Vingt mille lieues sous les mers
La "glace qui brûle" de l'Arctique est-elle l'avenir de l'énergie ?
Le gaz d'hydrates de méthane, plus communément appelé "glace qui brûle", constitue une source d'énergie au potentiel considérable. Mais avant que son exploitation soit envisagée à grande échelle, il faudra neutraliser les émissions de dioxyde de carbone produites lors de la combustion de ce gaz.
Stephan Silvestre
Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.
Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).
Atlantico : Le gaz de schiste est actuellement au centre des préoccupations énergétiques mondiales, mais il est de plus en plus question d'une autre source d'énergie, dans la région Arctique : le gaz d'hydrates de méthane, autrement appelé "glace qui brûle" en raison de sa teneur en méthane. Comment se présente-t-il, et quelles sont les quantités estimées ? A quelle date cela repousse-t-il la pénurie d'énergies fossiles ?
Stephan Silvestre : Les hydrates de méthane constituent une source d’énergie au potentiel considérable. Il s’agit de blocs de glace sous-marins emprisonnant des molécules de gaz d’origine organique. Ils se forment dans des conditions de température basse et de pression élevée et se trouvent à des profondeurs de plusieurs centaines de mètres sous la surface. On en a déjà recensé à différents endroits de la planète (côtes américaines, japonaises…), mais ils existent certainement au large de toutes les côtes terrestres. On en a aussi trouvé dans le sous-sol sibérien.
Les quantités potentielles sont considérables. Elles représentent au minimum plusieurs fois les réserves connues d’hydrocarbures conventionnels et probablement des centaines, voire des milliers de fois ces chiffres. Autant dire qu’il est vain d’estimer une date de pénurie.
Quelles sont les modalités d'extraction ? En termes de rentabilité, cette source d'énergie est-elle intéressante, notamment par rapport au gaz de schiste ? Pourquoi ?
La prospection n’a débuté qu’il y a une quinzaine d’années et on est encore loin d’une exploitation commerciale. Les Japonais, les plus en avance dans ce domaine, on déjà procédé à des tests d’extraction et d’autres doivent être conduits en 2014-2015. L’exploitation industrielle est encore hypothétique, mais elle serait bien différente du gaz de schiste. Il s’agirait ici de ratisser les fonds marins sur de grandes surfaces. Mais c’est encore hasardeux, en raison des faibles concentrations de ces composés et surtout de leur instabilité. Le risque serait de provoquer d’importantes émanations de méthane, gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone.
D’un point de vue économique, cette exploitation sera très onéreuse, bien plus que le gaz naturel, conventionnel ou non. En revanche, les hydrates de méthane présentent un atout pour le transport, qui s’avère plus simple que le gaz naturel liquéfié (qui doit être refroidi à -162°C contre -20°C pour les hydrates), bien que moins dense.
À partir de quand l'extraction massive pourrait-elle raisonnablement commencer ? Pourquoi ?
Un premier préalable sera le développement d’une technique évitant les fuites de méthane. Le savoir-faire du Japon en robotique lui confère un avantage certain, mais cela ne se fera pas avant une quinzaine d’années.
Il existe, par ailleurs, un autre frein, bien plus puissant : la combustion de ce gaz produit du dioxyde de carbone. Son exploitation à grande échelle ne pourra intervenir qu’à condition que ces émissions soient neutralisées lors du cycle d’exploitation du gaz (par exemple dans des centrales électriques). Cela signifie donc un nouveau surcoût rendant cette ressource peu compétitive face à d’autres.
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