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De nombreux professionnels de la politique abusent du cumul pour gonfler leurs fins de mois.
De nombreux professionnels de la politique abusent du cumul pour gonfler leurs fins de mois.
©Reuters

Un problème très républicain...

L'homme d'affaires Charles Beigbeder a déclaré que s'il était élu aux municipales de Paris, il ne demanderait qu'un euro symbolique en guise de rémunération. Un comportement qui fait échos à celui de Denis Payre, dirigeant du parti "Nous Citoyens", qui dit n'avoir aucun intérêt financier à rester en France. Entre les batailles pour les listes européennes et municipales sur fond de rémunérations, et le risque de virer à la démocratie censitaire de notables, difficile de trouver un équilibre...

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Souhaitant marquer le coup dans la campagne municipale pour Paris, l'homme d'affaires Charles Beigbeder a déclaré que s'il était élu il ne demanderait qu'un euro symbolique comme rémunération. Si elle peut paraître séduisante, cette proposition ne sous-entend elle pas que la politique ne pourrait devenir, par extension, qu'une affaire de personnes déjà fortunées ?

Jean Garrigues : Cette proposition apparaît avant tout comme un coup médiatique, en particulier lorsqu'elle émane de quelqu'un qui est assimilé, à tort ou à raison, à l'élite patronale. Dans le contexte actuel, où l'on constate une coupure de plus en plus nette entre les élites et le reste des Français sur la question du rapport à l'argent, cela peut effectivement séduire. Toutefois, on ne peut s'empêcher de remarquer que cette proposition nous ramène plus d'un siècle en arrière, époque à laquelle l'exercice de la politique était réservé à des notables, aristocrates ou bourgeois fortunés, ces derniers vivant de rentes suffisamment conséquentes pour pouvoir exercer à plein-temps une activité alors non rémunérée.

C'est seulement à partir de 1848 et de l'introduction du suffrage universel masculin que l'on a commencé à indemniser des parlementaires qui commençaient à devenir des représentants de la majorité des électeurs. On peut ainsi affirmer que l'invention de la démocratie est, en France, directement corrélée à l'indemnisation des élus. Autrement dit, la proposition de M. Beigbeder tourne le dos à l'histoire politique française de ces 160 dernières années. La rémunération du personnel politique est certes restée un sujet polémique, comme en 1906 où des débats houleux ont eu lieu sur la revalorisation des indemnités parlementaires, mais il est clair qu'elle a assuré une plus grande pluralité du monde politique sur le plan sociologique.

A l'inverse, de nombreux professionnels de la politique abusent du cumul pour gonfler leurs fins de mois. Est-il possible de pallier ces travers sans pour autant tomber dans une sorte de "démocratie censitaire" où la politique serait réservée à ceux qui n'ont plus besoin de gagner leur vie ?

La question du cumul des mandats pose deux problèmes : d'abord celui de la disponibilité d'élus qui concentrent deux charges différentes, mais aussi celui, effectivement, du cumul des rémunérations. On peut largement comprendre l'étonnement, voire la colère de l'opinion publique face à une pratique qui sous-entend un certain désintéressement. Une meilleure rémunération de la fonction politique me semblerait déjà un bon moyen de revaloriser l'exercice et de réduire les tentations de corruptions. 

Audiard disait déjà sous la IVe République que la politique devrait être une vocation et qu'elle était hélas trop souvent un métier. Le désintéressement supposé de l'homme politique n'est-il finalement qu'une fiction dangereuse pour la construction de nos équilibres démocratiques ?

On peut bien sûr parler de fiction. Le fait de rétribuer matériellement un élu, à l'inverse, n'a pas pour but de favoriser l'acquisition d'une fortune, l'objectif étant de garantir une indépendance financière à ceux qui s'occupent des charges de l’État, ces derniers pouvant ainsi délaisser leurs "métiers" pour s'y adonner pleinement. C'est là le gage de l'autonomie et de l'indépendance du politique.

En conséquence, une meilleure valorisation des rémunérations des politiques, sur le modèle de Singapour où le salaire d'un ministre commence aux alentours de 600 000 euros par an, peut-elle avoir ses vertus ?

C'est là un fait typique de notre époque en France, puisque l'engagement dans la vie publique est effectivement bien moins rémunéré qu'une activité dans le secteur privé, et l'est d'ailleurs de moins en moins. Plutôt que de céder à des passions populistes à courte vue en réduisant les indemnités parlementaires, il m'apparaîtrait bien plus sain sur le plan démocratique de les augmenter pour attirer les talents vers le politique, à une époque où l'on sait que les diplômés des grandes écoles n'ont que peu d'intérêt pour la fonction d'état. Dans une société marchande comme la nôtre, il est illusoire de croire que la rémunération honorifique suffit à entretenir la vertu des parlementaires et autres représentants. Il faut donc utiliser sans pudeur les codes de la valeur marchande afin de s'assurer un fonctionnement optimal de nos institutions.

De nombreux ex-élus, afin de s'assurer une retraite convenable, ont parfois tendance à terminer leur carrière dans des comités théodules inutiles pour l’État. Comment assurer un retour à la vie citoyenne pour ceux qui terminent leurs mandats tout en évitant ce type de procédé ?

Je n'ai hélas pas de solution-miracle, mais votre question renvoie à un débat déjà existant sur la question d'une refonte globale du statut de l'élu, de la durée de ses mandats et de son retour à la vie professionnelle "classique". Sur ce dernier point, il me semble effectivement important que le législateur se penche sur la question de la réinsertion des élus une fois que leurs mandats s'achèvent. C'est là d'ailleurs autant une question de lutte contre l'inefficacité et la corruption qu'une question de dignité, puisque l'on a déjà vu d'anciens députés se retrouver dans une extrême précarité quelques années après leurs mandatures. L'engagement en politique est pour certains une prise de risque sur le plan économique, et l'on devrait prendre en compte ce fait afin de mener une réflexion efficace sur l'amélioration des circuits institutionnels de notre République.

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