Lutte contre les paradis et les fraudeurs fiscaux : ce qu'on a vraiment fait depuis la grande crise de 2008 <!-- --> | Atlantico.fr
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Bermudes et Jersey ne seraient plus considérés comme des paradis fiscaux.
Bermudes et Jersey ne seraient plus considérés comme des paradis fiscaux.
©Reuters

Renoncement

Bercy, qui est soupçonné par un quotidien financier suisse d'avoir allégé sa "liste HSBC" d'évadés fiscaux, vient de retirer de sa liste noire des États non-coopératifs en matière fiscale, deux territoires à l'opacité notoire dans le domaine, les îles Bermudes et Jersey.

Eric Vernier

Eric Vernier

Eric Vernier est Maître de conférences à l'ISCID-CO, Chercheur à l’IRIS, Auteur de « Techniques de blanchiment et moyens de lutte » chez Dunod, 2017, 4e édition.

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Atlantico : Si l'on en croit la décision du ministère de l’Économie et des Finances, Bermudes et Jersey ne seraient donc plus considérés comme des paradis fiscaux. Qu'en est-il réellement ?

Eric Vernier : Le ministère de l’Économie et des Finances a en effet décidé de retirer les Bermudes et Jersey de la liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale. L’arrêté a été publié ce dimanche 19 janvier au Journal officiel. La suppression de ces territoires de la liste est rétroactive et prend effet au 1er janvier 2014. Tout le monde, y compris dans la majorité, ne partage pas le point de vue de Bercy. Élisabeth Guigou, présidente socialiste de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale par exemple a précisé dans un communiqué officiel que rien ne justifiait cette décision.

Ce problème est malheureusement récurrent et je le dénonce régulièrement depuis plus de dix ans. Pour ne pas apparaître dans les différentes listes officielles de pays non coopératifs, il suffit de répondre à quelques critères montrant, si ce n’est prouvant, votre bonne volonté de coopérer. Cette mascarade se répète chaque fois qu’une liste est créée ou mise à jour. Et à chaque fois, j’annonce que les bonnes intentions de départ ne sont que des effets de manche, rarement suivis d’effets concrets et effectifs. Sur le papier, ces territoires acceptent en effet de répondre à certaines obligations telles que promettre de signer un accord d’échange d’informations fiscales avec quelques pays amis. En fait, rien de très contraignant et tout le monde est content. Les pays les plus puissants peuvent ainsi faire croire en leur fermeté dans la volonté de lutter contre la fraude fiscale. Les paradis fiscaux peuvent de leur côté continuer leurs petites affaires discrètes et rentables.

En fait Jersey et les îles des Bermudes n’ont rien changé à leurs habitudes. Il est toujours aussi intéressant pour une multinationale d’y implanter une filiale ou pour un riche particulier d’y ouvrir un compte. Aujourd’hui une compagnie aérienne, Blue Islands, ne propose que deux pays de destination depuis Jersey : la Grande-Bretagne et… la Suisse (Zurich et Genève). Dans la même veine, on peut trouver sur le site web officiel de l’office du tourisme des Îles Vierges néerlandaises, mon livre, conseillé comme l’un des meilleurs guides touristiques pour la région. Mon ouvrage s’intitule pourtant "Techniques de blanchiment et moyens de lutte" !

Quelles véritables avancées ont été réalisées ces dernières années en Europe et en France en matière de lutte contre les paradis fiscaux ? Est-ce suffisant ?

Quelles véritables avancées ? Aucune. À l’image de la "loi sur l’acquittement des obligations fiscales relatives aux comptes à l’étranger" (FATCA - Foreign Account Tax Compliance Act) promulguée en 2010 aux États-Unis dont la disposition principale prévoit que les établissements financiers étrangers ont une obligation d’information sur leurs clients imposables aux États-Unis sous peine d’un prélèvement obligatoire de 30% à la source sur les revenus américains de ces établissements, l’Europe a voulu en 2013, mettre en œuvre des dispositions plus contraignantes permettant de lutter contre la fraude fiscale. Parallèlement, le G20 a proposé le 19 avril 2013 un nouveau standard international de coopération qui se traduit par l’échange des données fiscales fin 2015.

On peut donc désormais imaginer que quelque chose va se passer. Je reste néanmoins circonspect et la décision française de ce week-end ne fait que renforcer mes craintes quant à la réelle volonté de mettre fin à ce scandale mondial de la fraude fiscale, qui met à genoux des économies entières. Il faut savoir par exemple que lorsque les pays industrialisés versent un euro d’aide à l’Afrique, il y a en même temps deux euros qui sortent de ce continent pour être cachés dans les paradis fiscaux. Il faut rappeler que la fraude fiscale coûte 100 milliards d’euros à la France chaque année, de quoi régler nos problèmes de dette souveraine. En rapatriant dans notre pays tous les avoirs évadés et en limitant l’usage de l’optimisation fiscale détournée, nous n’aurions plus aucun problème de budget, entrainant ainsi un cercle vertueux de baisse des prélèvements obligatoires.

Les gouvernements successifs alternent entre promesses de fermeté et laisser-faire accru contre les paradis fiscaux. Comment expliquer ces revirements ? Les paradis fiscaux sont-ils indispensables aux États ?

Il y a plusieurs raisons à cette valse-hésitation. La première concerne la pression exercée, notamment par les pays anglo-saxons, pour que le statu quo demeure. Ils sont en cela grandement aidés par les grandes banques internationales et les marchés financiers. La régulation et le contrôle gêneraient les affaires et notamment celles de la City de Londres, qui représente environ 10 % du PIB du pays.

La seconde provient des petits arrangements entre amis sur la plan de la diplomatie internationale. Par exemple lors de votes dans les instances supranationales, il peut y avoir des échanges de bons procédés : "Tu me laisses tranquille avec mon activité bancaire offshore débridée et je vote pour toi." Ce renvoi d’ascenseur a notamment eu lieu en 2009 lorsque la France a accepté de sortir Hong-Kong et Macao des pays évalués pour la liste des paradis fiscaux de l’OCDE. En contrepartie, la Chine reprenait les échanges commerciaux avec la France, échanges échaudés à la suite des Jeux olympiques de 2008 et l’invitation du Dalaï Lama en France.

Enfin, les gouvernements et les partis dont ils sont issus, comme quelques gouvernants indélicats, peuvent avoir un intérêt direct. Les paradis fiscaux servent en effet parfois aux montages de financement occultes des campagnes électorales. Les États peuvent avoir besoin de ces territoires pour par exemple financer discrètement des "rebelles" dans telle ou telle partie du monde. Quant aux dirigeants directement intéressés, nous pouvons citer les dernières affaires européennes (Cahuzac, Lamblin, Infante d’Espagne,…), le Printemps arabe (Kadhafi, Moubarak, Ben Ali,…), la Françafrique, le Président ouzbek, etc.

Propos recueillis par Pierre Havez

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