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Jusqu'où le niveau des mers va-t-il monter (et quelles en seront les conséquences) ?
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Bonnes feuilles

A travers une étude des populations et des mécanismes océaniques, cet ouvrage est un plaidoyer pour la sauvegarde des océans avec force de propositions. Extrait de "Océans : la grande alarme" (2/2).

Callum Roberts

Callum Roberts

Callum Roberts est professeur de conservation marine à l'université d'York et professeur associé à l'université Harvard. Ses efforts ont abouti à la création, en 2010, du premier réseau mondial de zones sanctuarisées en haute mer. Il est actuellement ambassadeur pour la Grande-Bretagne du Fonds mondial pour la nature (WWF).

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La Terre est régie par des principes physiques immuables. Par exemple, le fait que les substances chaudes occupent davantage d’espace que les substances froides 1. Pour nous, peu importe que le sol et la roche se dilatent à mesure que la planète se réchauffe. Mais il en va tout autrement quand cette chaleur dilate les océans et que la mer se met à reconquérir les terres côtières les plus précieuses. Des viviers aménagés il y a 2 000 ans par les Romains au niveau de la mer ont permis de déterminer à quel moment son niveau s’est mis à véritablement monter 2. À l’époque de leur aménagement, le niveau de la Méditerranée était inférieur de 13 cm à ce qu’il est aujourd’hui. Le début de la hausse ne date que d’une centaine d’années, époque où les températures à l’échelle mondiale ont commencé à réagir aux émissions de gaz à effet de serre en lien avec la révolution industrielle. Depuis, le processus s’est considérablement accéléré. Le niveau des mers s’est élevé d’environ 20 cm entre 1870 et 2000 1. Nous le savons grâce aux milliers de jauges de marée réparties à travers le monde. Depuis 1993, ces données ont été complétées par les observations effectuées à partir de satellites qui sont capables de mesurer les fluctuations du niveau de la mer au millimètre près. En moyenne, sur cent trente ans, la hausse équivaut à 1,7 mm par an ; mais sa vitesse s’est accélérée ces vingt dernières années et elle atteint maintenant 3,3 mm par an 2. Les trois quarts de l’élévation du niveau des mers depuis 1900 sont dus au réchauffement planétaire déclenché par les gaz à effet de serre. La dilatation de l’eau provoquée par le réchauffement de la surface de la mer a contribué au quart de la hausse depuis 1960 et à 30 % de 1993 à 2009. Le reste est imputable à la fonte des glaciers et des calottes polaires ainsi qu’au pompage pour l’irrigation 3.

Le niveau de la mer serait monté d’un demi-millimètre supplémentaire par an si nous ne nous étions pas lancés, à partir du milieu du XXe siècle, dans la construction systématique de barrages, qui ont retenu l’eau douce. Cet effet bénéfique des barrages a été passablement amoindri du fait qu’ils ont également bloqué le passage d’énormes quantités de vase et, par conséquent, hâté l’érosion autour des deltas des fleuves, du Yangtsé au Mississippi. Certaines parties du delta du Nil ont reculé de 150 m par an depuis la construction du barrage d’Assouan en 1964 4.

Jusqu’ici, seules les couches supérieures de la mer se sont réchauffées. À mesure que la chaleur pénètre plus profondément, la mer se dilate et son niveau continue de monter. En 2007, le GIEC a prédit qu’il pourrait s’élever encore de 18 à 59 cm d’ici à l’an 2100, selon la rapidité avec laquelle nous saurons maîtriser les agents du changement climatique. Ses prévisions tiennent compte de la dilatation thermique de l’eau de mer ainsi que de la fonte des glaciers de montagne et des inlandsis du Groenland et de l’Antarctique. Mais l’accélération récente vient de plus en plus contredire ces chiffres : le niveau des mers est monté plus vite que ne l’avaient envisagé les prévisions les plus hautes faites il y a dix ans.

De nouvelles recherches menées sur les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique donnent à penser que nous approchons, à moins que nous l’ayons déjà dépassé, d’un point de basculement dans la fonte rapide des glaciers continentaux, qui sera à l’avenir la cause majeure de la hausse du niveau des mers de la planète. Si les glaciers du Groenland fondaient entièrement, le niveau des eaux monterait de 6 m, déclenchant un exode massif des habitants des côtes basses et de leurs villes. La fonte des glaciers de l’Antarctique occidental y ajouterait encore 3 m 1. Une hausse de 6 m rayerait de la carte la majeure partie de la Floride au nord de Miami 2. Elle submergerait le delta du Mississippi et un tiers de New York. Elle inonderait la plus grande partie de Londres et de Hambourg, transformerait Lagos en lagon et le Bangladesh en marécage.

Les traces du niveau de la mer conservées dans les récifs coralliens fossiles d’Amérique centrale semblent indiquer que nous avons déjà franchi le point de rupture au moins une fois, il y a 121 000 ans, quand ce niveau est monté de 3 m en un siècle (dix fois plus vite qu’aujourd’hui 3). D’aucuns affirment que le monde était alors analogue à ce qu’il pourrait devenir sous l’effet du réchauffement actuel. La température moyenne était supérieure de 2 °C à ce qu’elle est aujourd’hui et le niveau des mers 6 m plus haut 1, submergeant deltas et plaines dans de nombreuses régions côtières basses, qui, de nos jours, sont densément peuplées. Certes, ces niveaux extrêmes ne peuvent être atteints du jour au lendemain. Le niveau de la mer met du temps à réagir au réchauffement de la planète. Une fourchette d’estimations effectuées depuis l’évaluation du GIEC de 2007 laisse supposer que la limite supérieure de la vitesse de hausse est de l’ordre de 2 m en un siècle 2.

La fonte des glaces marines de l’Arctique est sans doute la manifestation la plus frappante du réchauffement planétaire, mais, même si celles-ci disparaissaient entièrement, elles ne hausseraient pas le niveau de la mer car elles flottent dessus. (Si vous n’en êtes pas convaincu, mettez un glaçon dans un verre d’eau et vous verrez que le niveau reste le même quand il fond.) C’est des glaciers continentaux, surtout du Groenland et de l’Antarctique, qu’il faut s’inquiéter. Ils se sont révélés moins durables que ne l’avait espéré le GIEC. La glace chauffée en surface fond et forme des mares et des ruisseaux. Les ruisseaux enflent et confluent en rivières bleues qui coulent sur la glace jusqu’à trouver une crevasse. Elles chutent alors en cascades qui seraient certainement magnifiques à voir si on le pouvait. Au-dessous du glacier, cette eau courante facilite sa progression hésitante sur le soubassement rocheux et accélère sa glissade vers la mer.

Sur les bords, les calottes sont souvent retenues par des crêtes de roche sous-marine sur lesquelles le glacier s’est échoué. Le réchauffement planétaire ronge également ces barrières. Des langues d’eau chaude (à l’aune polaire, du moins) se glissent sous la glace et la libèrent de ses ancrages. Le glacier de l’Antarctique occidental s’est déjà détaché de l’une de ses principales amarres 1. Les mesures effectuées à partir d’avions et de satellites montrent que le front des glaciers du Groenland et de l’Antarctique se rapproche encore plus vite de la mer. Des boucles de rétroaction positives semblent accélérer la fonte de glaciers continentaux. La présence de mares et de rivières bleues formées par la fonte à la surface a pour effet de réduire la quantité de chaleur solaire réfléchie et donc de favoriser la fonte. Il est difficile de dire quelle sera la contribution des inlandsis à la hausse du niveau de la mer, car le changement climatique a aussi intensifié les chutes de neige sur leurs régions intérieures, aidant ainsi à compenser les pertes sur les bords. La façon dont évoluera l’équilibre entre la croissance de ces masses de glace et leur fonte au cours du prochain siècle sera critique pour les innombrables habitants des côtes basses.

Une autre boucle de rétroaction positive qui amplifie le réchauffement planétaire est apparue récemment dans l’océan Arctique. Le plancher sous-marin a commencé à vomir en quantités colossales des bulles de méthane libéré par la fonte du permafrost du fond de l’océan, là où les inlandsis reculent. Des scientifiques russes ont annoncé cette découverte à une conférence tenue à San Francisco en décembre 2011, où le directeur de l’équipe, le professeur Igor Semiletov, a décrit des fontaines de méthane de près d’un kilomètre d’envergure 2. Ils en ont vu des centaines, a-t-il précisé, et estiment qu’il pourrait y en avoir des milliers. Les émissions de méthane du fond de la mer viennent donc maintenant s’ajouter à celles provenant de la fonte du permafrost sur les continents et accélèrent ainsi le réchauffement climatique.

Selon de récentes estimations, la hausse du niveau de la mer même modeste prédite par le GIEC – 59 cm d’ici à 2100 – pourrait déplacer des centaines de millions de personnes et submerger plus d’un million de kilomètres carrés de terres agricoles de la planète ainsi que les villes côtières voisines. Dix pour cent de la population mondiale vit sur un littoral situé à moins de 10 m au-dessus de l’actuel niveau de la mer. Onze des seize mégalopoles mondiales de plus de 15 millions d’habitants sont bâties sur des côtes ou des estuaires : Tokyo, Guangzhou, Shanghai, Mumbai (Bombay), New York, Manille, Jakarta, Los Angeles, Karachi, Osaka et Calcutta. La population mondiale augmentant, leur nombre va croître et quatre autres mégalopoles côtières devraient s’ajouter à la liste d’ici à 2025 : Buenos Aires, Dhaka, Istanbul et Rio de Janeiro 1. Quand la marée monte, il y a trois façons possibles de parer à la menace : battre en retraite, s’adapter ou se défendre. La défense est la réaction habituelle.

Extrait de "Océans : la grande alarme", Callum Roberts, (Editions Flammarion), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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