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Jihad, martyr et charia : le programme des Frères musulmans
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Bonnes feuilles

Il y a quelques mois encore, ils dirigeaient l'Egypte. Aujourd'hui, traqués ou incarcérés, ils ont repris le chemin de la clandestinité. Qui sont les Frères musulmans ? Extrait de "Frères musulmans", de Michaël Prazan, aux éditions Grasset (2/2).

Michael Prazan

Michael Prazan

Auteur de nombreux documents et essais, journaliste et réalisateur de documentaires, Michael Prazan a notamment écrit Einsatzgruppen, Les commandos de la mort nazis, (Seuil, 2010) et Une histoire du terrorisme (1945-2011) (Flammarion, 2012). Cette enquête fait suite à son documentaire « La Confrérie, enquête sur les Frères musulmans » , salué par la critique (mai 2013).

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« Le martyre est notre plus grande espérance. » L’espérance dans le combat et le sacrifice. Le don de soi, le don de sa vie au nom de l’idéal islamique, des valeurs de l’islam. C’est l’un des fondements de la Confrérie ; une rupture radicale avec l’islam traditionnel dont jusqu’alors la devise était : « l’amour de la vie ». Al-Banna veut lui substituer sa perception utopiste et intégriste, sa compréhension particulière, fondamentaliste, du Coran. A l’amour de la vie, l’apologie de la mort : « Tant que la philosophie de la mort contenue dans le Coran ne s’est pas substituée à “l’amour de la vie” qui a englouti les musulmans, écrit-il, ils n’accéderont à rien. » Il ajoute : « La victoire ne vient qu’avec la maîtrise de “l’art de la mort”. » Cette mystique sacrificielle de la bataille guidera les commandos de kamikazes se faisant sauter sur les lignes ennemies pendant la guerre Iran-Irak, dans les casernes militaires américaines françaises en pleine guerre du Liban, dans les bus israéliens de la seconde Intifada, et les tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001.

La devise des Frères musulmans est la profession de foi d’un programme plus détaillé, édité en 1936 – le projet politique de la Confrérie –, connu sous le nom du « manifeste en cinquante points ». Hassan al-Banna y propose une liste de cinquante réformes qui devront s’appliquer à tous les aspects de la vie. Elles dessinent précisément les contours d’une théocratie gouvernée par la charia. Un régime autoritaire et répressif rejetant toute forme de mixité dans une société contrôlée par une « police des moeurs ». Une dictature dirigée par un parti unique – le sien. C’est d’ailleurs le sens de l’article premier qui déclare : « Mettre fin aux rivalités de partis et canaliser les forces politiques de la nation dans un front uni et dans une seule phalange. » Le « rétablissement du Califat islamique » (art. 4), qui constitue le but à atteindre, ne pourra se faire sans « insuffler aux jeunes l’esprit du jihad islamique » (art. 3) ni « répandre l’esprit islamique dans tous les ministères du gouvernement afin que les employés se sentent obligés d’adhérer aux enseignements de l’islam » (art. 5). Interdire, surveiller, punir ; voilà les maîtres mots qui filent le programme en cinquante points. Interdire « la prostitution clandestine ou manifeste ; un crime détestable qui mérite la flagellation », « interdire toutes les formes de jeux », « l’alcool et la drogue », « l’usure », « interdire la mixité entre les étudiants des deux sexes », interdire « la danse », « les histoires provocatrices, les livres qui promeuvent le scepticisme d’une manière insidieuse, les journaux qui encouragent l’immoralité et ceux qui profitent de manière indécente des plaisirs lascifs », interdire « les maisons aux influences étrangères qui affectent la langue parlée, les comportements, les façons de se vêtir, les gouvernantes », « surveiller la conduite des employés et mettre fin à la séparation entre la vie privée et la vie professionnelle », surveiller « les théâtres », « les cafés », « la presse » en général, etc. Et puis, « punir ceux qui transgressent ou attaquent la doctrine islamique, tels ceux qui ne se conforment pas au jeûne du ramadan, ceux qui ne font pas leurs prières, ceux qui insultent la foi et ceux qui commettent d’autres méfaits similaires » (art. 20), « inciter les gens à respecter la morale publique et adopter des lois prévoyant de lourdes peines en cas d’infraction », « traiter les fréquentations entre jeunes gens en âge de se marier comme un crime qui doit être puni », etc.

De nombreux points se concentrent sur l’éducation et l’enseignement (n’oublions pas qu’al-Banna était luimême enseignant), réduits pour l’essentiel à l’apprentissage du Coran, « à la surveillance des enfants de façon à inciter les jeunes à la prière et les plus vieux à l’étude », à « la mémorisation du Coran dans toutes les écoles élémentaires ». Un focus tout particulier est enfin réservé à l’éducation de « la femme ». Ses moeurs, ses vêtements, son comportement social ou dans le couple sont passés au crible, soumis à un grand nombre de restrictions, d’interdictions, de mesures d’encadrement et de surveillance. Car, déclare l’article 2, dans les « domaines social et éducatif », « la question de la femme » est « le dossier le plus important ».

Dans la bouche des islamistes, le substantif « femme » est toujours précédé de l’article défini et singulier. Comme si, en utilisant le pluriel (les femmes), on reconnaissait implicitement leur diversité, et par conséquent, leur singularité. Une singularité qui, parce que la grammaire n’est jamais très loin de nos représentations, embarque le sens du côté d’une autonomie de l’individu. Par extension, des choix individuels. De la liberté. Autant de connotations induites, dangereuses, et pour tout dire occidentales. Avec le pluriel, l’individualisme et le féminisme guettent. C’est pourquoi, je pense, les islamistes préfèrent le singulier au pluriel. « La femme », ça fait concept. Une fonction unique. Un mode de vie unique. Un vêtement unique.

Extrait de "Frères Musulmans - enquête sur la dernière idéologie totalitaire", Michaël Prazan, (éditions Grasset), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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