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Pourquoi les banques centrales sont en train de rendre un bien mauvais service aux entrepreneurs
©Reuters

Retour de bâton

Le souhait des banques centrales d'agir directement sur le prix des actifs fausse une fois de plus le marché et plonge les entrepreneurs dans l'incertitude. Une volonté de bien faire qui pourrait accoucher une fois de plus d'un scénario catastrophe.

Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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Nous sommes en début d’année et comme c’est la coutume, tout le mond  y va de ses prévisions pour les 12 mois à venir. Et devant le flot de prévisions auxquels chacun se livre, je dois avouer que je suis admiratif. En effet, si quelqu’un pouvait faire des prévisions, le socialisme marcherait et l’Union soviétique serait toujours là. S’il veut rire et pour se convaincre de la vérité profonde que je viens d’énoncer, le lecteur peut se reporter aux prévisions faites par la Banque centrale américaine sur l’évolution à venir du PIB US pour les neuf mois suivants faites il y a juste un an (il peut aussi se reporter aux années précédentes s’il n’a vraiment rien d’autre à faire). Pour les neuf derniers mois, l’erreur de prévision pour la croissance du PIB nominal a atteint prés de 50%. La Fed s’attendait à prés de 5% de croissance pour le PIB nominal et nous avons atteint péniblement 3,4%…

Encore bravo ! Quand on songe que ces prévisions déterminent la politique de la Fed, on en a froid dans le dos…

Poursuivons par une constatation, qui pour moi est une évidence : la croissance économique trouve sa source dans les actions d’une classe  très particulière celle des entrepreneurs dont nous parlons beaucoup à l’Institut des libertés.

Ce sont eux qui sont à l’origine de ce que Schumpeter appelait la destruction créatrice, qui elle même est l’explication, la seule de toute, de la croissance économique. En termes simples, "destruction créatrice" veut dire que la destruction des activités obsolètes par de nouvelles inventions et l’émergence de nouvelles activités sont l’envers et l’endroit du même processus. Quiconque veut empêcher la destruction, par exemple en subventionnant des activités en perte, empêchera automatiquement la croissance d’avoir lieu. Or, de nombreux pays, dont le nôtre, se donne comme objectif principal de maintenir en vie toute une série d’activités en faisant croître la seule entité économique où la destruction ne peut avoir lieu, l’Etat. Et pour entretenir cette croissance étatique, il faut augmenter les impôts sur ceux qui croissent et donc retirer de l’argent à ceux qui savent quoi en faire pour le donner à ceux qui le gaspillent. De ce fait la croissance s’effondre.

Continuons avec nos entrepreneurs.

Pour fonctionner, ces derniers ont besoin d’un système d’information c’est-à-dire d’un système de prix libres. Les entrepreneurs prennent en effet leurs décisions en intégrant les différents prix à partir desquels ils vont travailler. Or tous les prix dans un système de prix trouvent leurs sources dans deux prix fondamentaux, les taux de change et les taux d’intérêts. Et ces deux prix sont manipulés comme jamais par les banques centrales. Taux d’intérêts et taux de change sont donc des « faux prix » et comme tous les prix dépendent de ces deux prix cela veut donc dire que tous les prix sont faux et que mes entrepreneurs sont à peu près aussi bien informés que le citoyen soviétique de base à la grande époque de la Pravda.

Et face à cette absence d’informations fiables, la réaction normale, pour tout entrepreneur cherchant à réduire ses risques, est donc de raccourcir autant qu’il le peut son horizon d’investissement pour maximiser la génération de cash dans ses affaires. Cela veut dire moins de prise de risque, moins d’investissement et une accumulation de liquidités dans les bilans, ce qui entraîne bien sûr une baisse considérable de la vitesse de circulation de la monnaie et à terme la déflation (baisse générale des prix) qui rendra la vie impossible à tous ceux qui ont pris des risques en s’endettant…

Et c’est là que mes chères banques centrales, constatant les échecs de leur tentatives précédentes (subprimes, immobilier, euro etc.) ont décidé, comme tout mauvais trader qui se respecte, de doubler la mise. Dans leur rage de prendre le contrôle d’un marché qui n’en demandait pas tant, les banques centrales ont pris la décision d’agir non seulement sur les taux d’intérêts et les taux de change (ce qu’elles font depuis toujours, avec les résultats désastreux que chacun peut constater aujourd’hui en Europe) mais d’agir aussi directement sur le prix des actifs. Et là, les choses se compliquent parce que le prix des actifs c’est vraiment le cœur du système capitaliste. Explication.

Jusqu’à tout récemment, le prix d’un actif était égal (en théorie) au revenu que j’allais en tirer dans le futur, mettons des dividendes, que j’escomptais par un taux d’intérêt « approprié ». Tout le travail d’un financier, d’un gérant ou d’un épargnant consistait donc à « estimer » les revenus futurs auxquels il fallait appliquer ensuite un coût du capital pour arriver à une valeur « escomptée ». Ce coût du capital était en général fonction du taux auquel l’Etat local empruntait et ce taux était un taux de marché, auquel je rajoutais une « prime » en raison de la moindre liquidité existante sur mon actif par rapport à  une obligation d’Etat.

Bref, la valeur de mon actif dépendait de trois facteurs :

1. Les revenus futurs (incertains) ;

2. Le taux d’intérêts sur les placements « sans risque », qui était un prix de marché, qui certes pouvait varier mais dont je pouvais comprendre ou anticiper les fluctuations ;

3. La prime de risque que je collais sur les taux d’intérêts sans risque pour prendre en compte et le coté incertain des revenus et les possibles fluctuations des taux d’intérêts.

Le talent consistait à acheter les revenus futurs (incertains) quand ils étaient très « sous-évalués » soit pour des raisons cycliques soit pour des raisons structurelles, et à les vendre quand ils devenaient très surévalués.

Ce système qui était à la base du capitalisme a volé en éclats au cours des dix dernières années, puisque la Banque centrale américaine a décidé de garantir aux investisseurs que les taux courts resteraient à zéro au moins jusqu’en 2017. La Fed a donc « bloqué » le taux sans risque déclenchant de ce fait une hausse spectaculaire du marché des actions aux USA, puisque ce blocage des prix amène naturellement à une diminution de la prime de risque, l’un des risques celui de la fluctuation des taux d’intérêts disparaissant. Fort bien me dira le lecteur, mais en quoi est ce gênant ? La réponse est simple. La base de la valeur d’un actif est et restera toujours les revenus que l’on va en tirer dans le futur. La croyance de la Banque centrale américaine est que le maintien des taux courts à un niveau très bas va faire monter ces revenus de façon sensible. Et les marchés financiers partagent cette croyance. Ce n’est pas du tout ce que je pense.

En fait, selon les travaux que je fais depuis des années, des taux anormalement bas amènent toujours à une baisse de la croissance, et non pas à une hausse comme le pense la Fed. La Fed et les marchés disent donc à qui veut les entendre que les revenus futurs vont augmenter et qu’ils faut les escompter par des taux d’intérêts bas qui ne vont pas monter. Les marchés des actions ne peuvent donc que monter. Pour ma part, je pense bien au contraire que les taux d’intérêts à zéro vont déclencher une baisse des revenus à venir des actifs à risque, en raison de la mauvaise allocation du capital que des taux trop bas induisent.

Et donc, ce qui va faire baisser les bourses c’est une baisse des revenus, accompagnant (peut-être) une baisse des prix (déflation) et non pas un événement sur les taux courts. Apres tout, si l’inflation devient négative, des taux courts à zéro deviennent exorbitants, comme on l'a vu au Japon depuis 15 ans. Et donc mon entrepreneur n’a pas la moindre idée de ce que valent ses actifs, puisque dans la théorie, il sait que j’ai raison, mais que dans la pratique il voit les marchés monter tous les jours.

Résumons-nous.

1). Les entrepreneurs sont l’objet d’une chasse à l’homme à la fois fiscale et réglementaire qui les empêche de faire leur métier ;

2). Tout leur système d’information (le système des prix) est manipulé au point qu’ils sont comme un marin en haute mer, dans le brouillard et démuni d’instruments ;

3). Enfin, ils n’ont aucune idée de la valeur de leurs actifs ou de celle de leurs concurrents, ce qui rend impossible tout investissement à long terme.

J’admire donc beaucoup la capacité des économistes à faire des prévisions en précisant jusqu’à la deuxième décimale le taux de croissance du PIB pour les 12 mois qui viennent.

Les économistes sont des grands humoristes. Fort modestement, je me sens bien incapable d’arriver à de tels résultats. La seule chose que je sache, c’est qu’une dichotomie est peut-être en train de commencer à se produire entre la valeur à venir des dividendes que je vais toucher – qui vont sans aucun doute baisser si j’ai raison – et la valeur boursière des actifs qui ne cesse de monter, sur ce qui me parait être une fausse analyse. Tant que les actions étaient sous-évaluées, c’est-à-dire jusqu’à l’été 2013, je n’étais pas trop inquiet. Depuis je me gratte la tète en constatant que j’aurais pu gagner plus et que d’autres ont fait mieux que moi.

Mais vous savez quoi?  Je ne suis pas d’une nature envieuse.

Cet article a été initialement publié sur le site de l'Institut des libertés.

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