne. La loi promulguée par le roi Abdallah viserait ainsi à affaiblir un des clans concurrents. Je pense notamment à celui dirigé par Bandar ben Sultan, ancien ambassadeur aux Etats Unis (1983-2005) et puissant chef des services de renseignement. Ce dernier est frustré d’avoir été écarté de la succession du fait de la couleur de peau de sa mère, une servante noire, malgré ses capacités intellectuelles.

Plus largement, que sait-on des liens de l'Arabie saoudite avec les cellules djihadistes ? 

A partir de la guerre d’Afghanistan (1979-1989), l’Arabie saoudite a financé tous les groupes djihadistes qui pouvaient servir sa politique étrangère et/ou celle des Etats-Unis. Mais cette action n’est pas centralisée entre les mains du roi, des clans au sein de la famille royale ou des riches donateurs exercent également une action, qui peut être en contradiction avec la politique officielle. Oussama Ben Laden a largement bénéficié des mécènes saoudiens alors même qu’il avait été déchu de sa nationalité. Enfin, le fait qu’une action informelle soit en contradiction avec la ligne officielle ne signifie pas forcément qu’elle n’est pas soutenue par la monarchie. Elle a simplement besoin de donner des gages de bonne volonté au parrain américain.

Il est clair que les groupes djihadistes caucasiens bénéficient du soutien saoudien. La Russie a clairement accusé l’Arabie Saoudite d’être derrière les attentats suicides de Volgograd. Bandar ben Sultan n’a-t-il pas menacé Vladimir Poutine de punition s’il continuait à soutenir le régime d’Assad ? Les Jeux olympiques de Sotchi sont clairement visés. Les attentats suicides revendiqués par Al Qaïda Liban contre la population chiite sont en fait l’œuvre des services secrets saoudiens qui manipulent des groupes djihadistes. L’objectif est de bloquer le Hezbollah au Liban pour protéger sa base sociale et l’empêcher d’envoyer des troupes soutenir Bachar el Assad en Syrie.

Plusieurs dirigeants d’AQMI ont fait un passage en Arabie saoudite, à l’Université Islamique de Jedda, où sont formés à une échelle industrielle les imams salafistes qui peuplent le monde musulman, y compris l’Afrique subsaharienne. Fort du soutien financier de l’Arabie Saoudite, ils remplacent facilement les imams traditionnels et diffusent l’idéologie wahabite, intégriste et exclusive.

L'Arabie saoudite a souhaité initier une "seconde révolution" en Syrie en s'appuyant sur des formations comme le Front Islamique considéré comme plus "modérée". Peut-on vraiment qualifier ces derniers de "rebelles non djihadistes" comme cela est souvent évoqué ?

Le Front Islamique a été créé en novembre 2013 par l’Arabie saoudite qui souhaite unifier la rébellion syrienne sous sa bannière, depuis que le Qatar s’est pratiquement retiré. La principale brigade de cette coalition est Jaich el Islam (l’armée de l’Islam) dirigée par Zahran Alloush, connu pour être sur la même ligne idéologique qu’Al Qaïda, tout en refusant officiellement d’intégrer la nébuleuse. Ahrar el Sham, autre groupe rebelle membre du Front Islamique, est dirigé par des proches d’Al Qaïda, tel que Abu Khaled al-Suri. Ils se battent aux côtés du Front Al Nosra, reconnu officiellement en novembre 2013, comme la branche syrienne d’Al Qaïda, contre l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), la branche déchue d’Al Qaïda en Syrie. Je ne vois donc pas en quoi les organisations du Front Islamique seraient plus «modérées» que l’EIIL.

« Djihad » cela signifie « l’effort de conversion », traduit abusivement par « guerre sainte », mais on peut aussi convertir les gens par un effort de persuasion dans l’Islam. Malheureusement, pour les rebelles syriens actuels, le combat contre le régime de Bachar el-Assad est associé au triomphe de l’Islam sunnite contre les autres confessions, particulièrement les chiites, leur principale cible. Quant aux chrétiens, ils ne sont pas obligés de se convertir, mais doivent intégrer leur statut d’infériorité. C’est ce que défendent les « modérés » du Front Islamique. Si nous prenons le terme de « djihadiste » dans son étymologie première, nous n’avons donc plus en Syrie de « rebelles non djihadistes ». Si nous prenons la définition de « djihadiste » véhiculée par les médias français : « un étranger qui se bat en Syrie au nom de l’Islam », effectivement le Front Islamique n’est pas constitué de djihadistes, mais cette définition est fausse. Elle est uniquement destinée à masquée l’ampleur du phénomène au public.

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