Sinistres liés aux catastrophes naturelles : l'Europe double les États-Unis pour la 1ère fois en 2013 <!-- --> | Atlantico.fr
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Les cyclones ont été moins nombreux outre-Atlantique cette année.
Les cyclones ont été moins nombreux outre-Atlantique cette année.
©Pixabay

Changement profond ou hasard ?

Pour la première fois en vingt ans, les coûts liés aux catastrophes naturelles de 2013 sont plus élevés en Europe qu'aux Etats-Unis, a déclaré la compagnie d'assurances Munich Re. Les cyclones notamment, ont été moins nombreux outre-Atlantique, tandis que les inondations, les tempêtes et autres pluies de grêle ont forcé les compagnies européennes à mettre davantage la main à la poche.

Magali  Reghezza

Magali Reghezza

Magali Reghezza, enseignante-chercheuse en géographie à l’École nationale supérieure, est spécialiste de l'aménagement des espaces urbains à risques. et a co-dirigé l'ouvrage Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, aux éditions Le Manuscrit.

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Atlantico : Ce changement est-il le signe d'un basculement profond sur le plan climatique, ou un simple hasard météorologique qui pourrait être contredit dès 2014 ?

Magali Reghezza : Une seule année ne suffit pas à tirer des conclusions. Les évolutions du climat se mesurent sur des temps bien plus long. C'est d'ailleurs un des points central du débat actuel sur le changement climatique : il existe des variations climatiques, naturelles, qui ont affecté et affectent la planète. Certaines se mesurent sur une dizaine d'années, d'autres sur quelques siècles, d'autres sur plusieurs millénaires, etc. En revanche, il faut bien distinguer deux choses : d'un côté la nature des processus physiques incriminés, leur fréquence et leur intensité. La question est ici de savoir s'ils sont plus nombreux, plus intenses, plus irréguliers, etc. que par le passé. Pour l'instant, on manque cruellement de recul. De l'autre, la nature des dommages : vous pouvez avoir des phénomènes de faibles ampleurs qui créent des dommages majeurs et des phénomènes extrêmement violents qui ne créent pratiquement pas de dommages. Le dommage va dépendre de trois choses : l'exposition directe et indirecte des personnes et des biens - pour faire simple, plus il y a de gens en zone exposée et plus il y a de risque -, leur vulnérabilité, c'est-à-dire leur fragilité- même si vous vous êtes exposés à une inondation, si votre maison est construite avec des matériaux capables de supporter une submersion, vous ne risquez rien - et de la valeur des biens exposés. La compagnie d'assurance mesure le coût des dommages directs matériels des biens assurés. Cela introduit un biais : un cyclone qui dévaste un bidonville, ça fait beaucoup de morts mais ça ne coûte rien ou pas grand chose. Une tornade qui atteint des banlieues pavillonnaires cossues aux États-Unis, ça fait très vite monter l'addition.


Au niveau mondial les grandes compagnies d'assurance comme Munich Re ou Swiss Re publient chaque années une estimation des coûts liés aux catastrophes naturelles : 125 milliards de dollars en 2013, 160 en 2012, 350 en 2011, etc. Au-delà de l'exactitude de ces chiffres, comment expliquer qu'ils soient aussi élevés ? Est-ce uniquement dû à l'ampleur des phénomènes ?

Justement non. Plusieurs facteurs expliquent l'augmentation des dommages. D'abord, l'augmentation de l'exposition dans les zones à risque(s) : celle-ci est liée notamment à une urbanisation mal maîtrisée. Dans les pays en voie de développement, on observe une très forte croissance urbaine avec notamment des populations néo-urbaines, qui ne connaissent pas le milieu naturel local et qui s'installent dans les zones à risques parce que celles-ci sont délaissées. Souvent il s'agit d'habitat illégal - et informel de surcroît, avec des matériaux précaires, ce qui augmente la vulnérabilité. Dans les pays développés, la périurbanisation - c'est-à-dire, l'extension de la ville hors de ses limites, en direction de l'espace rural - a souvent conduit à occuper des terres à risques. Des terres agricoles régulièrement inondées ont ainsi été loties avec des pavillons de plain-pied pour permettre à des urbains d'accéder au rêve de la maison individuelle avec jardin. La mobilité résidentielle est aussi un facteur important : mobilité des retraités, résidences secondaires, etc. ont contribué à l'occupation de zones à risques, dans les lit des fleuves ou sur les littoraux. Plus largement, on a assisté partout dans le monde à une littoralisation des activités et de l'habitat qui fait que les populations sont plus exposées.

On a ensuite d'autres facteurs qui interviennent : absence de culture du risque ou de connaissance du danger, déni du risque, dissimulation du risque (notamment dans les espaces à fort enjeu foncier). Parfois, l'action anthropique aggrave aussi les processus : la déboccagisation en Bretagne a accru le ruissellement, les aménagement littoraux contribuent au démaigrissement des dunes et des cordons littoraux qui "protégeaient les espaces situées en arrière. 

Mais l'exposition ne suffit pas à expliquer l'ampleur des dégâts : il faut aussi évoquer l'augmentation de la valeur exposée. En particulier, certaines grandes villes, les villes globales qui commandent la mondialisation, concentrent aujourd'hui de nombreuses richesses. La présence de réseaux techniques y est un facteur d'endommagement important. La nature de l'urbanisme également. Pour donner un exemple précis, si l'on prend le cas de la région parisienne face à une crue du niveau d'eau de1910, on a en 1910 un milliard d'euros de dommages. À la fin des années 1990, on estime les mêmes dommages à 12 milliards. Actuellement, on en est à 18 milliards, avec des estimations qui vont jusqu'à 40 milliards. On ne peut pas expliquer cette croissance des coûts par le processus naturel, puisqu'on raisonne toujours sur le même processus, ni par la croissance urbaine (la population exposée à l'échelle de la région n'a pas été multipliée par 20 ou 40). C'est la transformation de la ville dans ses structures et ses fonctions qui explique cette évolution.


Parmi les dix catastrophes naturelles les plus coûteuses dans le monde, quatre sont européennes, et toutes dépassent le milliard de dollars. Comment expliquer que l'Europe soit sujette à de tels coûts ? Cela signifie-t-il que malgré son caractère de région parmi les plus développées du monde, elle n'est pas assez préparée, et que ses infrastructures ne sont pas assez résistantes pour faire face aux éléments dont la puissance sort de l'ordinaire ?

Il est clair que les pays développés souffrent d'une forte vulnérabilité, d'autant plus forte qu'ils n'en ont pas conscience. Cette vulnérabilité est différente de celle des pays en voie de développement. Les pays développés disposent de techniques performantes, qui ont permis de réduire de façon drastique le nombre de victimes humaines : on peut aujourd'hui agir sur certains processus physiques pour en limiter l'intensité, ériger des barrières de protection efficaces, construire avec des matériaux résistants, mieux prévoir et donc mieux anticiper, etc. Mais parallèlement, on continue de construire dans les zones à risque sans vouloir ni payer le prix de la sécurité, ni payer le coût de la prise de risque. La technique a donné une illusion de sécurité, un sentiment de maîtrise de la nature. De plus, il y a un déficit majeur d'information des populations : non seulement elles ignorent souvent les risques auxquels elles sont exposées mais elles ne connaissent pas les comportements à adopter en cas d'alerte et a fortiori de crise. Il y a là un équilibre très subtil à trouver entre le rôle de protection qu'incarne l'État (la sécurité des populations et des biens est une compétence régalienne, même dans les États fédéraux et même dans les États où l'État est très peu interventionniste) et la responsabilité des populations. 


Faut-il en déduire que les destructions provoquées par les catastrophes naturelles ne vont cesser de gagner en ampleur sur le plan matériel et financier ? 

Si l'on considère aujourd'hui les trois régions métropolitaines qui commandent la mondialisation à savoir New York, Tokyo et Londres, elles sont toutes les trois exposées à des aléas naturels majeurs qui les ont dévastées par le passé (New York et Sandy récemment, Tokyo et les séismes, dont celui de 1923, Londres avec les inondations). Ajoutez Paris et la Seine, Los Angeles/San Francisco et les séismes, les Pays-Bas (ravagés en 1956 par des inondations), etc., vous voyez que les risques sont majeurs. Et je ne parle pas de Mexico ou de Quito, installées sous des volcans terriblement meurtriers, du Bengladesh, etc. 

Cela fait plusieurs décennie que l'on s'interroge sur cette croissance du coût des catastrophes, d'autant plus paradoxal que les techniques n'ont cessé de progresser et que des efforts massifs pour la prévention ont été entrepris. La réalité est extrêmement complexe à démêler et le changement climatique annoncé ne va pas faciliter les choses.

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