L'accord sino-russe qui pourrait bientôt renverser la donne énergétique<!-- --> | Atlantico.fr
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La Russie a des ressources gazières abondantes.
La Russie a des ressources gazières abondantes.
©Reuters

Puissante Sibérie

Dans le domaine énergétique la Russie, aux ressources gazières abondantes, et la Chine, à la demande de plus en plus vorace, ont toujours fait figure de partenaires a priori naturels, pourtant jusqu'à cette année les deux pays n'avaient jamais pu trouver d'accord. La situation pourrait bien changer en 2014.

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : Nouvelles considérations écologiques ou hausse de la demande chinoise, quels changements permettent finalement d'envisager un partenariat commercial énergétique entre la Russie et la Chine ?

Nicolas Mazzucchi : La question de l’environnement agite de plus en plus les Chinois, tant au niveau de la population que des dirigeants. Les grandes villes, à commencer par Pékin et Shanghai, ne cessent, eu égard à leur croissance, de battre régulièrement des records de pollution et cette question semble devenir de plus en plus centrale dans les débats autour du développement du pays. La Chine qui avait jusqu’à présent majoritairement compté sur les ressources énergétiques de son territoire (charbon et pétrole puisque, rappelons-le, la Chine est le 4e producteur mondial de pétrole) se trouve obligée de diversifier de plus en plus ses sources d’énergie. En outre le développement de l’automobile individuelle dans le pays oblige à doublement regarder les sources de production électrique pour ne pas faire exploser les niveaux de pollution atmosphérique. Dans cette optique la Chine développe depuis quelques années des programmes dans le solaire et l’éolien, lance un véritable plan nucléaire pour la construction de plusieurs dizaines de centrales et surtout augmente sans cesse ses importations de gaz naturel puisque c’est, de tous les hydrocarbures, le moins polluant. Le passage de la "Chine brune" à la "Chine verte" est peut-être lancé, toutefois le pays restera de longues années encore un très gros pollueur.

Par ailleurs, la croissance de la demande s’entend dans un sens quantitatif puisque la population chinoise ne cesse de croitre, mais aussi dans un sens qualitatif, puisque cette dernière souhaite de plus en plus disposer d’équipements individuels (électroménager, informatique (mobile notamment), automobile) gourmands en énergie. Dans ce sens le gaz apparait aussi comme une très bonne solution de production électrique pour équilibrer la balance entre hausse continue de la demande dans un pays de plus d’un milliard d’habitants et les questions de sécurité des approvisionnements et de développement économique national. Les centrales thermiques ont l’avantage d’être bon marché et faciles à piloter contrairement au nucléaire qui nécessite un haut niveau technologique et aux renouvelables qui sont pour le moment plus des solutions d’appoint que la base d’un mix énergétique. Le gaz représente donc pour la Chine la solution la plus logique et, en ce cas, la Russie fait figure de partenaire peu contournable.

Quelle est la nature de ce possible accord ? A quoi ressemblera le nouveau pipeline prévu, et quand sera-t-il effectif ?

L’accord porterait non-seulement sur la construction du gazoduc à l’Est des deux pays, au niveau de la Mandchourie, mais également sur la fourniture sur une longue durée (30 ans normalement) de gaz à des prix convenus (indexés ou non sur les cours mondiaux). Ce type de contrat dit take or pay permet de rentabiliser les infrastructures lourdes que sont les gazoducs. Cela permettrait à Moscou de disposer de revenus stables et à Pékin d’assurer partiellement sa sécurité énergétique, pour autant que le réseau de gazoducs interne à la Chine permette de bien dispatcher le gaz dans les différentes provinces.

Si tout va bien le gazoduc devrait entrer en service pour la fin de la décennie (entre 2017 et 2019 selon les estimations) et boucler le cycle de négociations russo-chinoises entrepris en 2009 à ce sujet. Ainsi cela fait quelques années que les deux gouvernements tergiversent et jouent une partie de poker, la Russie mettant en avant ses clients en Europe pour montrer à la Chine qu’elle n’a pas besoin d’elle et la Chine jouant la carte de la diversification en Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan) et dans le Golfe où les importations de GNL (gaz naturel liquéfié) depuis le Qatar ne cessent d’augmenter depuis 2006.

Quelle influence cette coopération aura-t-elle sur les prix du gaz au niveau mondial ?

Elle devrait rester modérée pour la bonne raison que les prix du gaz n’existent pas par eux-mêmes. Ils sont indexés sur les cours du pétrole et il faut un évènement majeur comme le boom du gaz de schiste aux États-Unis en 2009 pour voir un changement profond dans la courbe. En réalité la demande de gaz chinoise, même si elle est récente, ne cesse d’augmenter depuis 2002-2003, c’est donc un trend qui pouvait facilement s’anticiper. De l’autre côté, il était certain pour la Russie que son salut, avec la baisse des consommations en Europe et la volonté de certains pays comme la Pologne et la Roumanie de se lancer dans le gaz de schiste, passerait nécessairement par l’Asie (Chine, mais aussi Corée du Sud et surtout Japon). Le souci est que les deux pays se sont lancés dans une grande compétition géo-économique pour l’influence en Asie centrale depuis le milieu des années 2000 et que cette défiance réciproque a longtemps retardé les accords. La Russie voit ainsi d’un très mauvais œil le fait que Pékin prenne de plus en plus de place dans ce qu’elle considère comme "l’étranger proche", notamment le Kazakhstan. D’un autre côté Pékin a un besoin irrépressible des ressources de ces pays et s’inquiète de la relation cordiale entretenue entre la Russie et l’Inde, un de ses adversaires historiques. Ces tensions se concrétisent au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) qui est le condominium russo-chinois sur la région et où les deux visions concurrentes s’affrontent. D’un côté la Russie veut en faire un espace d’entente sur les cours quand Pékin aimerait la transformer en une sorte de marché commun des matières premières. En ce sens l’accord russo-chinois serait une forme d’entente quasi-obligée sans qu’on puisse parler d’alliance ou de connivence entre les deux ; ce serait plutôt un mariage de raison.

Quelles seront les conséquences géostratégiques au niveau mondial en cas d'accord entre les deux pays ? Et en particulier pour l'Europe de l'Est, très dépendante du gaz russe ?

Je ne pense pas que l’équilibre énergétique de l’Europe se joue en Asie. A mon sens c’est avant tout une affaire entre Européens. Tant qu’on ne se sera pas mis d’accord sur une politique européenne de l’énergie – puisqu’après tout c’était l’un des deux piliers de base de la CECA – rien ne changera vraiment. Les initiatives de certains pays de se tourner vers le gaz de schiste (Pologne, Roumanie) permettent surtout d’échanger une tutelle russe pour une tutelle américaine dont les majors comme Chevron-Texaco ou ExxonMobil seront les principaux bénéficiaires. Chaque pays est en ce sens un cas particulier et il est impossible de comparer la France qui n’est quasiment pas dépendante de la Russie vu que le gaz consommé ici vient principalement d’Europe du Nord et d’Algérie et l’Allemagne qui est le hub de distribution du gaz russe en Europe et son principal client... La Russie dispose largement des ressources pour approvisionner tant l’Europe que la Chine, puisqu’elle peut également servir de plateforme de réexportation du gaz produit en Asie centrale vers le Vieux continent vu qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de réseau direct Europe-Asie centrale ; c’était d’ailleurs l’idée ultime du Nabucco de relier Europe et Caspienne pour ensuite se prolonger vers l’Asie centrale.

Quant à la réduction au niveau mondial des émissions de gaz à effet de serre, l’impact en ce sens serait assez faible puisque la montée en puissance du gaz dans la production électrique chinoise serait contrebalancée d’un côté par l’augmentation du nombre de véhicules et de l’autre par la montée globale de la production électrique nécessaire à l’économie du pays. Il faudrait un véritable changement politique intérieur sur le long terme pour que la Chine devienne verte ; même si elle fait des efforts, somme tout limités pour le moment. De même au niveau mondial il faudrait un accord associant tous les principaux pollueurs (États-Unis, Chine, Inde, etc.) pour arriver à quelque chose de significatif. Or ces derniers semblent très loin de la vision européenne en ce domaine de réduction brute des émissions de gaz à effet de serre.

Propos recueillis par Pierre Havez

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