SOS Sénat en détresse : pourquoi la République a plus besoin de rendre la Haute Assemblée efficace que de la supprimer <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen a déclaré que la chambre haute n'avait plus de "justification".
Marine Le Pen a déclaré que la chambre haute n'avait plus de "justification".
©Reuters

Deuxième tête

La non levée de l'immunité du sénateur Serge Dassault a provoqué de vives réactions qui ne se sont pas limitées à l'affaire en question, remettant en cause l'institution sénatoriale elle-même. Ainsi, si Jean-François Copé a dit vouloir une réduction du nombre de sénateurs, Marine Le Pen a quant à elle déclaré que la chambre haute n'avait plus de "justification".

Atlantico : Comment expliquer ces prises de position brutales à l'encontre de l'institution républicaine qu'est le Sénat ? A quoi correspondent-elles politiquement ?

Maxime Tandonnet : Dès la IIIe République, l’existence du Sénat créé par la Constitution de 1875 était déjà controversée. Cette Chambre « haute », nommée pour l’essentiel au suffrage indirect par les élus des collectivités locales, était considérée comme un outil de conservatisme, destiné à équilibrer le pouvoir de la Chambre des députés, plus politique et idéologique. La réforme du Sénat voire sa suppression a longtemps été un serpent de mer de la vie politique française. Les radicaux, dont Clemenceau, y ont été favorables mais n’ont jamais mis en œuvre ce projet. Il avait à l’époque des pouvoirs équivalents à ceux de la Chambre basse et aucune loi ne pouvait passer sans l’accord des deux assemblées ce qui constituait un facteur de paralysie. Sous la IVe République, en 1947, il a été remplacé par un Conseil de la République et amputé de ses prérogatives essentielles notamment législatives. La Ve a retenu une formule intermédiaire : le Sénat vote les lois et le budget, mais en cas de désaccord avec l’Assemblée nationale, le gouvernement peut donner le « dernier mot » à cette dernière.

Le Sénat, garde-fou traditionnel de la Vème, semble de plus en plus soumis à la Chambre basse. Comment serait-il possible de lui rendre son rôle ? Quelles réformes pourrait-on envisager pour cela, voire le rendre plus important encore ?

Je n’en suis pas sûr. Il me semble au contraire qu’au cours des dernières années, notamment sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le rôle du Sénat, considéré comme une chambre ou les débats législatifs sont moins polémiques, plus réfléchis et approfondis, a été largement respecté, les deux chambres, haute et basse, parvenant presque toujours à se mettre d’accord dans le cadre de la « commission mixte paritaire » instituée par la Ve République.

Quelle est aujourd'hui l'image du Sénat au sein des institutions de la Vème République ? Comment l'expliquer qu'on ait oublié son rôle traditionnel et quelle importance avait-il ?

Comme je l’ai dit, le Sénat exerce de facto un rôle essentiel dans le fonctionnement des institutions. Pendant les 10 premières années de la Ve république, le Sénat, en particulier son président Gaston Monnerville, a eu des rapports conflictuels avec le général de Gaulle. M. Monnerville avait été jusqu’à accuser le général de Gaulle de « forfaiture » lors du référendum de 1962 sur l’élection au suffrage universel du président de la République. Le général de Gaulle a soumis au référendum le projet de quasi-suppression du Sénat en avril 1969. Il a eu toute la classe politique contre lui, et une majorité de Français puisque le « non » l’a emporté avec une nette avance, entraînant la démission du général. La position du Sénat est aujourd’hui normalisée et cette institution est profondément ancrée dans la tradition républicaine.

Quels sont les risques qu'impliquerait une diminution du rôle du Sénat, voire sa suppression ? Quels autres blocages resterait-il à la Vème pour ne pas donner tout pouvoir à l'Assemblée ?

L’idée de supprimer le Sénat fait partie de ces mauvaises polémiques qui servent de dérivatifs et évitent d’avoir à aborder les vraies questions. Il lui est souvent reproché d’être source de blocage, donc d’inefficacité. C’est un faux procès dans la mesure où le gouvernement a la possibilité, d’en presque tous les cas, d’appliquer une procédure d’urgence (une seule lecture) et de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. Le drame de l’impuissance publique, de l’incapacité des gouvernement à régler les problèmes des Français, est beaucoup plus global et soulève de vastes questions tenant à la judiciarisation du pouvoir, notamment au rôle du Conseil constitutionnel, à l’amoncellement des normes de droit européen et des jurisprudences qui restreint les marges de manœuvre du législateur, à la dette et à la situation financière, à la décentralisation et aux transferts des compétences aux autorités locales, parfois au manque de lucidité, d’audace et de courage des gouvernants. Il ne faut pas faire du Sénat le bouc émissaire de l’impuissance publique mais s’interroger, d’un point de vue bien plus général, sur les moyens de restaurer l’efficacité et l’autorité de l’Etat, enjeu essentiel de l’avenir.

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