Ce qu’on sait maintenant de la proportion de nos souvenirs potentiellement fausse<!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude réalisée en 2011 par l’université de Californie a montré qu'une partie de nos souvenirs serait plus ou moins erronée
Une étude réalisée en 2011 par l’université de Californie a montré qu'une partie de nos souvenirs serait plus ou moins erronée
©Reuters

Fuite de cerveau

Études, travail, grande Histoire : les souvenirs sont au cœur de notre vie comme de la construction même de nos valeurs. Pourtant, nous aurions tort de leur accorder toute notre confiance car si nous mémorisons tout, nous "réanimons" mal ces données.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Une étude réalisée en 2011 par l’université de Californie a montré qu'une partie de nos souvenirs serait plus ou moins erronée. Quelle part de nos souvenirs est fausse ? 

Jean-Paul Mialet : On ne peut pas dire que nos souvenirs soient faux. Quand on a enregistré une information, on sait qu’on ne l’a pas imaginée. On l’a perçue et on en garde une trace. Le souvenir est en fait une trace d’un événement qui s’est déposée dans notre cerveau. En matière de mémoire, d’ailleurs, on enregistre à peu près tout. Tout se passe comme si notre cerveau avait la capacité de garder en mémoire la totalité des événements que nous avons subis. Nous mémorisons tout mais quand il s’agit de réactiver ce qui a été mémorisé, nous faisons un travail imprécis. La trace qui a été mise en mémoire doit être ramenée à la conscience et ce travail altère tout le temps le souvenir. Voilà pourquoi nos souvenirs sont en partie erronés : d’une part, nous ne percevons qu’un aspect des événements ; d’autre part, quand on ramène le souvenir, on peut transformer.

Cela concerne-t-il tous nos souvenirs ? Existe-t-il des degrés différents de vérité pour nos souvenirs ?

Si on est extrêmement rigoureux, tous nos souvenirs sont faux puisqu’ils portent sur des événements passés qu’on réinterprète. Il y a évidemment différents degrés d’erreur dans l’évocation mais ça reste une évocation.

Un souvenir est quelque chose qu’on récupère en passant par des filtres. Différents éléments participent à l’altération des souvenirs. Il y a d’abord les interférences entre souvenirs : on voit des choses qui se ressemblent et on fait une confusion. C’est pour ça que l’on dit que les gens qui vieillissent retrouvent volontiers leurs souvenirs d’enfance parce que toutes les couches de souvenir qui s’étaient déposées entre temps disparaissent. Et ce sont les souvenirs déposés en dernier qui disparaissent les premiers.

Entre également en ligne de compte l’émotion que l’on avait quand on a fixé le souvenir. Cet état émotionnel va filtrer la mémoire et si nous ne sommes pas dans le même état émotionnel, on va avoir plus de difficulté à le retrouver.

Est-ce que les souvenirs anciens comportent plus d’erreurs que les souvenirs récents ?

Globalement, plus un souvenir est ancien, plus il y a d’altération. Beaucoup de choses ont été vécues et peuvent altérer ce souvenir. Nous pouvons avoir tendance à interpréter ces souvenirs anciens avec tout un tas de choses, on peut rajouter des détails qui n’existaient pas ou introduire un peu de confusion.

Le souvenir peut également avoir été mis en mémoire avec un état d’esprit différent de celui d’aujourd’hui. C’est l’exemple typique de la salle de classe qu’on enregistre en étant enfant ; en la revoyant adulte, la salle paraît beaucoup plus petite parce qu’elle a été stockée avec des yeux d’enfant.

Comment ce débat peut être utilisé dans le milieu judiciaire ? Que faut-il penser de certains experts psychiatriques qui, notamment dans les cas de viols, avancent que le souvenir peut être erroné ?

Cela ne remet pas en cause tout témoignage car la modification reste à la marge. Un souvenir n’est pas une construction totale, sinon c’est un mensonge. Tout témoignage même sincère doit être examiné avec beaucoup de prudence car il est sujet à modification.

Le cas des viols est encore particulier car c’est un souvenir vécu dans un très grand état d’émotion et il peut y avoir beaucoup de pollution, de contamination des pensées postérieures au viol, des reconstructions. Il peut aussi y avoir un effet de suggestion, des souvenirs qui peuvent être créés de toute pièce dans une phase de reconstruction.

Cela est d’autant plus vrai quand il s’agit d’un viol commis sur un enfant car la mémoire est en plein développement. En revanche, le viol de l’adulte donne des souvenirs forcément précis et marquants car on est dans un souvenir lié à de très fortes émotions. Certaines personnes peuvent éviter ce souvenir et, en le rapportant, l’atténuer, ou ce peut être l’inverse et, dans une forme de complaisance, elles exagérent le souvenir.

Globalement, quand on rapporte un souvenir, on exprime quelque chose de subjectif à quelqu’un. L’état de grande émotion peut amener à ne stocker que les éléments les plus saillants et, ensuite, au moment  de la reconstruction, ajouter à ces éléments saillants des détails qui n’existaient pas. Ce n’est pas de l’affabulation : on ne le fait pas exprès.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut rejeter un témoignage. Un souvenir contient un poids d’authenticité même s’il y a des désinformations ; le témoignage reste une source d’information extrêmement précieuse même s’il doit toujours être abordé avec prudence. 

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