Rapport à l'argent : les loups de Wall Street ont beaucoup perdu de leur panache depuis les années 1980 <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Le film "Le Loup de Wall Street" dépeint la folle vie d'un jeune trader.
Le film "Le Loup de Wall Street" dépeint la folle vie d'un jeune trader.
©Reuters

Pas youpi pour les yuppies

Le "Loup de Wall Street", c'est un film mais aussi la description d'un mode de vie partiellement disparu : les mœurs changent et celles des traders n'y font pas exception.

Vincent Cespedes

Vincent Cespedes

Vincent Cespedes est philosophe et écrivain.

Il est l'auteur de L'homme expliqué aux femmes ou encore de L'Ambition ou l'épopée de soi chez Flammarion.

Il tient une page Facebook ainsi qu'un blog.

Voir la bio »

Atlantico : Le Loup de Wall Street dépeint la folle vie d'un jeune trader à qui tout réussit. Dépenses énormes et décomplexées pour le plaisir (alcool, drogue, femmes), tel était le credo de cette jeunesse des années 80-90, en contraste avec celle des années 2000, qui semble entretenir un tout autre rapport avec l'argent notamment à cause de la crise qui est passée par là.  Que vous inspirent ces deux situations ?

Vincent Cespedes : Dans ces années-là, l'argent était facteur de perdition, il permettait de flamber, d'afficher un train de vie, il était adressé aux autres comme un message de réussite, un message presque moral ("si j'airéussi c'est parce que je suis bon"). Aujourd'hui, l'argent est un moyen pour se prémunir contre le stress (de l'entreprise, de la transition, de l'incertitude). C'est devenu une sorte d'anxiolytique.A mon avis, aujourd'hui on ne communique plus de soi par l'argent mais l'argent sert plus à se prémunir d'un destin qui pourrait être funeste.

Que font les jeunes aujourd'hui avec leur argent ? Et d'où vient leur argent ?

Aujourd'hui, les jeunes ont trois types de consommation :

- la consommation plaisir : acheter du shit, des jeux vidéo, aller au cinéma, s'acheter des fringues, acheter à manger. L'argent permet de rendre l'existence gourmande ;

- le système D : coups de main, trocs. Des études sociologues ont montré le rapport financiarisé aux coups de main que l'on peut donner, même si c'est symbolique. De façon très décomplexée, l'idée que tout travail mérite salaire, même dans l'amitié, est communément admise. Phénomène peut-être pas majoritaire mais nouveau, parce que dans les années 1990 on avait beau flamber avec notre argent, l'idée de payer ses amis était une idée saugrenue. Je pense que cela vient de l'idée de ne pas être redevable, même à ses amis. L'argent permet de clarifier les relations et de ne pas mettre un trouble dans l'affectif alors qu'avec la crise, on aurait pu imaginer que c'est la gratuité qui augmenterait ;

- les voyages : il ne s'agit pas forcément de vacances au Club Med à l'étranger mais de déplacements en France ou en Europe dans le cadre d'Erasmus ou pour rendre visite à ses petits-amis à l'étranger. Les voyages sont une grande préoccupation pour la jeunesse d'aujourd'hui.

Leur argent vient principalement des parents jusqu'à l'âge de 30 ans. Les parents sont très compatissants, eu égard à leur jeunesse, et comprennent presque honteusement, et de manière coupable, que la vie qu'ils ont donnée à leur enfant est plus difficile que la leur. Ensuite il y a les jobs, très précaires : multiplication de stages, beaucoup de CDD, multiplication de jobs alimentaires – jobs à côté comme les cours particuliers (la moyenne d'âge des professeurs donnant des cours particuliers a augmenté de huit ans en quinze ans). C'est encore le système D.

Plus largement, que représente aujourd'hui l'argent dans notre société ?

L'argent permet de faire face aux petits problèmes de l'existence ; il ne s'agit pas d'accéder à une vie de luxe ou de rêve. Surtout, aujourd'hui l'argent est un facteur de démultiplication des variantes stratégiques. Quand j'ai une stratégie, des objectifs (professionnels, amoureux ou autres), je fais un plan A et s'il ne marche pas, je fais un plan B. Quand on a de l'ambition, on évite de n'avoir qu'un plan A parce que c'est risquer l'échec et c'est être extrêmement visible de la part de ses concurrents. Plus j'ai de plans, plus j'ai une stratégie ambitionnelle, moins je suis visible pour les autres et plus je peux réussir. L'argent permet de démultiplier ces variantes, les possibles.  Il permet d'être agile, au sens du management agile, de s'adapter souplement aux opportunités. Quelqu'un qui a de l'argent est capable d'agir, d'être informé et de communiquer plus rapidement. Plus j'ai de l'argent, plus je peux m'adapter dans un monde beaucoup plus concurrentiel et mouvant qu'il y a 20 ans.

L'argent ne fait pas le bonheur… Ce dicton est-il plus vrai de nos jours qu'il ne l'était dans les années 80-90 ?

Je pense que ce dicton est faux, je pense que l'argent fait totalement le bonheur. On sait très bien que ce dicton est une invention des riches pour calmer les pauvres. Et Marx avait très bien compris que l'argent fait le bonheur dans son manifeste de 1844. Aujourd'hui, ceux qui ont de l'argent sont mieux guéris que les autres, ont des métiers qui permettent de mourir plus tard que les autres (il y a dix ans d'écart entre les espérances de vie d'un ouvrier et d'un cadre), ils vivent mieux et ont des enfants élevés dans des conditions salubres.

La grande différence est que l'argent a cessé d'être une valeur en soi alors qu'il l'était à l'époque – il était même presque une sorte de gage de bonne moralité. Les riches n'étaient pas soupçonnés tandis qu'aujourd'hui ils font la une des scandales, et des cercles fortunés arrogants attirent la méfiance. L'argent sans valeur ne fait pas le bonheur.Aussi, aujourd'hui, l'argent est devenu amoral : un riche peut aussi bien faire le mal que le bien. Les familles qui ont de l'argent développent des philosophies de vie quant à l'utilisation de leur argent.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !