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Cinq ans après, a-t-on vraiment réussi à sortir du modèle financier qui provoqua la crise de 2008 ?
©Michael Cembalest/JP Morgan

Bonnes feuilles

Satyajit Das est un financier mondialement connu, spécialiste du risque bancaire. Avec "Extreme Money" (Editions Le Jardin des Livres), il raconte comment la crise a été vécue au sein de Wall Street par les traders et pourquoi leurs réactions et leurs actions ont été "surréalistes". Extrait (2/2).

Satyajit Das

Satyajit Das

Satyajit Das travaille sur les marchés financiers depuis plus de 30 ans. Depuis 1994, il est consultant auprès d'institutions financières et de sociétés en Europe, Amérique du Nord, Asie et Australie. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur les produits dérivés et la gestion des risques.

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Quand on me demanda ce qui arrivait, je fis un dessin au dos d'une serviette ci-dessous. On a une boîte – l'économie réelle originale.

(Cliquez sur le graphique pour l'agrandir)

À l'ère du capital, une économie plus grande apparaît, en fait deux boîtes empilées l'une sur l'autre – l'économie réelle et l'économie de l'argent extrême, avec sa dette et sa spéculation excessives. Dans la crise financière mondiale, la boîte de l'argent extrême disparaît, ne laissant plus que la petite boîte de l'économie réelle, une fois de plus.

Le monde possède désormais moins de richesse, plus de dette et risque de connaître une croissance plus faible. L'amélioration des niveaux de vie, que l'on considérait comme un fait acquis, est susceptible de ralentir. Pour certains pays ou couches sociales, qui ont vécu au-dessus de leurs moyens, le niveau de vie va certainement baisser, sans doute fortement.

Dans un monde à l'inégalité croissante, un petit groupe deviendra encore plus riche, transformant des compétences rares en une part accrue du gâteau économique. Beaucoup de gens seront marginalisés, entraînés dans une existence précaire et incertaine, au sein d'un monde infernal où régneront l'insécurité de l'emploi et des revenus stagnants. Comme l'avait prédit le journaliste Peter Gosselin : « Quelques rares élus disposeront d'une grande richesse pratiquement sans risque, alors que la majorité devra accepter la possibilité qu'un retour en arrière – de leur propre fait ou de celui d'un autre – pourra détruire ce qu'ils auront mis toute une vie à rassembler. » (833) Dans un monde économiquement fragile, les gens ordinaires considèrent le futur pour eux-mêmes et pour leur enfants avec anxiété. Face à des perspectives de carrière incertaines, même des jeunes gens munis d'une solide formation pourront se sentir désespérés et de plus en plus privés de droits. « J'ai tous les diplômes possibles et imaginables, sauf le diplôme de mort. »

Les entreprises se mettent en quatre financièrement pour survivre et maintenir leur rentabilité. À court terme, elles gagnent de l'argent, serrant les coûts, réduisant le personnel et les avantages. Elles ne créent des emplois que dans des pays où le coût du travail est faible et où les perspectives de croissance sont meilleures. Mais à la fin, la faible croissance économique les rattrape, érodant les profits. Le pari héroïque selon lequel la croissance et l'inflation sauveraient le monde en résolvant le problème des niveaux excessifs de dette a peu de chance d'aboutir. L'emprunt public ne peut pas se substituer complètement et indéfiniment à la demande privée, et les gouvernements seront en fin de compte contraints de réduire la dette. En 1939, Henry Morgenthau, secrétaire d'État américain au Trésor, l'admettait déjà : « Nous avons essayé de dépenser de l'argent. Nous dépensons plus que nous ne l'avons jamais fait et cela ne marche pas. » (835)

Anticipant une plus grande exigence des investisseurs à la suite de la crise continue de la dette européenne, tous les gouvernements essayent d'améliorer l'état des finances publiques. Ils réduisent les dépenses de sécurité sociale. L'allongement de la durée du travail contraint la plupart des salariés à travailler quasiment jusqu'à la tombe, car leurs retraite sont insuffisantes. Les gouvernements ajoutent des impôts ; cela donne du travail à une flopée de comptables, avocats et banquiers privés, qui permettent à ceux qui peuvent se payer leurs honoraires de ne payer qu'un minimum d'impôts.

Les leaders mondiaux passent d'un sommet à un autre, corroborant le conseil de John Holbo (« deux pas de futilité ») pour faire face aux médias : « Dites quelque chose d'ambigu après quelque chose de tellement fort qu'il semblerait absurde et idiot de le mentionner. Si vous êtes attaqué, sautez d'un pied sur l'autre autant que nécessaire, en conservant un visage sérieux. » (836) Le niveau du débat politique s'élève rarement au-dessus de l'économie qu'on enseigne au lycée. Malgré ses prétentions mathématiques, la discussion est « menée en des termes qui seraient tout à fait familiers à des économistes des années 1920 et 1930, soulignant ainsi le manque de progrès de nos connaissances en 80 ans ».(837) Il n'existe aucune solution simple et sans douleur.

Le monde doit réduire sa dette, restreindre la part financière de l'économie et changer les structures incitatives destructrices de la finance. Les individus des pays développés doivent épargner plus et dépenser moins. Les entreprises doivent retrouver le coeur de leur activité. Les gouvernements doivent mieux équilibrer leur comptes. La banque doit devenir un mécanisme pour rapprocher épargnants et emprunteurs, pour financer des choses réelles. Les banques ne peuvent pas être plus grandes que des nations, des États dans l'État. Les pays ne peuvent compter sur la dette et la spéculation pour financer la prospérité. Le monde doit vivre selon ses moyens.

Réformer l'économie, tenir l'argent extrême en laisse, n'est pas difficile, mais implique des coûts élevés à court terme, ainsi qu'une croissance et des niveaux de vie plus faibles à moyen terme. Des compromis impopulaires et politiquement intenables signifient que les politiciens choisissent une voie avec moins de résistance, engageant plus d'argent pour restaurer le statu quo ante, en utilisant de la dette publique pour entretenir le système, absorber les pertes privées et ralentir la réduction de la dette. Le ministre allemand des finances, Peer Steinbruck s'est interrogé sur la pertinence de cette approche : « Quand je les interroge sur les origines de cette crise, les économistes que je respecte me disent que c'est le crédit qui a financé la croissance des dernières décennies. N'est-ce pas la même erreur que tout le monde est en train de commettre ? » (838) Le monde cherche désespérément à croire que la crise est passée, que les bons moments sont de retour. Gatsby, lui aussi, s'est construit une illusion avec laquelle vivre. Pendant un moment, ses rêves semblaient si proches qu'ils étaient presque accessibles. Mais il ne savait pas qu'ils étaient déjà derrière lui. (839)

833 P. Gosselin High Wire: The Precarious Financial Lives of American Families, Basic Books: 234.

834 R. Donadio "Europe"s young grow agitated over future prospects" 1 jan 2011 New York Times.
835 http://en.wikipedia.org/wiki/New_Deal
836 http://crookedtimber.org/2007/04/11/when-i-hear-the-word-culture-aw-hell-with-it
837 G. Clark "Dismal scientists: how the crash is reshaping economics" 16 fev 2009 Atlantic Monthly.

838 Newsweek (15 décembre 2008).
839 F. Scott Fitzgerald (1973) The Great Gatsby (Gatsby Le Magnifique), Penguin Books, London: 188.

Extrait de "Extreme Money", Satyajit Das (Editions Le Jardin des Livres), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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