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Et quand nous serons 11 milliards sur Terre en 2100 ? Partie 1 : le risque d'épidémie
©Reuters

Et moi, et moi, et moi

Selon l'Institut national d'études démographiques (Ined), nous serons entre 10 et 11 milliards d'êtres humains d'ici à la fin du siècle. Un chiffre aussi énorme que les enjeux qu'il sous-tend.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Nous avons tous le souvenir de la grippe aviaire ou encore, plus récemment, du coronavirus. Ces épidémies se sont propagées de manière étonnante. La croissante mobilité des êtres humains favorise le développement des épidémies et sèment la terreur quand elles surviennent. Or, l'Ined estime que nous serons entre 10 et 11 milliards d'êtres humains d'ici la fin du siècle. Quel serait dans ce cas le degré de propagation des épidémies ?

Antoine Flahault : Il est des prévisions et des projections plus fiables que d’autres. Ainsi si l’on nous dit qu’une éclipse de lune passera sur la France le 15 juin 2030, nous sommes prêts à "croire" que cela se produira, et mieux que cela, nous n’avons pas besoin de le "croire", la science de la mécanique céleste est suffisamment au point aujourd’hui pour prédire sans risque d’erreur important que cela se produira bien le 15 juin 2030.

Sur le plan démographique, on présente aujourd’hui des projections sur un siècle avec une incertitude de l’ordre de 10%, mais il y a deux ans, les mêmes démographes tablaient sur un plateau (concernant la taille de la population mondiale) qui devait être atteint vers 2050 et qui devait s’établir aux alentours de 9 milliards d’individus. Aujourd’hui, parce que l’on se rend compte en particulier que la population du continent africain croît plus rapidement qu’attendu, on propose de nouvelles projections mondiales qui sont désormais de 20 à 30% plus élevées (+ 2 à 3 milliards). Mais à cette marge d’incertitude près, nous sommes assez enclins à "croire" en ces prévisions, en sachant que l’horloge démographique n’a visiblement pas les mêmes ressorts (et donc pas la même ponctualité)  que l’horloge astronomique. Mais, si vous me demandez quel sera le degré de propagation des épidémies à la fin du siècle, alors là je crois que personne n’est capable aujourd’hui de l’anticiper ! On ne peut donc qu’évoquer des hypothèses, et étudier groupes de maladies par groupes de maladies, les scénarios du possible, en envisageant éventuellement des scénarios moins probables, voire… hautement moins probables, si l’on veut jouer à se faire peur.

En outre, les facteurs socio-économiques comme les mouvements de populations en cas de conflits, ou simplement avec l’augmentation des échanges commerciaux, modifient aussi les processus épidémiques, en accélérant parfois des dynamiques épidémiques voire en transportant des virus d’un continent vers un autre qui ne les connaissaient pas (ce fut le cas du VIH parti d’Afrique, ou de la fièvre du Nil occidental pour prendre deux exemples très différents).

Certes le facteur démographique est l'un des déterminants clés des émergences épidémiques, mais il ne faut pas négliger d'autres facteurs comme le réchauffement climatique qui a des conséquences attendues négatives sur les épidémies de maladies transmises par les moustiques (comme la dengue, le paludisme ou le chikungunya), en raison de la prolifération de ces vecteurs avec l’augmentation de la chaleur et de l’humidité, ou des conséquences plus positives sur d’autres types de maladies transmissibles, comme la grippe ou les infections de l’arbre respiratoire dont la dynamique épidémique pourrait se trouver ralentie par le réchauffement du climat.

Aussi, la tension sur les ressources limitées (eau, air, sols, alimentation) et la gestion des déchets sont aussi d'autres déterminants majeurs des épidémies de maladies transmissibles.

Il faut enfin souligner que ces facteurs sont souvent inter-reliés : l’explosion démographique favorise la déforestation (pour se loger et se nourrir), ce qui expose également les populations à des agents pathogènes jusque-là inconnus de l’espèce humaine ; les mouvements de population facilitent les échanges commerciaux, notamment d’animaux vivants, dont on sait qu’ils sont à l’origine de 60% des épidémies de maladies émergentes ; les crises socio-économiques comme les conflits et les guerres favorisent aussi l’extension des épidémies en compliquant leur prévention et leur contrôle.

Lorsqu'une épidémie atteint un niveau de propagation mondiale, on parle de pandémie. Mis à part ce point, qu'est-ce qui différencie une épidémie d'une pandémie ? Pourriez-vous nous donner un ou des exemples d'épidémie(s) devenues pandémie(s) ?

Le mot pandémie vient du grec pan qui signifie totalité, globalité. La pandémie est donc l’épidémie mondiale. Certaines épidémies restent localisées, comme la peste à Madagascar en ce moment, ou les épidémies à virus Ebola en Afrique équatoriale. D’autres semblaient localisées mais se sont propagées comme le chikungunya de la Corne d’Afrique vers l’Océan Indien puis l’Asie entre 2004 et 2007 (il y a même eu un épisode épidémique survenu à Ravenne, Italie en 2007), et actuellement il semble se diffuser vers la Guyane et l’arc antillais. On n’en est pas encore à parler de la pandémie du chikungunya, mais on en prend quand même le chemin.

La dengue, qui est aussi une fièvre transmise par un moustique de la famille des Aedes, comme le chikungunya, est quasiment pandémique, puisque tous les continents sont aujourd’hui atteints par des épidémies récurrentes, au moins dans la zone intertropicale, et qui surviennent d’ailleurs presque comme la grippe des latitudes tempérées (on l’appelle parfois à tort à cause de cela "la grippe tropicale"). Certaines projections des épidémies de dengue allant jusqu’en 2080 ont été publiées dans des journaux scientifiques de qualité, montrant une extension des épidémies vers les zones plus tempérées, en l’absence de vaccin (qui devient disponible cependant), et en raison du changement climatique et de l’évolution démographique mondiale.

Et puis, il y a des mystères que la science n’explique pas aujourd’hui. Par exemple, on ne sait pas pour quelle raison la fièvre jaune ne sévit pas sur le continent asiatique. Ce sont les mêmes moustiques que ceux responsables de la fièvre jaune, de la dengue ou du chikungunya (ils s’appellent Aedes aegypti ou Aedes albopictus), mais la fièvre jaune – qui est une fièvre hémorragique dramatique pour laquelle on dispose heureusement d’un vaccin efficace et peu coûteux – ne semble pas capable d’atteindre le continent asiatique alors que le virus de chikungunya s’y est répandu comme une traînée de poudre à partir des foyers de La Réunion et de l’île Maurice en 2006-2007. Si jamais cette "barrière" géographique de la fièvre jaune venait à céder, on ne disposerait pas de suffisamment de vaccins pour protéger rapidement le continent asiatique surpeuplé. Faut-il pour autant se préparer à une telle éventualité qui n’est jamais survenue ? Ou bien être vigilants, surveiller de près le risque et envisager une réaction coordonnée au niveau international au cas où ?

Quel serait le scénario le plus apocalyptique ? Ou du moins le plus catastrophique possible ?

Il y a des films de science-fiction qui décrivent des scénarios apocalyptiques, permettez-moi d’y renvoyer nos lecteurs, car les auteurs de ces films sont plus compétents (et plus amusants) que moi pour faire ce job. La question est de savoir si se préparer à l’Apocalypse a un sens (autre que religieux) ? Pour ma part, je pense qu’investir des budgets faramineux et disproportionnés pour se préparer à des risques imprédictibles relève de l’exercice proposé par le député Maginot entre les deux guerres mondiales. On se croira peut-être à l’abri, mais l’ennemi viendra peut-être de toute autre part. Les Nord-Américains se préparent (depuis le 11 septembre 2001) à l’éventualité d’une attaque bioterroriste. Je ne suis pas convaincu de l’intérêt des sommes (considérables) investies, même si les recherches qu’elles ont pu financer ont eu des répercussions inattendues et intéressantes sur d’autres maladies émergentes.

Il me semble en revanche que l’on pourrait mieux se préparer contre les risques épidémiques fréquents mais d’apparences peu graves. Par exemple, pourquoi accepte-t-on que la grippe fauche chaque année tant de personnes âgées (on dit entre 3000 et 6000 décès chaque hiver en France seulement) ? Ne faudrait-il pas protéger mieux les personnes âgées contre les virus de la grippe ? Disposer de vaccins plus efficaces que ceux actuellement sur le marché ? Recourir davantage à l’utilisation de masques de protection, procéder au lavage des mains (ce que font les Asiatiques mieux que les Européens) ? Evaluer si ces stratégies de préventions sont utiles ?

Par ailleurs, il y a des maladies infectieuses contre lesquelles on est en train de venir à bout mais qui demandent une attention et des investissements particuliers et soutenus : la poliomyélite est presque en voie d’éradication, mais entre être "presque éradiquée" et "totalement éradiquée" il y a un effort chiffré de l’ordre de 4 milliards de dollars. C’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui coordonne ces efforts, et si l’on réussit, ce sera la deuxième fois de l’histoire que l’on aura su éradiquer une maladie, après la variole qui avait tué des millions d’individus dans le monde jusqu’en 1977. La rougeole pourrait être éradiquée à son tour, car on dispose d’un vaccin très efficace… s’il est bien utilisé. Or, dans nos pays, en France, au Royaume Uni, en Allemagne, on peine à atteindre des couvertures vaccinales suffisantes. Il faut plus de 95% d’enfants vaccinés pour permettre l’élimination de la circulation du virus de la rougeole d’une population. La France qui n’atteint pas ce niveau de couverture vaccinale, est devenue ces dernières années le premier exportateur mondial de cas européens de rougeole, triste record ! Elle est suivie de près par l’Allemagne. Les Etats-Unis, dont on critique souvent le système de santé (qui est certes imparfait), ont réussi à totalement éliminer la rougeole de leur territoire, et ce depuis plusieurs années. Parfois, il faut savoir balayer d’abord dans sa cour…

Sommes-nous aujourd'hui prêts à faire face à une épidémie grave à l'échelle nationale ou régionale (voire d'une pandémie) ? Quels genres d'épidémies pourraient exploser ? Et existent-ils un réseau international de collaboration entre les Etats pour communiquer et mieux gérer les situations de crise ?

On n’est jamais bien préparé à affronter un risque grave. Lorsque Tchernobyl s’est produit, on a dit, que c’était dû à la vétusté industrielle de l’ère post-soviétique, mais souvenons-nous, les Japonais n’étaient pas beaucoup mieux préparés à affronter Fukushima. Les tsunamis, les tremblements de terre, les cyclones dévastateurs… tous ces événements extrêmes et imprédictibles sont très difficiles à contrer. Il est plus simple (probablement) de se préparer à une montée du niveau de la mer qui mettra plusieurs dizaines d’années avant qu’elle devienne perceptible, qu’à une inondation massive comme celle qu’a connue la ville de New-York lors du passage du cyclone Sandy les 28 et 29 octobre 2012.

Bien sûr l'OMS veille sur nous en recueillant de tous les coins de la planète des informations susceptibles de devenir des alertes appelant des réponses appropriées. On a un peu tendance à comparer les flambées épidémiques à des incendies de forêt. Si vous arrivez très rapidement sur l’émergence du foyer, près de l’étincelle, vous pouvez éteindre l’incendie avec des moyens relativement limités. Si vous n’intervenez pas, faute de moyen ou surtout faute de vigilance, alors il faut déployer un arsenal rapidement coûteux et déplorer des dégâts beaucoup plus considérables. Lorsque l’on n’est pas au courant à temps d’une épidémie de méningite en Afrique sub-saharienne, en raison, par exemple, des conflits armés qui rendent difficile la surveillance épidémiologique, alors ce sont des milliers d’enfants qui risquent d’en être les victimes inutiles, malgré l’existence d’un vaccin efficace qui aurait pu les sauver si on s’y était pris à temps. L’OMS qui ne dispose pas d’un budget très supérieur à celui d’un gros hôpital universitaire français (moins de 4 milliards de dollars en 2013 ; à titre de comparaison le budget de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris était de l’ordre de 7 milliards d’euro) est cependant aidée par d’autres sources parallèles : la Fondation Bill et Melinda Gates aux Etats-Unis (qui apporte la moitié des fonds pour venir à bout de la poliomyélite, entre autres), le Fonds Mondial de lutte contre la tuberculose, le sida et le paludisme (dont la France est le deuxième donateur après les USA), et bon nombre d’autres institutions caritatives et plans d’aides bilatérales ou multilatérales au développement, sans parler des sommes que mettent les Etats, les communautés d’Etats (comme l’UE) et les industriels du médicament et du vaccin en matière de recherche, de prévention et de lutte contre les épidémies de maladies infectieuses.  Faut-il consacrer davantage d’efforts à la lutte contre les maladies infectieuses ? Ce n’est pas sûr. Il ne faut certainement pas baisser la garde, et il faut tenter d’éradiquer les maladies "éradicables", car toutes ne le sont malheureusement pas. C'est le cas du tétanos – dont le bacille se multiplie dans la terre, sur les clous rouillés ou sur les épines de roses : que l’on se vaccine ou non, jamais on n’éradiquera le tétanos qui est gravissime, mais on pourra toujours l’éviter en restant à jour de sa vaccination. Il faut aussi être vigilant, et savoir que les virus ou les bactéries n’attendent pas de visa pour passer les frontières.

Enfin, il y a des maladies qui émergent sans cesse, et la promiscuité créée par l’accroissement démographique est un facteur favorisant clairement ces émergences épidémiques comme nous le disions plus haut. Les maladies infectieuses émergentes n’ont cessé d’augmenter depuis 50 ans, comme cela a été montré par une équipe de chercheurs anglo-américains en 2008... même si la mortalité par maladies infectieuses n’a fait, elle, que reculer, pendant la même période. Il faudra incessamment chercher (et trouver) de nouvelles méthodes de prévention et de lutte contre ces nouveaux fléaux, de nouveaux vaccins, de nouveaux antibiotiques contre les bactéries devenues résistantes, des antiviraux et des antiparasitaires. Et dans le même temps, il ne faudra pas négliger toutes les maladies, souvent "épidémiques" elles aussi, mais qui ne sont pas transmissibles, et qui tuent désormais majoritairement la population mondiale : je veux parler des maladies du cœur et des vaisseaux, des cancers, du diabète, des maladies chroniques et des maladies mentales qui entrainent tant de souffrance et d’invalidité et qui seront en nombre croissant avec l’accroissement démographique et le vieillissement de la population mondiale. Il manque encore pour ces maladies-là un fonds mondial et un effort coordonné de la même ampleur que pour les maladies transmissibles.

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