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Ce qui rassemble les Français est-il toujours plus fort que ce qui les divise ?
©Reuters

Tempérament gaulois

57% des Français estiment que ce qui les divise est plus fort que ce qui les rassemble, selon un sondage CSA. Si la valeur travail et l'Histoire de France les rapprochent, ce n'est pas le cas de la mondialisation ou du mariage pour tous.

Atlantico : Début décembre, l'Institut CSA organisait un atelier sur le thème : « Français, ce qui vous rassemble est-il toujours plus fort que ce qui vous divise ? » Un sondage que publié le même jour par l'institut semble donner une partie de la réponse , 57% des citoyens estimant que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les rassemble. L'unité nationale est-elle sérieusement menacée ?

Bernard Sananès :Ce que révèle notre étude avant tout est un fort sentiment de gravité chez les Français concernant la situation du pays. Deux tiers des Français affirment que la crise que traverse la France est sans précédent et qu’elle nécessitera des réformes en profondeur. A cela s’ajoute la perception d’un pays en déclin pour 73% d’entre eux. Si les Français se retrouvent sur un diagnostic assez sombre de la situation économique, ils le sont également très nettement sur les priorités à adresser pour s’en sortir. Pour une très large majorité d’entre eux, la réponse devra être d’abord économique. Face à l’angoisse du chômage et de la paupérisation, la création d’emploi et la croissance économique apparaissent comme les défis à adresser en priorité par le gouvernement. 

88% des personnes que nous avons interrogées nous disent que les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne s’occupent pas assez des gens comme eux. Ce sentiment d’abandon alimente de fortes crispations vis-à-vis des institutions. Une majorité de Français on ainsi une image négative des partis politiques, mais aussi des syndicats, des médias, du parlement ou encore de la justice. A cette défiance que l’on pourrait qualifiée de « verticale » à l'égard des Institutions, s’ajoute une défiance cette fois-ci « horizontale », à l’égard de l’Autre. Cela s’illustre par exemple très clairement dans notre étude à travers le durcissement de l’opinion sur le sujet des fraudes sociales, qui apparaît comme le premier sujet d’indignation pour les Français.

Comment expliquez-vous cette crispation de la société ? Quelles sont les principales lignes de clivage ?

Bernard Sananès : On observe d'abord que le statut social continue de fabriquer les clivages d’opinion et de comportements importants, c’est en effet avant la nationalité ce qui apparaît en premier lorsqu’on demande aux Français ce qui les définit le mieux. Ensuite, les clivages se cristallisent sur de grands principes, égalité vs liberté, de grands sujets économiques, sociaux ou sociétaux qui font débat dans la société (les 35 heures, le Mariage pour tous, droit de vote des étrangers aux élections municipales…), et surtout le rapport de chacun à l’ouverture sur le monde. 

En croisant tous les paramètres, l’étude nous permet de décrire les cinq France qui structurent la société aujourd’hui. Il s’agit de « la France du collectif » qui croit au modèle social multi-culturaliste, de « la France libérale traditionnelle », attachée à l’effort et au mérite individuel, de « la France amère » qui représente plus de 30 % de français qui se sent lésée et craint le déclassement social, de « la France en parallèle » qui compte avant tout sur elle-même et rejette le modèle français et enfin « la France absente » qui n’y croit plus et n’attend rien.

La mondialisation est -elle en train de devenir le principal facteur de division entre les Français ?

Bernard Sananès : L’ouverture sur le monde est en tout cas un facteur de clivage très fort, cela est indéniable. La France est partagée entre ceux qui veulent plus d’ouverture sur le monde et ceux qui attendent davantage de protection. La perception de la mondialisation varie selon qu’on évoque la mondialisation économique ou culturelle. Dans toutes les catégories de population à l'exception des classes qui se disent aisées ou privilégiées, la mondialisation est perçue comme "un danger" pour la France "parce qu'elle menace ses entreprises et son modèle social". Ce sentiment est très fort chez les classes moyennes, dans l'espace rural et périurbain, et sur un arc politique qui fait se rejoindre sympathisants du Front National comme du Front de Gauche. Si une large majorité de Français considèrent que la mondialisation économique constitue une menace pour la France et son modèle social, ils sont nombreux à déclarer que la mondialisation culturelle est une chance.

Le sondage révèle néanmoins que la quasi-totalité des personnes interrogées (94%) restent attachés à la France et à certaines de ses valeurs refuges, telles que la famille et le travail. Existe t-il encore entre nos concitoyens des points de rassemblement et de consensus partagé supérieurs à leurs désaccords et à leurs confrontations ? La notion de "valeurs communes" a-t-elle encore un sens ?

Bernard Sananès : En effet, on observe qu’au-delà des divisions, des crispations, il y a malgré tout, et par dessus de tout, des points de rassemblement. Le premier d’entre eux est effectivement l’attachement à la France affirmé par la quasi unanimité des personnes interrogées. La France se définie avant tout pour les Français par son histoire, sa gastronomie et ses paysages. A cette perception un peu nostalgique et surannée de la France s’ajoutent des valeurs intemporelles comme la famille, le travail, ou l’effort, qui peuvent par ailleurs recouvrir aujourd’hui des réalités très différentes pour chacun. L’autre enseignement de notre étude est que les Français se veulent combatifs. Cette mobilisation s’exprime d’abord dans la sphère privée, par exemple à travers des modes de consommation plus engagés. Mais aussi dans la sphère publique, les Français n’hésitant pas à se saisir des outils à leur disposition pour faire entendre leur voix. Enfin, si la défiance à l’encontre des hommes politiques atteint des niveaux historiquement bas, les Français continuent d’exprimer de fortes attentes vis-à-vis d’eux, convaincus pour près d’un Français sur deux que les gouvernants ont le pouvoir de faire avancer la France.

En ces temps d'aggravation de la condition économique du pays, la défiance des Français envers leurs structures politiques est de plus en plus visible. Au regard de l'Histoire récente des mouvements sociaux en France, peut-on distinguer les situations qui ont pu amener les couches moyennes et populaires à entrer dans une forme d'action politique visant à changer un ou plusieurs faits sociaux ?

Michel Pigenet : La crise sociopolitique actuelle semble plutôt résider dans le grippage des anciennes articulations du social et du politique. Cela ne va pas sans rejaillir sur la représentation politique dont la « professionnalisation » traduit le défaut d’ancrage dans les classes populaires et moyennes. Joue aussi la rupture avec un certain volontarisme républicain. Ainsi les « réformes sociales » procèdent-elles d’abord d’une adaptation aux « lois » de l’économie quand le jeu paraît plus ouvert du côté des aspirations sociétales. La mondialisation économique et l’émergence de l’échelon politico-normatif européen brouillent les référents nationaux auparavant maîtrisés dans la dynamique de l’Etat social, stade suprême de l’Etat-nation. Cette perte de repères affecte au premier chef les mouvements populaires. Les classes moyennes réussissent mieux à peser à travers un militantisme associatif nourri de compétences scientifiques et techniques, base du langage commun de l’expertise partagé avec l’interlocuteur étatique.

Comment se sont constituées, ou reconstituée, ces actions politiques ?

Michel Pigenet : Laissons de côté les prolongements partisans de causes particulières (chasseurs, consommateurs, contribuables, ethnies, etc.), phénomène jusque-là associé à l’expression d’intérêts de classe (« partis ouvriers », CNIP ou UDCA-UFF poujadiste). Depuis trois décennies, le système éducatif et les retraites ont été les principales questions en mesure d’enclencher des mobilisations nationales et de manifestations monstres à l’origine de reculs gouvernementaux. En l’absence d’initiatives significatives au niveau européen, le local est un échelon privilégié de traductions électorales d’identités collectives élémentaires dans un rapport de forces impensable à d’autres échelles. Là comme ailleurs, pourtant, la montée de la non-inscription et de l’abstention intrigue. En comprendre les ressorts implique de considérer cette « dépolitisation » du point de vue des acteurs populaires et des ressources que leur propose ou pas le politique.

Les mouvements sociaux français semblent avoir été avant tout de nature "progressiste" ou "conservatrice", image qui semble entretenir le traditionnel clivage droite/gauche. A-t-on pu constater sur les deux derniers siècles des mouvements échappant à ces deux structures "classiques" de la vie politique française ?

Michel Pigenet : La dimension protestataire des mouvements sociaux ne préjuge pas de leur signification politique. La variété et l’évolution des critères de classement politique invitent à se défier des simplifications. Nombre de mouvements sociaux refusent de s’y laisser enfermer, voire se veulent étrangers aux registres partisans ou se posent en substitut à la politique instituée. C’est flagrant pour le syndicalisme d’action directe du tournant des XIXe et XXe siècles, alternative aux impasses de la subordination politique ouvrières en démocratie libérale. Les mouvements d’anciens combattants aspirent, après la Grande Guerre, à une modalité du politique où la morale s’imposerait en principe premier. A sa manière, le parti « de type nouveau » que prétend être le jeune parti communiste affiche son émancipation des clivages gauche/droite. Que penser encore de la Résistance, « mouvement » aux dires de ses acteurs et que définit l’objectif unique et unitaire de rétablissement de la souveraineté nationale?

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