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Fessée ou heures de colle : pourquoi la punition doit redevenir une composante majeure de l'éducation
©Reuters

Bonnes feuilles

Au fil des décennies, la gifle, la fessée et les heures de colle sont devenues politiquement incorrectes. Aujourd'hui proscrite au profit d'une déresponsabilisation totale, la punition n'est-elle pas pourtant le préalable à une justice véritablement juste ? Extrait de "Apologie de la punition", Emmanuel Jaffelin, éditions Plon (2/2).

Emmanuel  Jaffelin

Emmanuel Jaffelin

 Emmanuel Jaffelin est un philosophe et écrivain français. Il prône l'émergence d'une nouvelle éthique dans son principal ouvrage, Éloge de la gentillesse Bourin Editeur 2011. Il est aussi professeur de philosophie au Lycée Maurice Genevoix de Montrouge, ainsi qu'au Lycée Lakanal de Sceaux.

 

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N’illustrant aucune théorie, mais permettant au moins de faire pièce au rejet manichéen de la punition par cette psychosociologie, un fait divers ayant défrayé la chronique à l’automne 2008 vaut contre-exemple. Après avoir assassiné 77 personnes froidement sur l’île norvégienne d’Utøya pour des motifs idéologiques, Anders Behring Breivik, qui vivait de manière discrète dans une ferme, devint pendant quelques semaines le centre mondial de l’attention des médias. Sachant que la punition qui l’attend n’est en rien mystérieuse, les journalistes essayèrent donc de comprendre ce qui avait pu motiver un tel geste. Relatant le divorce de ses parents qui avait contrarié l’ensemble de la fratrie, un journaliste suisse, ayant lu le blog du criminel et le compte rendu de son procès, fournit des éléments de compréhension, sinon du geste criminel, du moins de ce qui a structuré la personnalité de son auteur : « Tout en grandissant dans un milieu “privilégié”, Anders Breivik pense que son éducation a “complètement manqué de discipline”. A douze ans, il fait les 400 coups avec des amis immigrés, taguant sans relâche les bâtiments d’Oslo. »

Loin de dire que tous les enfants ayant eu une éducation laxiste deviendront tagueurs et tueurs en série, ce fait divers illustre autant la formule de l’Ecclésiaste que l’inanité de la thèse de Gordon. Il éclaire le fait que l’absence de punition ne garantit le bonheur ni de l’individu, ni de la famille, ni de la société. Comme tous les enfants, Breivik, en l’absence de père, avait besoin de voir et sentir ses comportements encadrés et limités. Il a visiblement vécu son enfance comme les héros de la littérature grecque, sans entrave jusqu’à l’acte démesuré qu’un Dieu punit. Le fait que son enfance se déroule sans rappel à l’ordre explique en partie qu’il ait glissé de l’impunition de son enfance au sentiment d’impunité, ce dernier l’ayant grisé dans la préparation de ce crime.

Bien des crimes pourraient ainsi être analysés à l’aune de cette défaillance de l’autorité parentale, de cette faible intériorisation des interdits et de ce sous-développement du Surmoi, instance psychique qui est certes culpabilisatrice, mais surtout fondatrice de toute société, comme l’expose Freud : « Il est conforme à notre évolution que la contrainte externe soit peu à peu intériorisée, par ceci qu’une instance psychique particulière, le surmoi de l’homme, la prend à sa charge. Chacun de nos enfants est à son tour le théâtre de cette transformation ; ce n’est que grâce à elle qu’il devient un être moral et social. » Dans le cas Breivik, le défaut de cette instance psychique a donné lieu à un défoulement pulsionnel : Utøya est devenu le théâtre d’un massacre dont l’auteur est considéré comme un être immoral et asocial. Si l’autorité, dans son pouvoir d’imposer une discipline et d’infliger des punitions, contribue au développement du Surmoi et à l’harmonie de la société, son absence risque donc d’entraîner chez l’enfant un sentiment d’impunité le conduisant à réaliser des actes punissables. L’absence de punition, qu’on a tendance aujourd’hui à présenter comme un trait d’humanisme et un gage de démocratie, ne constitue donc pas un progrès, mais un semis invisible de violence.

Loin de prôner un retour à l’autoritarisme ou à des contextes du passé – les figures viriles, patriarcales ou martiales –, le fait de revendiquer la nécessité de la punition ne vise pas à remettre l’enfant à « sa » place, mais à redonner la sienne à la famille, à savoir force, cohérence et légitimité. D’une manière générale, il convient de ne pas penser la punition « contre celui » qui commet une faute, mais « pour la communauté » à laquelle il appartient et dans laquelle la faute est reconnue. Encore faut-il que cette communauté ne soit pas un agrégat tenant par la simple glu des concessions individuelles, mais une manière pour l’humanité de se réaliser. Or, la prise en compte de l’individualité de l’enfant rend désormais difficile de reconnaître la famille comme une priorité. Punir suppose de s’opposer à l’enfant, et notamment à ses désirs. De chose, pour ne pas dire de Petit Chose qu’il était autrefois, l’enfant est devenu roi. En général, on ne punit pas le roi : on le courtise.

Extrait de "Apologie de la punition", Emmanuel Jaffelin, (Plon éditions), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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