87% des Français estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu'ils pensent : la part de responsabilité de la crise et celle de l'épuisement du système<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Baromètre du Cevipof montre une nette érosion de la confiance des Français dans les institutions nationales.
Le Baromètre du Cevipof montre une nette érosion de la confiance des Français dans les institutions nationales.
©Reuters

A bout de souffle ?

Le dernier baromètre de la confiance politique réalisé chaque année par le Cevipof démontre un inquiétant affaissement de la confiance des électeurs envers leurs représentants. Si cette tendance a évidemment été accentuée par la crise, les constructions de notre système politique et médiatique ne sont pas hors de cause.

Atlantico : Morosité, lassitude, méfiance, le Baromètre du Cevipof montre une nette érosion de la confiance des Français dans les institutions nationales, notamment la fonction présidentielle, mais aussi au sein de la société. Quelle part de responsabilité la crise porte-t-elle dans cette dégradation ?  

Madani Cheurfa : On a vu à partir du début de la crise financière de 2008, qui a par la suite dégénérée en crise budgétaire et économique, une dégradation de la situation sociale qui a porté son lot de conséquences. Il est ainsi possible de parler aujourd'hui de l'émergence d'une crise morale, liée directement à ces facteurs économiques, qui semble expliquer en bonne partie la stabilité statistique de termes comme "méfiance", "morosité" et "lassitude" dans la réalisation de nos enquêtes depuis décembre 2009.

Michel Maffesoli : Je le dis et je le redis depuis le début de cette “crise” : ce n’est pas la situation économique qui est responsable de la crise, mais celle-ci est un symptôme d’une mutation sociale d’importance, d’un changement de paradigme et d’une inadéquation des catégories d’analyse de la plupart des analystes sociaux avec la pensée du plus grand nombre. Le mot crise, je le rappelle, vient du grec krinein, passer au crible, passer au tamis, trier. La crise traduit la saturation des grandes valeurs qui ont structuré notre être-ensemble dans la modernité, la démocratie représentative, dans laquelle les élus représentaient le peuple, ses aspirations, ses valeurs. C’est ceci qui ne fonctionne plus, le peuple (au sens large) ne se sent plus représenté, il ne se reconnaît plus dans les mots et les actes des gouvernants et dès lors il n’a plus confiance. Mais ne nous y trompons pas, la cause de cette défiance est bien plus profonde que des aléas ou même des évolutions économiques : ce sont les fondements de la régulation sociale, du partage des valeurs, du rapport au pouvoir qui sont remis en question.

Comment la crise a-t-elle agi sur le lien social ? En a-t-elle accéléré la dissolution ? Ou n'a-t-elle constitué qu'un révélateur des conséquences du développement de la société de consommation mondialisée dont les Français n'avaient jusqu'alors pas pris pleinement conscience ? 

Michel Maffesoli : Votre question est double : elle vise d’une part l’ouverture de la France, de l’Europe sur le monde et l’émergence de nouveaux modèles de société. Alors que l’Europe pensait que le modèle qu’elle avait élaboré au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles, celui de la modernité, allait perdurer et qu’elle pensait l’avoir imposé au monde entier, porté par les soldats et les missionnaires, il implose de toutes parts. L’attraction du plus grand nombre de jeunes Européens pour les autres continents, particulièrement l’Asie et l’Amérique latine en témoigne : la mondialisation de la consommation n’est pas seulement causée par les moindres prix, elle témoigne également d’un attrait pour la diversité des produits et des cultures. 

Mais contrairement à ce qui est trop souvent affirmé et c’est la deuxième partie de votre question, cette mondialisation s’est accompagnée d’une relocalisation, d’un resserrement ou d’un recentrage sur les territoires, les villages, les départements ou les régions. Les valeurs de proximité, de solidarité proche, de culture locale fondent une cohésion sociale que j’appelle communautaire ou tribale. Ces deux mouvements ne s’opposent pas, ils se complètent. Car je peux être citoyen du monde et habitant de ma province, de mon petit pays qui n’est plus forcément la Nation. On ne peut donc pas imputer à la mondialisation des échanges la dissolution du lien social. Certes une forme de lien social, celui du contrat social, liant les individus un peu abstraitement dans une Nation, un Etat qui les considère comme égaux voire équivalents, cette forme là de lien s’estompe : celui des partis, des syndicats, bref des formes politiques de la démocratie représentative. En revanche d’autres formes d’appartenance plus proches, plus affectives et émotionnelles se développent, ce que j’ai appelé tribalisation de la société ou résurgence des liens communautaires, des liens fondés sur des émotions communes.

Madani Cheurfa : Il est difficile de répondre à cette question de manière définitive et certaine, puisque les deux jouent un rôle important dans ce domaine. Il faut de plus prendre en compte la spécificité des situations personnelles (sur le plan géographique et socio-économique notamment, NDLR). On peut en tout cas constater, proportionnellement au développement de la défiance envers la sphère publique, un repli d'une partie importante des Français sur la sphère privée (famille, entourage proche…). Dans ce sens, les travaux du Cevipof démontrent que plus on s'éloigne du cercle familial (94% de confiance) plus le niveau de confiance baisse, à tel point que seul 42% des personnes ne sont pas méfiants lorsqu'ils rencontrent une personne pour la première fois.

William Genieys : Il est une gageure de dire que les Français n’avaient pas pris pleinement conscience des effets de la mondialisation. Mais cela dépend de ce que l’on entend par prise de conscience car il s’agit d’un phénomène complexe engageant une connaissance du monde et de ces enjeux que le commun des mortels n’est pas à même de maîtriser. Donc effectivement, la compréhension passe par une confrontation concrète à « ses effets » qui se traduit en général pour les citoyens français par le sentiment de perdre quelque chose, notamment leur qualité de vie. Par contre, il est possible que le discours des représentants politiques des partis de gouvernement n’a peut-être pas été assez explicite et pédagogique sur ce point. Il est vrai qu’il est souvent brouillé par celui des formations politiques populistes qui elles entretiennent le fantasme qu’il est possible d’arrêter la mondialisation en créant des frontières de tous ordres.

Faut-il voir dans les résultats de ce baromètre le rejet d'un modèle de société et particulièrement d'un modèle politique pressé par l'immédiateté constante ? 

Madani Cheurfa : Il est intéressant de remarquer que la vie politique française de ces quarante dernières années a été marquée par un sentiment de "campagne électorale permanente". Ainsi, depuis 1981, la France a connu cinquante élections de tous types (cantonales, régionales, présidentielles…), et ce chiffre ne prend pas en compte les référendums. Sur un plus court-terme de 2007 à 2015, l'Hexagone a connu et connaîtra 15 élections. Nous sommes donc chaque année ou presque convoqué aux urnes, et il est intéressant de constater que 2013, seule année sans élections, a été marquée politiquement par l'horizon 2014 et même parfois par l'horizon 2017. Nos gouvernants sont donc en permanence sommés de nous rendre des comptes, avec un agenda électoral particulièrement resserré. Il s'agit là d'un paradoxe contemporain dans le sens où nous demandons aux responsables politiques d'être à même de se projeter sur une, deux voire quatre décennies alors qu'ils ont de fait la tête dans le guidon en termes de calendriers électoraux. Il n'est pas étonnant en conséquence de voir émerger la prédominance de la communication et parallèlement l'impression dans l'opinion que les gouvernants ne s'occupent pas particulièrement des attentes des Français.

William Genieys :Plus que le rejet d’un modèle de société, c’est l’incapacité à repenser notre système de redistribution de la richesse et par la même à nous projeter dans ce nouveau monde qui pose un problème. Est-ce que nous nous posons la question de la façon dont nous aimerions être perçue collectivement par les pays tiers qui bénéficient des effets de la mondialisation, je ne crois pas. Le problème est que nous nous renfermons autour de la croyance à l’exportabilité de notre modèle de société. Si aujourd’hui la France garde son crédit sur la scène internationale c’est uniquement sur le terrain des opérations militaires (Mali et Centre-Afrique) et dans certains secteurs technologiques où elle est encore très performantes. Malheureusement, c’est deux domaines sont très dépendant de la mondialisation.

Michel Maffesoli : Un des aspects de ce qu’on appelle crise et que j’appelle changement de paradigme concerne effectivement notre rapport au temps. Dans la modernité, le temps s’écoulait de manière diachronique, passé, présent, futur. C’est le temps de l’histoire et du politique qui construit des programmes : “demain on rase gratis”. Le christianisme comme le marxisme ou le socialisme se sont construits sur cette attente d’un avenir meilleur, au Ciel ou sur Terre, mais pour nos enfants. Très clairement l’aiguille du temps s’est déplacée : ce qu’on appelle le présentéisme, cette attention extrême portée à ce qui se passe “ici et maintenant” ne signifie pas un oubli du passé ou du futur, mais plutôt leur incorporation dans le présent : un présent gros du passé et contenant immédiatement le futur. Bien évidemment, les programmes politiques construits essentiellement sur une vision dépassée du temps historique ne sont plus en adéquation avec le temps ressenti, ce temps cristallisé au présent.

87% des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce qu'ils pensent. Faut-il y voir une sanction de la façon dont ils ont géré la crise ? Ou le résultat d'un réel éloignement des élites des préoccupations quotidiennes et concrètes des Français ?

Michel Maffesoli : C’est quand les mots ne correspondent plus à l’imaginaire d’une époque que se développent ces maux que sont les extrémismes de toutes natures, la xénophobie, le racisme, la peur de l’autre (le même sondage fait d’ailleurs apparaître que le sentiment de peur de l’autre aurait augmenté). Ce que les politiques n’offrent plus aux Français, aux hommes ordinaires, ce sont des mots et des phrases en adéquation avec l’époque : les hommes politiques doivent établir le récit d’une époque, ils doivent dire les mots qui agrègent les hommes dans une perception commune du monde, les mots qui permettent le consensus (sentir, éprouver ensemble).

Madani Cheurfa : Ce chiffre de 87% est effectivement interpellant, d'autant plus qu'il n'a jamais été atteint dans nos précédentes enquêtes. Dans le même sens, 60% des sondés affirment n'avoir confiance ni dans la gauche, ni dans la droite, un taux qui est là encore un "record" en la matière. Cela révèle clairement un divorce relativement récent entre les élites et les électeurs, entre les représentants et les représentés. D'un côté, la population est accusée de succomber de plus en plus facilement aux sirènes du populisme, de l'autre les élites sont décrites comme une sorte "d'oligarchie des incapables" responsables des problèmes actuels. Ces deux acrimonies se sont répondues et auto-entretenues de manière assez nette sur ces dernières années.

William Genieys : Ce chiffre assez éloquent doit être pris avec des pincettes car il regroupent à la fois ce qui veulent plus de réforme et ceux qui n’en souhaitent aucune. Par ailleurs, on ne peut pas dire que les élites politiques et notamment celles qui gouvernent ne se préoccupent pas du sort quotidien des Français. Au contraire, qu’il s’agissent de l’ancienne présidence de la République ou encore de la nouvelle des solutions sont avancées, formulées et reformulées même si l’efficacité parfois se fait attendre. La France ne s’est pas retrouvé dans la situation de ces voisins de l’Europe du Sud. Là-dessus, il y a un amalgame malsain entre les « petites affaires » politiques, au fond propre à tous systèmes démocratiques, qui sont mis en exergue par les réseaux sociaux ou encore la communication de l’immédiat, et les réformes engagées par les différentes majorités gouvernementales. Ces entreprises de délégitimation « par le bas » de l’action politique exacerbe la césure supposés entre les élites et les citoyens. La question est de savoir à qui cela profite.

Alors que les avantages de l'appartenance à l'Union européenne sont de plus en plus minimisés, les échelons locaux continuent, eux, d'inspirer confiance. Quels sont les facteurs qui nourrissent les craintes, visiblement grandissantes, des Français vis-à-vis du monde extérieur ? 

Madani Cheurfa : Cela s'explique par une certaine incompréhension à l'égard de la mondialisation et de ses conséquences économiques, ses effets négatifs et dévastateurs étant les plus visibles pour le plus grand nombre. Cela explique aussi le repli sur les structures de proximité évoquées un peu plus haut, tant sur le plan privé (la famille) que sur le plan politique (61% des Français font ainsi confiance au maire de leur commune contre seulement 27% pour les députés européens et 25% pour le Premier ministre). Il s'agit là d'un moyen de réinvestir des repères plus habituels, classiques et traditionnels. Cette tendance explique le besoin accru de protection demandé par les Français (47% en 2013 contre 30% en 2009), notamment sur le rôle de l'Etat-providence, et dans le même temps la défiance prononcée envers les structures politiques lointaines (l'Union européenne, le G20). Ce fait se retrouve sur le plan des institutions, puisque l'hôpital, l'armée et la police continuent de générer de la confiance (respectivement 79, 74 et 68%) tandis que les institutions portées sur les intérêts particuliers (syndicats, banques privées, partis politiques) sont dépréciées.

Michel Maffesoli : L’Europe dans sa dimension culturelle et d’identification à des valeurs communes continue sans doute à mobiliser les jeunes générations, il n’y a qu’à voir le succès que continuent à remporter les échanges d’étudiants, d’apprentis et de jeunes en général. La mobilité intra-européenne traduit une véritable appropriation de cet espace commun. Ce qui est en revanche rejeté dans l’Union européenne, c’est son aspect trop ouvertement économiciste et gestionnaire. 

En revanche, les institutions locales sont plébiscitées dans leur capacité à administrer les affaires communes de la cité, c’est-à-dire faire de la politique. (polis, la cité). 

Comme le rappelait il y a quelques heures le président Devedjian dans ses voeux au Conseil général des Hauts de Seine, ce sont essentiellement les institutions étatiques que rejettent les Français. Les Français font confiance aux institutions municipales, régionales et même départementales parce qu’il s’agit d’institutions de proximité, plus petites, moins bureaucratiques et sur lesquelles ils ont l’impression d’avoir plus de prise. Ce sont également des institutions qui peuvent porter attention aux particularismes locaux et qui constituent une forme de gestion (à condition qu’elles ne singent pas la technocratie d’Etat) au plus proche des besoins des habitants.

William Genieys : La remiseen question de l’UE est simple à comprendre. C’est le suppôt de la mondialisation, le lieu de compromission entre les nouvelles oligarchies et les technocrates de Bruxelles. Alors il faut jeter l’eau, le bain et le bébé et après tout ira bien. C’est argumentaire est fallacieux mais malheureusement bien ancré dans la société française et cela depuis le référendum sur la constitution européenne de 2005. Sur ce point, il est vrai que certaines élites politiques ont joué un jeu déloyal vis-à-vis de l’Europe politique. Par contre, que les échelons locaux inspirent confiance là c’est le syndrome d’Astérix et du village des gaulois. A ce niveau on va résister à la mondialisation… C’est sûr que si l’on prend comme modèle ce niveau de la représentation politique qui ne se caractérise pas par une grande appétence pour les réformes en tous genres (mille-feuille administratif, politique de l’emploi public, fiscalité locale) on se trouve encore une fois à la recherche de garde-fous qui ne sont qu’imaginaires. C’est sur ces échelons politiques ne sont pas très mondialisés et clientélisme obligeant on peut s’y retrouver.

La fébrilité actuelle des Français est-elle comparable à celle qu'ont connu les sociétés européennes au lendemain de la crise de 1929 ? En quoi l'expérience de l'époque peut-elle éclairer leurs attitudes et leurs attentes ? 

Michel Maffesoli : La crise traduit, je l’ai dit, un changement, la saturation de certaines valeurs, l’émergence de nouvelles valeurs. La crise de 1929 qui a abouti dans les expériences totalitaires que l’on sait, a sûrement été le point d’apogée du productivisme et du nationalisme. C’est pourquoi sa résolution n’a fait qu’accentuer ceux-ci : produire toujours plus, fût ce essentiellement des armes et augmenter toujours le pouvoir de la Nation, jusqu’à la guerre. 

On n’est absolument plus dans la même équation : l’énervement, la fébrilité de l’entre-deux-guerres et particulièrement des années 1930 devait aboutir à renforcer le mouvement, la course en avant : course pour les territoires, notamment dans les colonies, course pour les armements, course pour la production. La fébrilité actuelle, pour le meilleur et pour le pire, s’épuise dans l’acte, dans le présent. Pour le meilleur, dans tous ces mouvements spontanés de rassemblement émotionnels, festifs, sportifs, culturels, solidaires. Pour le pire, dans les émeutes, les rumeurs, les courants de haine qui parcourent la toile. 

69% des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout. Ils continuent pourtant de considérer comme le moyen d'expression le plus efficace. Comment comprendre cet apparent paradoxe ? 

Madani Cheurfa : Il faut à mon avis distinguer deux choses. Ce paradoxe illustre en soi le fait que les Français s'intéressent à la politique sur le mode de la "politisation négative" (une politisation forte de la vie publique corrélée à une nette défiance à l'égard du personnel politique). Ils ne croient pas en la démocratie mais une part de plus en plus importante d'entre eux imagine des formes d'expressions politiques différentes. Si les élections restent privilégiées, la manifestation arrive en deuxième place et marque une appétence pour les formes "non-conventionnelles" d'expression politique. Les Français s'intéressent à "la politique", mais ils rejettent de plus en plus "les politiques" en tant que tel.

William Genieys : Ce paradoxe au fondement même de ce type de régime représentatif. En démocratie, les opinions divergentes peuvent et doivent s’exprimer, c’est la liberté fondamentale qui la fonde. C’est pour cela qu’on ne peut que défendre de mode d’expression du pluralisme politique. Par contre, ce régime contient un oxymoron, c’est qu’il doit également admettre un pouvoir de direction fort sur et dans les politiques publiques qui engage les citoyens autour d’un devenir collectif. Et aujourd’hui, tout le problème réside dans la conciliation de ces deux attentes qui en période de crise ont tendance à ne pas converger. Il est alors peut-être temps de reformuler notre pacte constitutionnel pour faciliter cela en créant une VIème République.

Michel Maffesoli : On analyse une époque avec le “stock de mots et de connaissances” de l’époque. Il n’est donc pas étonnant que l’expression de la volonté populaire s’exprime encore par le mot de démocratie, pouvoir du peuple. Il n’empêche, quand les discours de l’opinion publiée (les politiques, les intellectuels, les journalistes, les hauts fonctionnaires) correspondent aussi peu avec ce que ressent et vit au jour le jour l’opinion publiée, la démocratie n’est plus qu’une forme vide, un mot incantatoire.

Mais une chose est de constater que le mode de régulation du vivre ensemble qu’était la république démocratique ne fonctionne plus, une autre d’en imaginer de plus adéquats à l’époque. Très clairement, le principe d’individualisme qui était au fondement de l’époque moderne, des individus libres, déliés de tout lien d’appartenance communautaire, égaux et rassemblés par le seul contrat social les liant à l’Etat censé représenter l’intérêt général, ce principe ne fonctionne plus. Les individus ne se définissent plus par une seule identité, celle de leur classe socio-professionnelle, de leur revenu, déterminant leur comportement, leur culture, leur habitus comme disait Thomas d’Aquin. Au contraire, ils se définissent par des appartenances à des groupes plus restreints, des communautés, des tribus : multiples et diverses. Je peux être membre d’une corporation professionnelle, mais aussi d’une communauté regroupant les personnes ayant la même origine géographique que moi et encore d’une tribu de fans d’un groupe musical ou d’un sport ou d’un jeu de rôles vidéo ou grandeur nature. Toutes ces identités composent ma personnalité, mes personnalités. Et la question de la gouvernance qui se pose n’est donc plus celle de la représentation des citoyens par des élus, mais celle de la régulation des rapports de ces différentes tribus, communautés entre elles. Il va falloir trouver de nouvelles manières de vivre ensemble, de s’accomoder les uns aux autres, de définir le bien commun. Et pour cela nos institutions démocratiques vieillissantes ne nous seront pas de beaucoup d’aide. La Res publica, la chose publique est à réinventer. Mais ce ne sont pas les politiques et les fonctionnaires d’Etat, essentiellement préoccupés de conserver leur pouvoir et leur territoire d’intervention qui pourront le faire. Le mouvement viendra d’en bas, et peu à peu se mettront en place de nouvelles formes de gestion du bien commun.

59% des Français attendent de l'Etat qu'il fasse davantage confiance aux entreprises pour faire face aux difficultés économiques. Comment interpréter ce que l'on peut qualifier de retournement : ils n'étaient que 43% en décembre 2009 ? Ce chiffre, qui entre d'ailleurs en résonance avec les récentes déclarations de François Hollande, est-il porteur d'un potentiel tournant pour la France ? Et la crise l'a-t-elle d'ailleurs paradoxalement provoqué ? 

Michel Maffesoli : L’entreprise est certes une entité économique, mais elle incarne également un imaginaire : anti-étatique avant tout, anti-fonctionnaire. Cette évolution traduit également une aspiration générale à se passer désormais de ces “décideurs publics”, technocrates et hommes de cabinet qui prétendent faire le bien des gens, fût ce contre leur volonté. L’opinion publique en a assez des donneurs de leçons. 

Madani Cheurfa : Tout d'abord, on remarque que les Français se disaient plus protectionnistes du temps du gouvernement Fillon et il est intéressant de noter que depuis l'arrivée du gouvernementAyrault ils sont effectivement davantage portés sur des rhétoriques plus libérales économiquement parlant. Cela reflète d'une certaine manière l'idée que les Français ont tout essayé, et dans le cadre actuel de crise de l'emploi, les entreprises sont aujourd'hui perçues comme les plus à même de résorber le chômage. Ainsi, la libéralisation administrative et fiscale du monde de l'entreprise annoncée dans le cadre du pacte de responsabilité souhaité par François Hollande lors de ses vœux du 31 décembre est une tentative de répondre directement à l'angoisse des Français en termes d'emplois. 

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