Tenir l'Iran à l'écart de la conférence de Genève 2 sur la Syrie, une erreur monumentale<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ONU a indiqué que l'Iran ne fera pas partie de Genève 2.
L'ONU a indiqué que l'Iran ne fera pas partie de Genève 2.
©Reuters

Droit dans le mur

Le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon a exclu lundi 20 janvier l'Iran de la table des négociations de Genève 2, censée aboutir à une résolution du conflit syrien. Cette initiative, qui était attendue par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, provoque le mécontentement de la Russie.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Le lundi 20 janvier 2014, l'ONU a indiqué que l'Iran ne fera pas partie de Genève 2. Une annonce attendue par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui voyaient d'un mauvais œil que l'allié de Bachar el-Assad soit convié à la table des négociations. La Russie, elle, estime que l'Iran est un acteur majeur. Quel aurait été le poids de l'Iran dans ces négociations, et dans quelle mesure le pays aurait-il pu aider à résoudre la crise syrienne ?

Alain Chouet : En premier lieu et compte tenu de l’étendue des pertes humaines et des dévastations produites par ce conflit, il ne faut pas espérer qu’il pourra se résoudre par un seul round de négociations.

En second lieu, il apparaît aujourd’hui clairement que le conflit syrien a largement débordé le cadre d’une contestation civile interne, qu’il s’est internationalisé et qu’il est devenu l’abcès de fixation de la confrontation qui oppose depuis 1979 les deux théocraties islamiques de la région : l’Iran chiite et l’Arabie wahhabite.

L’un et l’autre interviennent directement dans la confrontation en fournissant assistance militaire, financière et politique aux parties antagonistes. On ne peut envisager une (encore très hypothétique) solution au conflit en admettant l’un et pas l’autre à la table des négociations. De même qu’il est absurde de vouloir initier une négociation en posant comme préalable incontournable que l’une des deux parties - en l’occurrence l’actuel pouvoir syrien - ne doit pas pouvoir se rendre à la table des négociateurs ou devrait s’engager à ne défendre et faire valoir aucune de ses positions.

Et, pour savoir dans quelle mesure l’Iran, partie agissante au conflit, peut ou non contribuer à sa résolution, il faudrait commencer par savoir ce que veut Téhéran et l’amener à le dire publiquement. Quitte à en tirer les conséquences. Apparemment, on n’en prend pas le chemin.

Et maintenant que l'Iran n'est plus le bienvenu à Genève 2, comment peut-il influencer le dénouement (ou non) de la crise ?

L’Iran possède une capacité de nuisance par rapport à tout accord qu’il considérerait comme nuisible à ses intérêts. En garantissant son soutien militaire et financier au régime syrien, soit directement, soit par le Hezbollah libanais ou le régime irakien largement dominé par les chiites, Téhéran est en mesure d’inciter Bachar el-Assad et ses représentants à se montrer intraitables à la table des négociations et à repousser les échéances politiques de plusieurs mois en vue de négocier en meilleure position ; puisque les forces du régime semblent regagner du terrain et d’importantes positions stratégiques face à une opposition politique inconsistante et une opposition armée hétéroclite, fragmentée et divisée contre elle-même.

Avec cette exclusion de l'Iran, ne faut-il pas s'attendre à une alliance chiite avec le régime syrien qui va se renforcer ? Comment une alliance forte pourrait-elle se concrétiser dans la guerre en Syrie ? Avec quels impacts politiques ou géopolitiques pour la région ?

L’alliance stratégique syro-iranienne existe depuis plus de 30 ans et elle est forte. Elle est l’alliance de deux régimes de la région dominant des pays qui doivent depuis des siècles protéger leurs minorités non musulmanes, non arabes ou non sunnites dans un océan arabe sunnite qui s’est de plus, maintenant, fortement radicalisé par l’action des monarchies d’Arabie Séoudite et du Qatar. Cette alliance s’appuie également sur le Hezbollah libanais et sur le nouveau régime irakien issu de l’imprudente occupation américaine du pays. Il s’est ainsi constitué de Téhéran à Beyrouth ce qu’il est convenu d’appeler un « arc chiite » qui s’oppose à « l’axe sunnite » que l’Arabie voudrait mettre en place en direction de la Turquie rejetée par l’Europe via le Royaume de Jordanie et une Syrie dominée par les djihadistes plus ou moins contrôlés par ses services. Il y a là un foyer d’antagonismes irréconciliables tant que les régimes de l’Iran et, surtout, de l’Arabie continueront de vouloir fonder leur légitimité sur la seule religion dans ses versions les plus fondamentalistes.

Éloigner l'Iran, n'est-ce donc pas condamner Genève 2 d'avance ? Quelle(s) solution(s) viable(s) proposeriez-vous pour assurer une résolution de la crise syrienne sans que ni les rebelles, ni l'Iran ne se sentent lésés ?

Genève 2 paraît déjà assez mal engagée du fait des exigences préalables radicales de certaines parties à la négociation, des divisions de l’opposition politique syrienne qui - de toute façon - n’a aucune autorité sur les composantes militaires les plus actives de la rébellion, bien décidées à refuser toute forme d’accommodement.

Cela dit, c’est bien l’objectif de toute négociation de tenter de concilier des positions apparemment irréconciliables. Mais le pronostic de la crise syrienne reste très sombre. Il est légitime de demander à l’Iran de cesser d’intervenir dans le conflit. Encore faudrait-il que d’autres puissances extérieures cessent aussi d’en alimenter la violence et de rendre la crise insoluble. En particulier l’Arabie, qui ne se cache même plus d’entretenir et armer les groupes djihadistes, le parti islamiste turc qui leur offre asile et facilités, certains pays occidentaux qui fournissent assistance logistique et formation sans trop savoir à qui elle est destinée.

Se pose enfin et, peut-être surtout, la présence sur place de nombreux volontaires étrangers dont la présence n’a pas toujours une grande valeur militaire, mais qui constituent pour l’Arabie et les pétromonarchies sunnites du Golfe l’assurance qu’il ne pourra y avoir de solution négociée « syro-syrienne » de la crise, ni de transition du pouvoir vers un régime plus démocratique, équilibré et respectueux des minorités, que la monarchie séoudienne considérerait, là comme ailleurs, comme un danger pour sa propre stabilité et à un obstacle à son projet d’endiguement de l’Iran.

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