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Faut-il vraiment se méfier plus des Chinois que des autres puissances économiques concurrentes (hello la NSA…) ?
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Péril asiatique

Aussi redoutés qu'indispensables, les partenaires économiques chinois s'invitent de plus en plus régulièrement dans le capital des grandes entreprises françaises. Dernière "victime" en date invitée à coopérer avec une société de l'Empire du Milieu, le groupe PSA, qui ne peut que constater une méthode qui n'est pas nouvelle.

Atlantico : Le Monde estime que l'Etat va sauver PSA de l'emprise chinoise, sans toutefois prendre la peine d'en détailler les contours. Oui ou non, peut-on parler d'emprise chinoise ?

Jean-François Dufour : Sur le dossier PSA, on peut parler d’un risque d’emprise chinoise à cause des données de base de l’équation. On a un groupe industriel français en situation de vulnérabilité, face à un partenaire chinois en position de force. DongFeng, fleuron du "capitalisme d’Etat" chinois, n’est en effet pas soumis aux mêmes contraintes que PSA. Il opère selon la même logique concurrentielle, mais dans un cadre très différent, avec l’appui financier des banques, et donc de l’État chinois. Dès lors, insérer l’État français dans le tour de table à parité avec DongFeng est une manière de rééquilibrer les choses.

Antoine Brunet : Pour répondre à votre question, il faut prendre du recul. Et rappeler par exemple qu'une autre entreprise européenne, Volvo Automobiles, en difficultés financières chroniques, fut d'abord rachetée par Ford en 2002 pour être mise en vente à son tour par Ford en 2010,  après que celui-ci eut renoncé à la redresser. La seule entreprise à se porter acheteuse avait été une entreprise chinoise, Geely. On assiste aujourd'hui à un remake. Peugeot, après Volvo Automobiles, est en détresse commerciale et financière, essentiellement pour deux raisons : 

- la prolongation interminable de la crise que, par sa sur-compétitivité insupportable, la Chine inflige aux pays occidentaux et à l'Europe depuis 2007 ;
- la sur-compétitivité de l'industrie automobile allemande qui a déplacé, beaucoup plus que les autres, sa chaîne de valeur en Chine où les coûts salariaux horaires ouvriers restent 30 fois inférieurs à ceux de l'Europe occidentale.

Et comme dans le cas de Volvo Automobiles, il ne se présente pas d'autre repreneur qu'un repreneur chinois, les autres acteurs occidentaux du secteur ne s'estimant pas dans une santé commerciale et financière suffisante pour racheter et redresser PSA.

Et pour PSA comme pour Volvo Automobiles, la Chine qui est pourtant en amont à l'origine des difficultés du groupe, peut se permettre de déléguer un "chevalier blanc" pour jouer le sauveteur d'un groupe occidental menacé d'une faillite pure et simple : Dongfeng pour PSA, après Geely pour Volvo Automobiles. Dans les deux cas, un groupe automobile européen  a donc été asphyxié par le jeu économique de Pékin et c'est une entreprise chinoise qui, en se donnant le beau rôle du sauveteur, va s'emparer à bon compte de toute une expérience industrielle, de tout un équipement industriel, de toute une technologie et de toutes sortes de brevets (sans pour autant être engagée à préserver l'emploi local).

Nous ne doutons pas en effet que, très rapidement, Dongfeng va devenir l'actionnaire majoritaire de PSA. La famille Peugeot semble annoncer qu'elle ne participera pas à l'augmentation de capital dont le principe est annoncé. Depuis le début de l'affaire, on répète que les participations de Dongfeng et de l’État français à l'augmentation de capital seront à parité dans le but de maintenir l'équilibre de l'actionnariat entre France et Chine. Mais si au cours du week-end l'augmentation de capital était annoncée à 1,5 milliard d'euros, il semble bien que ce mardi, le montant en soit déjà porté à 3 milliards d'euros. Ce qui porterait l'effort financier de l’État français de 750 millions à 1,5 milliard.

Or, tant pour maintenir et relancer l'activité de PSA en France et en Europe, que pour développer PSA en Chine comme il est prévu, il faudra, chacun l'admet, beaucoup de moyens financiers. On peut d'ores et déjà anticiper que viendra un moment où l'Etat français ne pourra plus accompagner à parité Dongfeng dans les augmentations de capital supplémentaires que celui-ci jugera nécessaires. Ce jour-là, PSA passera sous contrôle majoritaire de la Chine. Et ce sera une autre multinationale occidentale qui aura basculé dans l'orbite de la Chine.

Au total, sur le dossier IBM ordinateurs, sur le dossier Volvo Automobiles, sur le dossier Club Méditerranée, sur le dossier PSA, on voit la Chine concrétiser le tournant tactique qu'elle a opéré en 2009 et qu'elle a officialisé début 2012 : bien qu'elle soit de très loin le premier Etat créancier au monde, la Chine n'est pas du tout  intéressée à devenir le banquier du monde, ce qui l'intéresse, c'est d'acquérir de plus en plus d'actifs significatifs à l'extérieur de ses frontières au détriment des pays qui lui sont concurrents.

Comment se comportent les partenaires commerciaux chinois en affaires ? Et comment se différencient-ils de nos habituels associés occidentaux ?

Jean-François Dufour : Les Chinois ont tendance à se comporter en affaires comme n’importe quel partenaire : ils recherchent leur intérêt. Les Occidentaux qui dénoncent les comportements chinois en affaires ont, par ailleurs, une fâcheuse tendance à oublier que la Chine a, historiquement, appris les méthodes les plus brutales de la compétition commerciale… de l’Occident. On ne peut pas sérieusement attribuer des comportements spécifiques des entreprises chinoises, en termes de compétition internationale, à des facteurs culturels. Par contre, on peut les attribuer à un modèle économique différent développé par ce pays aujourd’hui. La Chine a en effet construit un modèle spécifique – la fameuse "économie de marché socialiste" - qui associe logique de concurrence et pilotage stratégique par l’État ; et qui exploite, dans la compétition internationale, les faiblesses apparues dans le modèle occidental.

Pourquoi les prises de participations chinoises sont-elles souvent présentées comme dangereuses ? Quels sont les risques commerciaux, industriels ou économiques auxquels se confrontent les entreprises françaises comme PSA ou Alstom, qui traitent avec les Chinois ?

Antoine Brunet : Il y a deux grands cas très distincts.

Le premier cas est celui des participations chinoises dans les filiales chinoises des groupes occidentaux. la règle commune posée par l’État chinois est qu'une entreprise occidentale qui veut développer une filiale en Chine doit constituer une joint-venture avec un partenaire chinois en laissant à celui-ci une participation au capital de 51 %. C'est évidemment très dangereux parce que vous investissez en Chine sans avoir la maîtrise de votre investissement.

Le deuxième cas est celui des participations chinoises dans des entreprises étrangères. Aucun Etat occidental ne s'est permis d'imposer la règle que l'Etat chinois fait respecter sur son territoire. Or ce qui intéresse l'Etat chinois et les entreprises chinoises liées à lui, c'est de s'emparer pleinement des entreprises qu'il convoite. Cela passe par obtention de la majorité du capital. Et qu'importe pour lui si pour s'assurer la majorité du capital, il lui faut acheter 100 % du capital. Ses poches sont très profondes. Les entreprises qui sont amenées à faire entrer le capital chinois chez elles doivent savoir qu'elles font entrer un loup dans leur bergerie.

Jean-François Dufour : Les prises de participation chinoises sont souvent perçues comme dangereuses parce que la Chine est engagée dans un mouvement de captation de technologies qui vise à faire émerger ses propres champions nationaux. Les partenaires d’aujourd’hui peuvent de ce fait être les concurrents de demain. Et ce d’autant plus, qu’ils ont  tendance à assimiler et s’approprier très rapidement les technologies auxquelles ils accèdent. Contrairement à un mythe tenace, la copie n’est pas une spécificité chinoise ni asiatique - on la retrouve très présente dans l’histoire industrielle européenne et américaine. Mais aujourd’hui elle prend une dimension particulière du fait de l’ampleur des ambitions chinoises. Face à cette donnée, les entreprises occidentales doivent procéder à des arbitrages – à l’exemple d’Alstom, qui a choisi, il y a quelques années, de ne pas transférer la technologie du TGV à ses partenaires chinois.

Malgré ces pratiques, peu de sanctions sont prononcées par l'OMC notamment. Comment expliquer cette impuissance des institutions internationales ?

Jean-François Dufour : Le paradoxe vient de ce que la Chine s’est très bien adaptée à l’environnement construit par les grandes économies occidentales, alors même qu’elle ne joue pas selon les mêmes règles. Les entreprises chinoises vont rarement enfreindre de manière frontale les réglementations édictées par un organisme comme l’OMC. Mais elles évoluent dans un cadre qui peut opérer une distorsion des conditions de concurrence. Par exemple, elles n’auront pas recours à des subventions directes aux exportations, qui les rendraient condamnables. Mais plutôt à des subventions indirectes – financements ou conditions d’exploitation plus favorables que celles qui correspondraient à une économie de marché –, beaucoup plus difficiles à prouver.

Y a-t-il une spécificité à l'impérialisme chinois ou répond-il aux mêmes logiques que les autres impérialismes ?

Jean-François Dufour : Pour autant que l’on puisse parler d’impérialisme chinois – ce qui est sujet à caution -, il faudrait parler d’un impérialisme de sécurisation. La Chine, pays le plus peuplé au monde, et de ce fait le plus vulnérable à toute déstabilisation économique, s’efforce de sécuriser les ressources – qui peuvent être des matières premières comme des technologies – dont elle a besoin pour relever les immenses défis associés à son développement. C’est cette donnée qui va déterminer son action de projection extérieure, que celle-ci soit géopolitique ou financière.

Antoine Brunet : La question est juste, il faut prononcer le mot : nous sommes aujourd'hui confrontés à la montée fulgurante d'un impérialisme chinois.

La montée de la Chine comme pays impérialiste procède de la même dynamique que celle avant elle de l'Empire britannique entre 1680 et 1815 puis des Etats-Unis entre 1860 et 1940. 

Dans les trois cas, il s'agit pour le pays qui devient impérialiste de se donner un privilège commercial énorme et prolongé au détriment des pays concurrents.  Cela permet au pays de s'emparer d'une part croissante du marché mondial des produits manufacturés. Le pays en retire des excédents commerciaux colossaux et renouvelés qui d'une part dopent la croissance économique (PIB, marché intérieur, emploi) et d'autre part viennent gonfler ses réserves de change et sa position créancière sur l'extérieur. Tout est alors réuni pour que le pays proto-impérialiste utilise  l'importance de son PIB et de son marché intérieur pour intimider les autres pays, pour qu'il utilise sa forte position créancière pour se subordonner les pays les plus faibles et les plus endettés, pour acheter aux pays étrangers leurs actifs les plus stratégiques, pour prendre l'ascendant mondial en matière technologique et enfin pour défier les autres pays en leur infligeant une course aux armements dont il ne peut sortir que victorieux.....

En quoi donc a consisté successivement le privilège commercial énorme et prolongé ?

Dans le cas de l'Empire britannique : un avantage technologique (machine à vapeur, hauts fourneaux, tissage mécanique...) et un contrôle du commerce mondial par le contrôle incontesté des mers par la marine britannique et son réseau mondial de bases maritimes.

Dans le cas des Etats-Unis, plus tard : un avantage technologique (production de masse, chaînes de montage, automobile, appareillage électrique...), un bas coût de main d’œuvre (immigration européenne) et des matières premières agricoles, industrielles et énergétiques très abondantes et très bon marché.

Dans le cas de la Chine depuis les années 90, l'avantage commercial énorme et prolongé est essentiellement dû à trois éléments :
1)  un coût salarial ouvrier horaire en dollar qui était 80 fois inférieur à celui des pays occidentaux en 2004 et qui lui était encore 30 fois inférieur en 2014 (un très bas coût en yuan de la main d’œuvre ouvrière et une monnaie durablement sous-évaluée)
2) les règlements asymétriques de l'OMC  (interdiction aux pays occidentaux de taxer l'importation du made in China tandis que la Chine taxe tranquillement à 30 % les produits occidentaux ; interdiction faite aux pays occidentaux de subventionner leurs produits à l'exportation tandis que la Chine se permet de subventionner les exportations de made in China),
3) le laxisme délibéré de l’État chinois à l'égard des entreprises sur son territoire qui sont  tranquillement  autorisées à polluer  l'eau,  l'air et la terre sans restriction ni contrepartie financière.

Il y a donc bien un ressort commun, un privilège commercial, qui porte la Chine à devenir le pays hégémonique comme auparavant l'Empire britannique et les Etats-Unis.

Mais il y a quatre différences.

La première différence, c'est que la propulsion de la Chine ne s'est pas vraiment construit son privilège commercial (les Britanniques avaient eu le mérite de maîtriser la navigation maritime ou de mettre au point la machine à vapeur, les Etats-Unis avaient eu le mérite de mettre au point le moteur à explosion, la chaîne de montage automobile ...). La propulsion de la Chine provient pour l'essentiel de ce que les pays occidentaux ont accepté, à partir de 1980 et plus encore à partir de 2000, de lui consentir de facto un privilège commercial en acceptant de se mettre en concurrence directe, toutes frontières ouvertes, avec une Chine qui s'était préalablement dotée d'une main d’œuvre ouvrière qui initialement était 80 fois moins chère. Ce sont ses concurrents occidentaux qui en définitive ont tendu le piédestal à la Chine. Un comportement jamais vu antérieurement dans l'histoire de la planète.

La deuxième différence, c'est la configuration. L'Empire britannique, pour se constituer comme impérialiste hégémonique face aux Pays-Bas, avait eu aussi à combattre l'Espagne et la France, qui postulaient parallèlement. Les Etats-Unis pour se constituer comme impérialiste hégémonique face à l'Empire britannique avaient eu à jouer des coudes avec d'autres candidats à l'hégémonie, l'Allemagne, le Japon et l'URSS. La Chine monte seule face aux Etats-Unis, sans qu'aucun autre pays qu'elle-même ne vienne postuler à remplacer les Etats-Unis. Cette configuration est bien entendu très propice à la Chine.

La troisième différence, c'est la relative passivité du pays qui est encore hégémonique, les Etats-Unis. Comment expliquer que Washington n'ait toujours pas remis en cause des règlements OMC outrageusement favorables à Pékin ? Comment expliquer que les Présidents américains successifs aient bloqué le bras du Congrès chaque fois qu'il s'apprêtait très légitimement à voter des droits de douane sur le made in China ? On ne peut expliquer ces énigmes sans évoquer le fait que Pékin s'emploie avec succès à détacher les multinationales occidentales de leurs gouvernements respectifs pour les mettre dans son jeu. Le mécanisme ? Une part croissante de leurs profits mondiaux se fait grâce à leur recours au bas coût salarial horaire des ouvriers chinois et/ou grâce à leur pénétration d'un marché intérieur chinois très dynamique et très margé. Cela donne alors un levier évident et efficace à Pékin pour se les subordonner de plus en plus.

La quatrième différence, c'est que la Chine, le pays qui postule à devenir le pays impérialiste hégémonique, n'a pas de tradition démocratique et subit un régime totalitaire depuis 65 ans. Pékin refuse à sa population le droit de vote, il lui refuse aussi les droits les plus élémentaires (droit de pratiquer sa religion, droit d'association, droit d'expression, droit de manifestation....), il lui refuse un véritable Etat de droit, avec un système de lois  qu'une Justice indépendante puisse faire respecter. Au lieu de cela, on a un Etat-parti qui concentre en son sein tous les pouvoirs y compris le pouvoir judiciaire, et qui peut pratiquer dans tous les domaines un arbitraire total, ainsi qu'une répression politique sans limite a priori. On a un parti dirigeant, le parti communiste, au pouvoir depuis 65 ans, qui s'emploie à dénoncer comme inefficace, dangereuse et nuisible l'exercice de la démocratie politique, ce que  Staline lui-même n'avait jamais osé affirmer. Si la Chine parvenait à ravir l'hégémonie aux Etats-Unis comme cela est son intention, la planète serait pour la première fois dominée par un Etat-parti totalitaire. Tel est l'enjeu actuel.

Propos recueillis par Pierre Havez

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