Ces questions que pose l'affaire Vincent Lambert auxquelles une loi sur l'euthanasie n'apporterait pas davantage de réponse<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le kit de suicide" présenté par le Dr. Philip Nitschke, militant pro-euthanasie.
"Le kit de suicide" présenté par le Dr. Philip Nitschke, militant pro-euthanasie.
©Reuters

Débat sensible

Le tribunal de Châlons-en-Champagne doit prendre une décision dans l'affaire Vincent Lambert, ses parents s'opposant à l'euthanasie passive décidée par le corps médical et par sa femme. L'intervention de la justice dans un cas touchant à la fin de vie pose des questions, toujours laissées sans réponse.

Jean Leonetti

Jean Leonetti

Jean Leonetti est député des Alpes-Maritimes, maire d'Antibes  et ancien vice-président de l'UMP (defévrier 2013 à juin 2014. Médecin, ancien directeur du service de cardiologie du centre hospitalier d'Antibes, il a présidé la mission parlementaire sur l'accompagnement de la fin de vie, qui a conduit à l’adoption de la loi du 22 avril 2005, appelée loi Leonetti. Il a été ministre chargé des Affaires européennes de juin 2011 à mai 2012.

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Atlantico : Le fait que la décision "de vie ou de mort" de Vincent Lambert, tétraplégique en état de conscience minimale depuis 5 ans, se trouve entre les mains de la justice relance le débat sur la sédation en phase terminale voire sur l'euthanasie. Un juge peut-il prendre la décision d'arrêter les traitements de nutrition et d'hydratation artificielles d'un patient ? La justice est-elle légitime à décider de donner la mort, en dépit du refus des parents de la victime ?

Jean Leonetti : La justice dans le cas de Vincent Lambert n’est pas habilitée à dire si on doit choisir la vie ou la mort. Elle est là pour dire si la loi est respectée ou si elle ne l’est pas.

Lors de sa première décision, elle avait constaté que la procédure n’était pas respectée au regard de la loi Leonetti du 11 avril 2005 puisqu’il fallait recueillir l’avis de la famille et que, de toute évidence, les parents de Vincent Lambert n’avaient pas été informés de la suspension des traitements de survie. Dans ces conditions, de manière légitime, le juge a demandé la suspension de la procédure.

Les médecins, avec beaucoup de sagesse, on repris la procédure au tout début en faisant en sorte qu’un conseil de famille soit réuni pour informer tout le monde et que la décision collégiale médicale soit renforcée par un collège d’experts extérieurs. Aujourd’hui, la demande qui se fera au juge est de savoir si la loi telle qu’elle a été votée à l’unanimité en 2005 est respectée ou pas.

A mes yeux, la procédure et le texte de la loi concernent le cas de Vincent Lambert. 

L'avocat des parents de Vincent Lambert déclare : "Vincent est handicapé, il n'a pas de maladie incurable, la loi Leonetti ne s'applique pas à son cas". Que faut-il conclure d'une pareille information ? Comment délimiter la frontière entre sédation en phase terminale et euthanasie ?

La situation de Vincent Lambert est une situation qui ne concerne ni la sédation terminale ni l’euthanasie. Elle concerne le texte de loi qui dit que les traitements peuvent être suspendus ou ne pas être mis en œuvre lorsqu’ils sont inutiles, disproportionnés ou n’ont d’autre but que le maintien artificiel de la vie. Bien évidemment, les traitements concernant Vincent Lambert sont des traitements qui n’ont pas d’autre but que le maintien artificiel de la vie. Dans ce contexte, la procédure collégiale peut décider d’interrompre ces traitements de survie. Cela impliquera qu’une sédation terminale soit mise en œuvre sur la décision d’arrêt des traitements, mais en aucun cas il ne s’agit d’une sédation terminale destinée à mettre fin à la vie de Vincent Lambert et encore moins d’un cas d’euthanasie.

La loi de 2005 s’appelait « droits des malades et fin de vie ». Le premier chapitre concerne l’acharnement thérapeutique – l’acharnement thérapeutique étant bien sûr un abus d’actions médicales, qui concerne des sujets, qu’ils soient en fin de vie ou non. Donc la loi s’applique.

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier, François Hollande a indiqué vouloir encadrer une loi sur la fin de vie. Quand bien même il existerait un cadre législatif, l'affaire en question serait-elle différente ?

Aucune loi dans le monde n’autorise à pratiquer l’euthanasie chez quelqu’un qui ne l’a pas demandé. Dans le cas de Vincent Lambert, aucune directive anticipée – qui est aujourd’hui prévue dans la loi – n’a été écrite. On est donc obligé de se baser sur ce qu’il a confié à ses proches vis-à-vis de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui.

Le président de la République, lors de sa conférence de presse, a repris mot pour mot les propos qu’il a tenu en campagne électorale dans sa proposition 21 et les propos sont suffisamment flous pour qu’on ne sache pas s’il s’agit d’une volonté de légaliser l’euthanasie ou d’une meilleure application de la loi actuelle avec une aide médicale pour soulager les souffrances en fin de vie.

Enfin, le président de la République a aujourd’hui trois rapports (un rapport Sicard, un rapport du Comité national d’éthique et un panel citoyen) qui écartent la proposition de légaliser l’euthanasie.

La réalité de cet enjeu social n'est-elle pas moins le fait de ce qu'il n'y ait pas de loi que le fait que personne ne souhaite être à l'origine de la décision de donner la mort ?

On ne peut pas demander à la famille de décider de la vie ou de la mort d’un proche. Je laisse imaginer les circonstances où une mère qui vient d’accoucher serait décisionnaire de la vie ou de la mort de son enfant. On voit bien qu’on ne peut pas faire peser la responsabilité de la décision de l’arrêt ou de la poursuite des traitements de survie à la famille. La loi dit d’ailleurs qu’on « recueille » son avis ; elle ne dit en aucun cas qu’on est obligé de suivre son avis. Cela permet donc, dans la procédure de Vincent Lambert, à la collégialité médicale de pouvoir prendre des décisions tout en ayant informé et recueilli l’avis de l’ensemble de la famille. Il faut bien se rappeler que la première décision du tribunal n’a jamais été une décision sur le fond qui disait si oui ou non on devait poursuivre le traitement de survie, mais sur la procédure qu’ils ont jugé, à juste titre, incomplète.

Comment est-il concrètement possible de créer un cadre législatif qui prendrait en compte tous les cas de figure ?

Je crois que ça n’est pas possible. La mort, comme la vie, est personnelle, intime, complexe et douloureuse. Il n’y a pas de possibilité de trouver des solutions qui entrent dans le détail de chaque cas particulier.

On m’a dit de trouver un texte complémentaire qui hiérarchiserait l’avis des familles dans la procédure d’arrêt des traitements pris lorsque la personne ne peut pas exprimer sa volonté - comme c’est le cas de Vincent Lambert. Je vois mal qu’on puisse hiérarchiser l’avis de la femme ou du mari à celui du père ou de la mère car l’avis des proches est quelquefois plus important que l’avis d’un parent éloigné. Il faut donc qu’on puisse rester dans une procédure qui à la fois est souple mais en même temps garde des objectifs :

1 – La non-souffrance et le non-abandon ;
2 – Lorsque le malade ne peut pas exprimer sa volonté, recueillir l’avis d’une personne de confiance si elle a été désignée (ça n’est pas le cas pour Vincent Lambert) ;
3 – Recueillir les directives anticipées si elles ont été écrites (ça n’est pas le cas pour Vincent Lambert).

Ensuite, il faut essayer de savoir ce que la personne aurait voulu dans la poursuite d’un traitement, qui peut être, selon les uns ou les autres, apprécié comme un acharnement thérapeutique ou pas. C’est donc à l’issue de cette procédure, qui forcément ne peut pas envisager tous les détails, que la décision est prise.

Je le répète une fois de plus, si la loi était appliquée dans sa totalité, et que chacun d’entre nous avait désigné une personne de confiance et écrit ses directives anticipées, la polémique autour de Vincent Lambert n’existerait pas. Si Vincent Lambert avait désigné sa femme comme personne de confiance et s’il avait écrit que s’il se trouvait en situation handicap majeur, il ne voulait pas prolonger sa vie inutilement, la collégialité médicale pourrait prendre la décision en toute sérénité et sans polémique inutile. 

Propos recueillis par Marianne Murat

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