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François Hollande a-t-il entendu le énième avertissement de Mario Draghi ?
©Reuters

A la baguette de la BCE

Lorsque le patron de la BCE, sans légitimité électorale, envoie au président de la République française une injonction à changer de politique comme vœux pour la nouvelle année, c'est la vision démocratique de l'Europe qui pourrait bien poser question.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Dans une interview donnée au quotidien allemand Der Spiegel le 30 décembre, Mario Draghi a pu revenir sur le pénible cas de la France. Le Journal s’inquiète ainsi de la situation du pays, et invoque le manque de réformes menées par son président. Mario Draghi partage cette analyse et indique :

« La France est confrontée aux mêmes problèmes que d’autres pays qui ont besoin de réajuster leur budget et de mettre en place des réformes structurelles. Certains Etats ont accru leur pression fiscale et ont coupé dans leurs investissements. C’est le chemin de la facilité, alors que les deux approches restreignent la croissance. Une solution plus prometteuse serait d’abaisser les niveaux de déficits et d’introduire des réformes structurelles dans le marché du travail ».

Le journaliste s’inquiète alors de voir le président Français ne pas respecter les injonctions de la BCE, et Mario Draghi de répondre « En latin vous dites "Repetita iuvant – la répétition est bénéfique" Moins les réformes sont faites dans un pays, plus je répète mon message. Et ça marche ».

La complexité de la déclaration de Mario Draghi ne relève pas du fond, car il est bien entendu que les réformes proposées par François Hollande n’ont pas permis un quelconque redressement de la situation en France. Ce qui frappe avant tout, c’est que cette injonction provienne d’un responsable européen non élu, et ne disposant d’aucune légitimité démocratique lui permettant de s’emparer des questions budgétaires. Mario Draghi a raison sur le fond, mais il ne lui appartient en aucune façon d’intervenir dans ce domaine. Il s’agit bien d’un des problèmes majeurs du fonctionnement actuel des institutions européennes.

François Hollande serait bien plus légitime à venir contester le mode de gestion de la politique monétaire européenne que Mario Draghi ne l’est sur la politique budgétaire de la France. De plus, fondamentalement, François Hollande, dans le cadre européen qui lui est imparti, n’aura été qu’un élève parmi d’autre. Son objectif principal au cours de l’année aura bien plus été de réduire les déficits que de réduire le chômage. 

Car en comparant les déficits budgétaires des pays les plus performants en terme de croissance et d’emplois en cette année 2013, il est possible de se poser la question de l’efficacité de la règle des 3% de déficits que François Hollande s’évertue à respecter. Les Etats-Unis auront ainsi un déficit de 4.1% en 2013, c’est-à-dire égal à celui de la France, le Royaume Uni va plus loin avec un niveau de 7.4%, et que le Japon atteint les 9.2% dans ce domaine.

Mario Draghi tire quand même les oreilles de François Hollande, et lui répétera autant de fois que nécessaire la leçon. La réduction des déficits est en effet un objectif louable, mais il n’est pas une condition nécessaire au redressement, comme peuvent nous le prouver ces autres pays. Au lieu de consacrer l’intégralité des efforts sur la réduction des déficits, de plus en choisissant la solution de facilité et la moins efficace que sont les hausses d’impôts, François Hollande devrait plutôt se consacrer à une attaque en règle de la gestion monétaire européenne. 

En effet, une monnaie européenne suppose un intérêt commun. La politique monétaire déployée par la BCE, sous l’égide du mandat de Maastricht, ne permet pas d’approcher cet intérêt général. Cette réalité est devenue perceptible pour les peuples depuis l’entrée en crise en 2008, et s’est intensifiée depuis lors.

L’objectif d’une politique monétaire est d’offrir les conditions optimales au développement économique, et se doit d’être un soutien. La politique de stabilité des prix, aujourd’hui largement obsolète dans sa forme européenne actuelle, est bien la principale cause des difficultés européennes du moment. Il ne s’agit pas là d’un diagnostic obscur, mais de la base de réflexion des  programmes de redressement des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du Japon.

L’incapacité des dirigeants à entrer dans la complexité, c’est-à-dire à garder l’euro tout en modifiant son mode de gestion monétaire est le résultat d’un piège politique. Sa remise en cause serait perçue comme une victoire par les eurosceptiques, et comme une large défaite intellectuelle pour les pro-européens. Mais la réalité est que si le statu quo perdure, que les dirigeants n’affrontent pas cette problématique bien en face, l’euro disparaitra car sa forme actuelle est intenable. Elle n’est pas intenable dans le futur, elle est déjà inacceptable aujourd’hui. Un déficit de résultats avec près de 20 millions d’européens au chômage qui menace de briser toute cohésion sociale. Un déficit de démocratie avec un président de Banque centrale qui donne ses ordres à un président élu. Car bien que les réformes de François Hollande ne soient pas une solution, elles restent tout de même les réformes mises en place par un président élu.

Ce qui est choquant dans l’intervention de Draghi est qu’elle est révélatrice de ce qu’est devenue la Banque centrale européenne depuis 2008 ; un outil postdémocratique obligeant les Etats membres à ajuster leurs politique budgétaire en fonction d’une politique monétaire pourtant elle-même totalement dépassée. Car la règle des 3% de déficits n’est rien d’autre que le pendant  budgétaire de la politique de stabilité des prix.

Encore une fois, Mario Draghi a raison sur le fond, la France doit se réformer, améliorer sa compétitive, réduire ses déficits, affuter ses règles du droit du travail, mais il appartient à François Hollande de réagir sur l’indispensable réforme de la BCE. C’est-à-dire qu’il va devoir entrer dans la complexe réalité d’un euro imparfait et donc s’extirper du débat binaire et improductif du pour ou contre l’euro. Sans cela, il sera contraint de suivre les injonctions de Mario Draghi qui vient de lui souhaiter ses vœux à sa manière. 

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