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Loïk Le Floch-Prigent : "Il faut changer la loi pétrolière en France"
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Gaz de schiste

La proposition de loi, présentée par l'UMP, sur l'encadrement de l'exploitation des gaz de schiste a été adoptée hier, mercredi, à l'Assemblée Nationale. Pour Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France et spécialiste des questions d'énergie, le droit à l'expérimentation doit être respecté. Il revient pour Atlantico sur les enjeux scientifiques, économiques et politiques soulevés par cette nouvelle ressource controversée.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Pourquoi participer au débat actuel autour de l'exploitation du gaz de schiste ?

Loïk Le Floch-Prigent : Parce que les représentants du peuple se saisissent de problèmes qu'ils ne maîtrisent pas totalement. Si l'on regarde l'agitation autour du gaz de schiste et les projets de lois déposés par les grands partis de gauche et de droite, on ne peut qu'être saisi d'effroi devant la dérive de notre représentation nationale. Dans notre pays, la liberté d'expression existe encore. En principe, tout le monde a le droit d'exprimer sa pensée. Mais il est des pensées qui ne sont pas "convenables" par les temps qui courent. Il existe une autre liberté, qui distingue les sociétés archaïques des sociétés de progrès, c'est la liberté d'expérimenter. En d'autres termes, j'ai le DROIT d'expérimenter. C'est un droit imprescriptible, et vous avez le droit de me fixer les principes à respecter dans le cadre de cette expérimentation. Si vous m'ôtez ce droit, je considère ne plus être en démocratie. Car demain, vous me direz ce qu'il faut que je pense, vous choisirez ma religion, et vous légiférerez pour me dire si la Terre est ronde ou carrée.

Quelles sont selon vous les raisons profondes de l'émergence de ce débat ?

Notre problème aujourd'hui est d'expérimenter pour savoir s'il y a vraiment dans notre sous-sol du gaz ou du pétrole exploitables. Tant qu'on n'a pas expérimenté, nous n'en savons rien. Ainsi est notre métier d'ingénieur pétrolier. Qu'est-ce qui change et qui met populations et parlementaires en émoi ? Depuis 20 ans, on nous serine que le pétrole et le gaz vont disparaître, et qu'il faut trouver d'autres sources d'énergie, vite, vite ! Depuis 20 ans, je dis que les réserves augmentent avec les prix : il y a, il y aura du pétrole et du gaz, de plus en plus cher, pendant 100, 150, 200 ans. Ce n'est pas un problème de réserves physiques, c'est une question de prix. Pour tous ceux qui ne veulent pas du nucléaire, qui veulent nous faire revenir au temps du bateau à voile, l'arrivée de cette nouvelle percée technique qui est de nature à augmenter les réserves, est une catastrophe ! C'est l'ensemble de leur raisonnement qui s'effondre. Ils en étaient à remplir la mer de champs d'éoliennes pour remplacer le gaz, et voilà qu'il y en a pour au moins 150 ans encore grâce au gaz de schiste, et en plus chez nous ! Pour eux, c'est une mauvaise nouvelle. Mais pour la collectivité nationale, cela pourrait en être une bonne !

Que pensez-vous du débat parlementaire autour de l'extraction du gaz de schiste ?

Je suis indigné, comme dirait Stéphane Hessel, que le parlement veuille légiférer sur l'expérimentation sur les gaz de schiste. Cela fait 47 ans que je travaille dans le domaine de l'énergie. J'ai participé aux travaux sur le premier choc pétrolier en 1973 et, depuis, je n'ai jamais abandonné ce secteur, que ce soit dans mon travail ou dans mes lectures. Pétrole, gaz, hydraulique, nucléaire, solaire, électricité, stockage… C'est toute ma vie d'ingénieur, de technicien, puis de chef d'entreprise, à pedigree scientifique et technique, et non économico-financier. Vous savez, j'ai connu un chef d'état qui était un adepte du pendule. Il me disait, en actionnant son engin sur la carte de son pays où j'allais trouver du pétrole ! Je préfère l'expérimentation au pendule. Les parlementaires français n'ont aucun titre à faire valoir pour nous dire où et quand nous trouverons du gaz et du pétrole, de nouveau, en France ! Leur rôle est de nous donner les principes de l'exploitation et d'en changer si ceux qui existent ne sont pas satisfaisants.

Légiférer sur l'exploitation du gaz de schiste serait donc une aberration ?

Le pouvoir politique donne les orientations sociétales, le monde scientifique en tire les conséquences. Chacun est dans son domaine de compétences. Il ne me semble pas que l'on élise quelqu'un comme représentant d'une circonscription électorale sur ses compétence scientifiques, mais plutôt pour sa capacité à représenter le peuple dans les grandes orientations à donner au pays, dont une des traductions est le vote du budget de l'Etat. Le parlement est donc dans son rôle lorsqu'il demande que des principes de vie soient respectés lors de ces expérimentations. Il ne l'est pas, il ne peut pas l'être quand il veut interdire des expérimentations. De même, il peut légiférer sur l'expression de la pensée, mais pas sur la pensée elle-même.

Mais reconnaissez-vous que cette expérimentation n'est pas sans risque ?

Il est clair qu'il existe deux écueils. Tout d'abord celui des conséquences négatives de l'industrialisation du monde. Cet écueil est un abcès de fixation, surtout dans les pays nantis. Le deuxième est celui des limites à donner à l'expérimentation pour la préservation du genre humain. Il y a par exemple des règles très strictes à respecter pour les expérimentations sur l'homme, sur l'embryon humain, sur les manipulations génétiques, ainsi que sur le nucléaire civil ou militaire. Les scientifiques sont les premiers à vouloir rendre "propres" leurs expérimentations. C'est ainsi qu'en France a été constitué en 1982 un comité d'éthique, grâce à la détermination du président Mitterrand, dont le premier sujet a été les manipulations génétiques.

Quid des risques de pollution massive, de destructions ?

Le forage vertical, nous en faisons depuis plus de 150 ans. En France, nous avons fait 2 000 à 3 000 puits pétroliers. Nous connaissons parfaitement les zones aquifères, nous les respectons, à la fois parce que nous le voulons et parce qu'elles sont protégées par la loi. Et il n'y a eu aucun incident depuis 100 ans ! Les ingénieurs pétroliers sont les premiers à respecter l'eau, en particulier l'eau douce. En France, nous avons découvert la vertu des puits horizontaux, qui ont ensuite connu un développement mondial. En France, enfin, nous faisons aussi de la fracturation hydraulique depuis au moins 45 ans, sans aucun souci. Ces trois activités sont normées, contrôlées. Il y a des textes à suivre, des examens, des tests… De même, pour forer, il faut des boues, sans cela les outils cassent. Ces boues contiennent des produits, les mêmes depuis 50 ans. On dispose d'une liste de produits agréés. Si la collectivité juge qu'un de ces produits est dangereux, il lui suffit de l'enlever de la liste autorisée. Pour la fracturation hydraulique, on a besoin d'eau, mais pas d'eau potable ! En général, dans notre pays, aux profondeurs où nous allons, bien au-delà des zones aquifères, on peut trouver des eaux saumâtres, non buvables, que nous utilisons et recyclons à l'air libre.

Donc, plus les prix sont élevés, plus il devient intéressant d'extraire le gaz de schiste ?

Exactement ! Dès 1973, nous avions noté l'existence de ces réservoirs complexes dans les schistes. Mais alors leur exploitation paraissait trop coûteuse. Depuis, le prix des hydrocarbures ayant augmenté et les coûts d'extraction ayant diminué, ces réserves sont désormais exploitables. Mais ce sont les Américains qui y vont les premiers. Et chez eux, la loi pétrolière est particulière : le sol et le sous-sol ont le même propriétaire,  ce qui a toujours conduit à ce que certains d'entre eux travaillent comme des cochons ! Ce n'est le cas dans aucun autre pays. Cette particularité conduit à multiplier les amateurismes et le nombre de puits, chaque propriétaire voulant le sien. Et comme il est chez lui, il fait ce qu'il veut !

Que faudrait-il faire selon vous en France quant à ces nouvelles réserves potentielles ?

Désormais, il nous faut savoir si en Europe, en Pologne et en France, par exemple, nos réserves sont ou non abondantes, et ensuite si elles sont exploitables selon nos conditions, nos lois, nos standards de protection de l'environnement. Et ceci avec un sous-sol appartenant à l'Etat sous le contrôle de l'Etat, comme toute notre activité pétrolière depuis 100 ans. Il faut, comme je le dis depuis 1989, changer la loi pétrolière en France.

D'une part les explorateurs et les exploitants doivent payer pour les nuisances éventuelles locales sur les lieux de forage et d'exploitation. Dans tous les pays du monde, les ingénieurs s'adressent aux collectivités et aux particuliers en priorité. En France, c'est à l'administration qu'il faut d'abord s'adresser  !

D'autre part, lorsqu'il y a exploitation, les compagnies paient l'Etat, qui est censé donner sa part à la collectivité territoriale, réduite en général à la portion congrue. Il est clair qu'il est nécessaire de prévoir dès l'origine la part de redevances devant bénéficier aux populations concernées. C'est la conséquence de la loi sur la décentralisation.

Ainsi, à problème simple, réponse simple : s'il y a de de nouveau du pétrole et du gaz exploitables en France, si les conditions d'exploitation sont satisfaisantes au regard de nos lois environnementales, rien ne devrait s'opposer à cette exploitation. Notre balance commerciale serait allégée d'autant, et les Français ne pourraient que  mieux s'en porter. En attendant, pour le savoir, il faut expérimenter. C'est un droit inaliénable de nos scientifiques et techniciens. Un droit constitutionnel, du moment que l'on respecte les garde-fous habituels dans toute expérimentation, ni plus, ni moins. 

Propos recueillis par Judikael Hirel (Agence Centrale de Presse)


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