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Selfie, nomophobie, mooc et autres mots que nous avons adoptés en 2013
©Reuters

New words

Chaque année, au fil des évolutions de la société et des technologies, de nouveaux mots apparaissent. Tour d'horizon de ce qu'ils révèlent.

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Atlantico : Parmi les nouveaux mots les plus connus, on trouve "mooc", "nomophobie", "big data", "native advertising", "responsive design", "selfies", "emoji" et  "bitcoin". Que signifient ces mots et que représentent-ils dans notre société ? 

Catherine Lejealle : Prenons les un par un pour en donner une rapide définition et voyons ce qu’ils reflètent de l’évolution de notre société.

MOOC

Les MOOC désignent les Massive Open Online Course ou les cours à distance ouverts à tous en général. Initialement, certains cours de professeurs de prestigieuses universités américaines ont été mis en ligne pour aboutir dans certains cas à une délivrance de diplômes. Depuis, certains sont payants et soumis à inscription et à contrôle de connaissances. La France a également lancé son MOOC cette année. Comme wkipédia, il s’agit d’un accès le plus souvent gratuit à un savoir organisé et thématique, à distance et que l’on peut suivre de chez soi. Il y a une réelle soif de connaissance, accessible facilement et dans des contextes pratiques - chez soi et sur des supports nomades.

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Nomophobie

La nomophobie désigne la No mobile phobie ou la peur d’avoir oublié ou perdu son mobile. Le terme désigne une addiction, un état de manque comparable à celui de l’alcool ou de la drogue. Le mobile est devenu tellement indispensable qu’on conçoit mal de s’en passer. Il évite d’emporter des plans des villes, des annuaires, des agendas avec les codes d’immeubles à jour, des programmes de cinéma, des Quid et des dictionnaires, des albums photos, un lecteur MP3… J’arrête là la liste car le sac transportable est déjà plein ! Il signale en tout cas que le mobile est bien devenu - selon les sondages - plus indispensable que la clé ou le porte feuille. 

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Le Big Data

Le big data concerne une troisième révolution technologique. La première dans les années 1970 a consisté à automatiser les traitements à l’aide d’ordinateurs puissants. La suivante a mis tout le monde en réseau avec une connectivité urbi et orbi. La troisième est celle des données et de leur utilisation. Certains pays ont déjà contraints leurs administration à restituer les données à leurs usagers, à publier des données publiques. La France a commencé à s’engager dans cette voie même si cela est encore peu connu et peu usité. La puissance de traitement et la quantité d’information captable au fil de l’eau et des déplacements de chacun vont impacter les offres que les entreprises vont faire. Outre cette personnalisation, se pose la question de privacy et d’information sur ce qui est collecté. Les données, la personnalisation, la pertinence des offres toujours plus ciblées est au cœur de ce phénomène.       

Native advertising

Le native advertising ou publireportage constitue une évolution majeure de la publicité. Ici, l’annonceur paie pour offrir un contenu – les 10 lieux magiques dans Paris par exmple – à valeur ajoutée dans lequel son nom n’est pas mis en avant. De tels contenus suscitent des réactions plus favorables que la publicité et leur réception agit en faveur de l’image de la marque. L’attitude face à la marque est modifiée sans que l’on puisse aujourd’hui mesurer avec certitude l’impact sur les ventes. Mais la saturation face à la publicité et la volonté de parler d’égal à égal avec la marque conduit à modifier les formes de communication entre les marques et les clients. Là encore, le consommateur veut être actif, participer, interagir, choisir ce qu’il va recevoir en toute transparence.

Responsive design

Le responsive design est le terme le plus technique et le moins diffusé au quotidien. Il s’agit d’adapter le format du contenu au type de dispositif pour que l’expérience utilisateur soit meilleure. Il s’agit d’une personnalisation pour s’adapter à n’importe quel support pour un usage n’importe où n’importe quand. Il y a transparence de la technique pour l’usager, facilité d’usage n’importe où et n’importe quand.    

Les selfies

Le selfie consiste à se prendre soi-même en photo - d’où le self du terme - et à poster la photo sur un réseau social pour partager l’émotion ou l’instant. Le terme est passé dans le langage courant car les stars le font. Le mot a été repris par les médias traditionnels. On avait déjà observé la mise en ligne de photos pour illustrer en continu sa journée et la partager – ce qu’on mange, ce qu’on boit, où on est, ce qu’on voit au cinéma, quel achat de vêtement on fait ou sur lesquels on hésite. Il s’agissait souvent de situation collective dans les magasins, les bars, les soirées. On observe que le phénomène s’étend aux moments où on est seul. Il s’agit de rester connecter aux autres, d’échanger, de participer, de susciter leurs réactions. Le rapport au temps est nouveau : on se regarde faire l’action. Tout en la faisant, on la poste et elle existe parce qu’elle est postée et commentée, relayée. On construit en permanence son identité numérique, sa visibilité et sa popularité.

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Les emojis

Le emoji est une image – au départ culturellement utilisée au Japon – qui permet d’augmenter la gamme de transcription des émotions. On avait un SMS et des émoticônes. On dispose aujourd’hui des emojis comme des têtes de pandas, des cerises, des bananes, des sourires. On peut les utiliser seuls ou en composant d’autres images à partir d’elles. Là encore on étend sa palette de couleurs pour exprimer des émotions en direct et les partager. Les emojis permettent ensuite de créer des private jokes et de jouer sur un double sens – parfois équivoques et sexuels – dont le sens n’est partagé que par l’émetteur et le récepteur. On trouve ici encore l’immédiateté, le partage d’émotion. On existe qu’en étant tourné vers les autres, interconnecté et dans le partage.

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Le Bitcoin

Le bitcoin est la nouvelle monnaie reconnue au niveau international pour les transactions. Elle suscite des polémiques si bien que le terme est davantage connu du grand public qu’une réalité quotidienne utilisée par tout le monde. Modifier les habitudes de paiement est un processus lent comme la lente diffusion du NFC l’illustre. En tout cas, comme le MOOC, le bitcoin dénote une volonté d’organiser des échanges au niveau supra national sans que cela parte de l’initiative publique et des banques centrales. Le politique est court-circuité. Là encore les nouvelles technologies suppriment des intermédiaires dans les processus ou à tout le moins mettent en place des processus de mise en relation directe.    

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Plus largement, en observant les grandes tendances qui se dessinent parmi ces mots, à quelles évolutions sociologiques correspondent-elles ? 

Historiquement, au cours du temps et au fil des différentes époques, l’élargissement du vocabulaire d’une langue vient de l’ouverture vers les nouveaux mondes avec qui le pays commerce ou de l’arrivée d’un roi ou d’une reine d’une autre nationalité. C’est ainsi que le vocabulaire anglais c’est enrichi des veal et pork français tandis qu’en sport le nôtre s’étoffait. Actuellement l’élargissement du dictionnaire vient des nouvelles technologies et peut s’appliquer à tous les dictionnaires au niveau international. Cela prouve bien que le monde de la technique et le monde réel au quotidien sont poreux, perméables et que les nouvelles technologies se sont diffusées à une vitesse telle que ces mots techniques sont du vocabulaire courant compris de tous.  

L'évolution du langage et la création de mots sont-ils de bons indices d'analyse de l'évolution d'une société et de ses mœurs ? 

On voit que ces nouveaux mots reflètent des tendances de fond qui se confirment et se renforcent chaque année. Il s’agit d’un rapport au savoir inédit car ouvert à tous, gratuit et à portée de main. En regardant un film à la TV, on a envie d’en savoir plus sur les acteurs, le pays ou le contexte historique, le réalisateur ou la disponibilité de la bande originale. On a toujours un smartphone ou une tablette à portée de main et l’information est aussitôt partagée, voire donne lieu à une autre interrogation souvent suggérée par les mots soulignés en bleu qui invitent à cliquer pour aller plus loin. La recherche s’intègre à la conversation.

Les deux autres tendances de fond qu’illustrent cet exemple sont d’une part l’immédiateté de l’accès à l’information et au savoir ; d’autre part, le partage. Qu’il s’agisse des MOOC, de big data, de selfies, des emojis ou encore de bitcoin, il y a action tournée vers les autres, soit pour communiquer, échanger, partager… Chacun devint à la fois émetteur, récepteur et nœud du réseau en réacheminant une information ou en ajoutant son commentaire. Les frontières entre réel et virtuel sont abolies. La recherche d’information ou le partage ne sont pas vécus comme des intrusion mais comme un ingrédient de la conversation.    

Ces mots sont-ils utiles ? Quel est celui qui vous a le plus marqué et pourquoi ? Selon vous, quel sera le mot nouveau 2014 ?

Ces mots sont entrés dans le quotidien même si la reconnaissance du savoir acquis par butinage et recherche au hasard de clic en clic par exploration curieuse reste encore problématique. Nous sommes dans une situation où les wikipédia et consorts permettent un accès immédiat gratuit et facile au savoir si bien que ces processus d’acquisition du savoir sont modifiés. L’attention est également impactée avec une préférence pour de la multi-activités et pour une acquisition ludique, non déterministe du savoir, autour de techniques telles que les serious gaming. Pourtant les cogniticiens montrent que notre faculté de jongler avec plusieurs occupations en même temps est limitée et peu optimale. Il faudra trouver un bon dosage entre temps d’apprentissage en immersion mono tâche avec un objectif déterminé et temps d’apprentissage moins focalisé.

Par ailleurs, l’autre question que pose cette évolution rapide des usages est celle de la privacy et des frontières entre ce qui est une donnée publique et privée – et ensuite réduite à quel cercle du privé ? La propriété et la maîtrise des informations qui nous concernent, leur collecte par des tiers, leur utilisation et leur rétention préoccupe déjà activement les juristes autour d’un droit à l’oubli qui devrait voir prochainement le jour au niveau européen.

Quel sera le nouveau mot de 2014 ? Gageons qu’il concernera les usages des nouvelles technologies. Observons en tout cas que les phablettes et autres mots valises pour désigner les supports n’ont pas été repris dans le quotidien car ce qui importe chacun de nous est bien l’usage et non le nom du support. Que l’écran d’un smartphone puisse être comparable à celui d’une petite tablette est sans intérêt pour l’utilisateur. Ce sont les fonctions et ce qu’il peut en faire, où, pour quoi faire, avec qui et dans quelles situations. La différence fondamentale entre un smartphone et une tablette est sans appel : le smartphone est toujours individuel alors qu’il y a des tablettes à usage collectif, posées sur la table du salon et que chacun utilise lorsqu’il en a besoin.   

Soulignons pour conclure que ces nouveaux mots illustrent le nouveau rapport au temps et à l’espace qu’ont instauré les nouvelles technologies : ubiquité, porosité des univers, immédiateté, partage avec tous aussi bien du savoir que des émotions. Un nouveau Dasein qui fera couler beaucoup d’encre aux philosophes. 

Propos recueillis par Marianne Murat et Jean-Baptiste Bonaventure

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