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Ecole en bateau : la longue et douloureuse prise de conscience des victimes de pédophilie
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Bonnes feuilles

Ce témoignage raconte ce qu'a été pour de nombreux enfants la réalité de l'Ecole en bateau : à la fois une aventure extraordinaire, un environnement despotique et un cercle d'attraction pédophile. Extrait de "Les perles de lumière" (1/2).

Benoît Klam

Benoît Klam

A neuf ans, Benoît Klam quitte sa famille pour l’aventure et le voyage : sillonner les mers sur un voilier avec l’école alternative l’Ecole en bateau. A quatorze ans, il débarque, reprend ses études et sort diplômé de l’Ecole Centrale. Il est ingénieur chez un opérateur pétrolier norvégien (Mer de Norvège/Sahara).

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Adulte, Mael avait mis du temps, beaucoup de temps, pour comprendre ce qu’il avait vécu et probablement n’avait-il jamais vraiment compris tout à fait. Il était ainsi des choses qui touchaient, qui brûlaient, qui défiguraient si profondément que l’on ne pouvait en saisir pleinement ni la réalité ni la portée.

Mael avait d’abord cru, dur comme fer, qu’il avait eu le choix. Il avait été l’égal de Stanek et Boris, la responsabilité devait donc être partagée, cinquante-cinquante. En plus, il y avait pris plaisir, son corps avait aimé et joui. Et puis, personne ne l’avait jamais forcé, personne ne l’avait physiquement malmené, ni menacé d’ailleurs ; il ne pouvait donc s’agir de viols. Et, enfin, il y avait cette nuit, lorsqu’à l’orée de l’adolescence, Mael s’était soudain senti bizarrement mal à l’aise et était resté de marbre, passif face aux caresses insistantes de Boris. Celui-ci, percevant le malaise, avait demandé si quelque chose n’allait pas, si ça le dérangeait, Mael avait répondu « non ». Murmure léger, abstrait, absent. Tout son corps disait « oui », mais de sa bouche seul le non avait pu sortir et son corps avait dû se mettre au diapason de ce mot. L’enfant avait, là, une fois encore, activement choisi. Franchement, cela n’avait pu être cinquante-cinquante, cela avait été du cent pour cent. Mael avait eu le choix. Il avait choisi. À lui seul d’assumer ses choix.

Quelques années plus tard, Mael avait compris qu’il n’avait pas vraiment exactement tout à fait eu le choix, mais il avait balayé le tout sous le tapis en se disant que rien n’était parfait, ni même une expérience aussi extraordinaire que cinq années de jeunesse passées à parcourir les mers. Les ombres de la nuit avaient, en quelque sorte, été le revers de la médaille. Toute chose avait, après tout, un prix.

Ce n’était que bien plus tard, la première colonie de poils blancs déjà implantée dans sa barbe noire, que Mael avait saisi la fantastique illusion qui l’avait abusé et qu’il avait saisi qu’un viol pouvait être sans bâton et sans grand méchant loup, grandes dents et pelage gris, vous faisant monter dans une voiture après vous avoir appâté avec des bonbons.

Dans la genèse de l’intimité conjugale, les traits de sa femme s’étaient transformés en ceux de Stanek ou de Boris, brouillant les cartes, mêlant confusément le passé au présent, s’élevant entre elle et lui. Il avait craqué. Raconté son secret, tout en se demandant si elle allait lui tourner le dos, partir en courant. Elle était restée. L’illusion s’était brisée. Ses yeux s’étaient ouverts.

La réalité fut trop forte, trop violente pour que Mael pût l’accepter. Comment eût-il pu vivre sachant qu’il avait été abandonné à l’autre bout du monde dans une sorte de harem flottant où il avait passé ses journées à briquer le pont sous un soleil de feu, à préparer les repas des messieurs et ses nuits à satisfaire leur libido ? Mael avait tout rejeté, l’extraordinaire et le désespoir, et s’était efforcé d’effacer ces cinq années d’enfance. Il avait passé le reste de sa vie avec ce trou béant en son sein. Il avait passé le reste de sa vie à chercher comment combler ce trou béant. D’errance en errance, il n’avait compris que la seule chose qui eût pu remplir ce vide était sa propre reconnaissance, sa propre acceptation de ce que fut son enfance et du garçon défiguré, terrorisé qui se terrait au plus profond de ses tripes.

Lorsque les enfants de Mael avaient vu le jour, les fantômes étaient revenus au grand galop. Et, bouillonnants de colère d’avoir été si longtemps tenus à l’écart, ils avaient fait un tintamarre de tous les diables, battant les casseroles, hululant tant et si bien que Mael s’était mis à avoir une peur bleue de lui-même. Allait-il lui aussi se transformer en monstre à l’insatiable soif d’enfants ? Peut-être même était-il déjà un monstre ? Il avait entendu dire que c’était contagieux, ces choses-là, comme les vampires.

En changeant les premières couches, ses mains avaient tremblé. Non pas d’émotion et d’une gaucherie attendrie, mais de frousse : d’un instant à l’autre ses incisives pouvaient pousser, sa chemise éclater, déchirée par d’énormes muscles verts, et alors qu’adviendrait-il des trois kilos de chair fraîche devant lui ? La porte ! La laisser ouverte ! À tout prix ! Il ne devait pas rester seul avec un enfant. En aucun cas. Les autres… Les autres, le monde extérieur devaient voir ce qu’il se passait, sinon… Sinon qu’allaient-ils penser qu’il traficotât derrière cette porte, entre quatre murs ? Bien sûr, ils penseraient à mal, il serait perdu.

Transpirant à grosses gouttes, la porte ouverte, Mael avait torché les fesses, enlevé la matière jaune citron qui s’étalait partout, mis de nouveaux langes. Jour après jour, la chemise était restée intacte. Les muscles aussi. Et les incisives. Malgré les fantômes, le monstre ne donnait pas signe de vie. Passés quelques mois, les mains tremblèrent moins, les sueurs froides se firent moins abondantes. Les fantômes perdaient de leur force. Passé un an ou deux, la porte put être fermée. Les enfants purent prendre place sur les genoux de leur père et dans ses bras.

Extrait de "Les perles de lumière", Benoît Klam, (Editions du Rocher), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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