Niel et Pigasse en négociations pour le Nouvel Obs ? Pourquoi il serait bon de s'inquiéter de la concentration grandissante des propriétaires de presse <!-- --> | Atlantico.fr
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Hier a été annoncé le rachat probable de 65% du Nouvel Observateur par le trio Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse.
Hier a été annoncé le rachat probable de 65% du Nouvel Observateur par le trio Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse.
©Reuters

Cercle restreint

Un trio d'actionnaires (Xavier Niel, Pierre Bergé, Matthieu Pigasse), possédant déjà le quotidien "Le Monde", devrait acquérir 65% du "Nouvel Observateur". Une nouvelle forte illustrant un phénomène de fond : la concentration toujours plus grande de la presse française.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Atlantico : Hier a été annoncé le rachat probable de 65% du Nouvel Observateur par le trio Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse déjà propriétaire du quotidien Le Monde. En quoi ce mouvement de concentration, et les autres avant lui, altèrent-ils la qualité et la pluralité de l'information ? 

Jean-Marie Charon : Les périodes de crise de la presse sont toujours des moments à haut risque pour le pluralisme de la presse. La crise de la fin des années soixante-dix devait faciliter la montée en puissance du groupe Hersant qui deviendra propriétaire de plusieurs quotidiens nationaux (Le Figaro, L’Aurore, France Soir) en même temps que de nombreux quotidiens régionaux.

La mutation actuelle que connaissent les médias, avec la très grande fragilisation de la presse quotidienne est de nouveau une période périlleuse pour ce même pluralisme, avec la disparition de titres (France Soir), de versions imprimées (La Tribune) et la fusion de nombreuses éditions en région sous la houlette du Crédit Mutuel (EBRA). Surtout, la valeur financière des entreprises de presse s’effondre, ce qui est particulièrement frappant aux Etats Unis, mettant celles-ci à la portée de repreneurs parfois totalement étrangers à la presse comme ce rachat du Washington Post par le propriétaire de Amazon.

Cette configuration inédite qui voit entrer de nouveaux venus, sans liens avec la presse et l’information, aura sans nul doute un impact fort sur les contenus. Nous sommes en revanche sans repères pour connaître ce que sera l’approche de ces actionnaires, même s’ils jurent tous la main sur le cœur leur volonté de préserver l’identité éditoriale des titres qu’ils rachètent.

Ce mouvement de concentration est-il directement lié à la crise que traverse le secteur de la presse écrite ? Quel signal renvoie l'image de la restriction du nombre de détenteurs de titre de presse ? 

L’entrée du trio Niel, Berger, Pigasse successivement au Monde et au NouvelObservateur symbolise tout à fait la période particulière dans laquelle nous sommes entrés et dépasse d’ailleurs largement les hommes et les titres concernés : d’un côté les entreprises de presse fragilisées, confrontées à la nécessité de se développer sur le numérique, ont besoin de capitaux dont elles ne disposent pas. Les acteurs financiers traditionnels recherchant la pure rentabilité ne s’y intéressent plus, d’où l’effondrement des prix de vente de ces entreprises. De l’autre côté une nouvelle catégorie d’intervenants voient leur puissance croître rapidement, ce sont les intermédiaires entre les contenus et les consommateurs : fournisseurs d’accès internet, moteurs de recherche, plateformes d’échanges, réseaux sociaux, etc. Les marges de ceux-ci, qualifiés parfois « d’infomédiaires » sont considérables. Ils peuvent reprendre demain n’importe quelle entreprise de médias, non pour sa rentabilité directe, mais parce qu’elle est un complément à leur métier d’intermédiaire, eux pour qui le cœur de métier est le flux et non le contenu.

Nous ne sommes plus dans le vieux syndrome français de médias propriété d’industriels, souvent dépendants de la commande publique, mais dans une nouvelle configuration dominée par le déséquilibre qui ne fera que s’accroître entre le secteur des médias et ces intermédiaires du numérique issus de l’informatique et des télécommunications, habitués à investir massivement en recherche et développement, dont ils tirent une formidable dynamique d’innovation.

La grande majorité des propriétaires de journaux en France ont à l'origine effectué une carrière dans un tout autre secteur d'activité. Est-ce un problème qu'en France, de nombreux patrons de presse ne soient pas à l'origine des "hommes de presse" ? Quel impact cela a-t-il sur le contenu de l'information ? Les citoyens doivent-ils s'en inquiéter ?

Oui cette question est très ancienne en France, comme en Italie, pays avec lequel nous partageons cette caractéristique qui étonne beaucoup les Anglo-saxons. Les problèmes générés par cette situation sont connus de longue date : ces propriétaires sont plus motivés par l’influence, que dans le réel développement éditorial des médias qu’ils possèdent et notamment les besoins en innovations de ceux-ci. Les conflits d’intérêts entre leurs activités principales et l’information gênent les rédactions en y générant de l’autocensure, sans parler de la crise de confiance du public. Enfin lorsque leur cœur de métier est ébranlé par des difficultés, les médias sont rapidement cédés, afin de privilégier les solutions dans leur activité de base.

Cependant la présence d’un Xavier Niel, propriétaire de Free, dans de nombreuses prises de participations relève d’une autre configuration, qui elle n’est pas du tout française et qui promet de prendre une très large ampleur dans nombre de pays et pour l’ensemble des médias.

Comment la tendance pourrait-elle s'inverser ? Alors que les journaux phares du paysage médiatique français sont sensiblement les mêmes qu'il y a vingt ans et que très peu de nouveaux titres émergent, quel avenir voyez-vous à la question de la concentration de la presse en France ? Quelles pourraient être les solutions ?  

Nous avons très peu de visibilité dans une mutation qui multiplie les zones d’incertitude. L’heure n’est sans doute plus à la création de quotidiens ou très marginalement comme l’ont montré les exemples des gratuits au début de la décennie 2000 ou la création de l’Opinion.

Pour moi la question du pluralisme se jouera toujours plus dans l’espace ouvert par la presse en ligne et les pure players qui y voient le jour. L’énergie, la créativité, l’innovation du fond, de la forme, des modes d’organisation se trouve et se trouvera principalement à ce niveau. Cette presse en ligne peut être la proie des infomédiaires. Les exemples nord-américains, à commencer par le HuffingtonPost montrent que des success story sont aussi possible à ce niveau. Aux politiques de réfléchir aux moyens d’amplifier ce mouvement de création et de croissance des nouveaux acteurs, tout en facilitant la mutation nécessaire des médias traditionnels, à commencer par les quotidiens. C’est peu dire que ces questions nouvelles sont peu prises en charge encore à ce niveau, sachant que l’échelle nationale est certainement insuffisante et qu’il faudra très vite que les instances européennes s’en emparent, comme l’illustre le feuilleton des relations entre les presse quotidiennes belges, allemandes, françaises, etc. et Google.

Note : Xavier Niel est un actionnaire minoritaire du site Atlantico.

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