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Fausse bonne idée : le Pacte pour la Bretagne oublie le bilan calamiteux de l'autonomie déjà accordée aux régions
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Echecs à répétition

Vendredi, Jean-Marc Ayrault a signé le Pacte d'avenir pour la Bretagne, qui rassemble près de 2 milliards d'euros d'aides pour cette région en proie à des restructurations, notamment dans l'agroalimentaire.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault a signé vendredi le Pacte d'avenir pour la Bretagne. Un pacte tourné vers davantage de régionalisation. Quelle réussite peut-on en attendre ?

Jean-Luc Bœuf : Le chiffre de 2 milliards d'euros pour ce "pacte d'avenir pour la Bretagne" fait tout d'abord rêver. La réalité est un peu moins rose. Car au-delà du triptyque du plan lui-même (mesures d'urgence, redéploiement de l'agriculture, soutien à la compétitivité), il s'agit en réalité d'une annonce en trompe l’œil. Tout d'abord, le chiffre de 2 milliards d'euros mélange des aides et des prêts. Ensuite, ce plan recycle pour partie des crédits déjà prévus, notamment du fonds européen de développement régional (FEDER) de l'Union européenne pour près de 20 % de l'enveloppe ou des crédits de l'emploi pour les salariés victimes de plans sociaux. Enfin, il nécessite pour d'autres acteurs publics, dont la Région particulièrement, de rajouter des financements, pas forcément sur leurs compétences. A titre d'illustration, la région Bretagne doit déjà faire face au financement d'une partie de la ligne à grande vitesse (LGV).

Plus largement, quel est le bilan concret de la régionalisation ?

La régionalisation est un concept qui recouvre trois réalités : la façon de conduire une politique économique, la manière pour l'État de concevoir ses interventions dans les territoires et l'organisation des pouvoirs locaux au niveau d'un territoire régional. En France, les trois éléments se sont succédé : tout d'abord, au plus fort de la crise des années 1930, ce sont des économistes et des intellectuels qui réclament un pouvoir régional qui serait exercé par des chefs d'entreprises. Ensuite, à partir des années 1950, l'État souhaite disposer de relais régionaux et décliner le plan national dans les régions. Il crée les préfets de région après qu'Edgar Faure aura porté les régions sur les fonds baptismaux. Cela donnera les très riches heures de la planification "à la française". il n'est pas encore question de pouvoir politique régional. Celui-ci viendra au tournant des années 1980, avec la loi du 2 mars 1982, qui propulse les régions au rang de collectivité territoriale de plein exercice, à l'instar des départements et des communes alors que l'intercommunalité n'en bénéficie toujours pas. Cette régionalisation-là est un échec. Pour des raisons politiques, financières et de positionnement.

- Pour des raisons politiques car les "poids lourds nationaux" ont déserté les conseils régionaux lorsqu'ils ont du se conformer au respect de la législation sur le cumul des mandats. Il arrive même que des conseils régionaux finissent une mandature avec aucun conseiller régional parlementaire. En 1986, année de la première élection au suffrage universel direct des conseillers régionaux, les Olivier Guichard, Gaston Defferre, Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure se portaient candidats. En 2004, quelques noms émergeaient encore tels Ségolène Royal ou Raymond Forni. Mais en 2010, si l'on interroge "l'homme de la rue", il est le plus souvent incapable de citer le nom de son président de région...

- Pour des raisons financières car l'envol tant attendu des régions n'a pas eu lieu : songeons que les budgets cumulés des 26 régions sont inférieurs aux budgets cumulés des intercommunalités en 2013 ! Globalement, les régions pèsent quatre fois moins que les communes et deux fois et demie moins que les départements. Comment un Président de région peut-il peser face à ses "collègues" des départements ou des agglomérations quand son budget est inférieur aux leurs ?

- Pour des raisons de positionnement. Dès les années 1980, les régions sont sollicitées à la fois par le "haut", à travers les contrats de plan État-régions (en ne finançant que des compétences de l'État, rappelons-le !) et par le "bas", en cofinançant les politiques des conseils généraux (routes, aménagements...), des intercommunalités (cf. les fameux panneaux où le conseil régional finance 1 % des opérations de renouvellement urbain) et les villes. Ce qu'il y a de dramatique, c'est que les régions ont ainsi obéré, au profit des autres niveaux de collectivité leurs capacités d'intervention. Sur le terrain, les régions n'y ont gagné aucune reconnaissance des autres collectivités locales, étant souvent assimilées à de simples tiroir-caisses. Et malheur à l'impudent président de conseil régional qui ne cède pas aux exigences de ses "confrères" présidents de conseils régionaux ou maires de grandes villes...

La décentralisation et la régionalisation devaient donner plus de pouvoir aux échelons locaux. Qu'en a-t-il été réellement ? Cela s'est-il fait au détriment de l'homogénéité et de la cohérence des politiques publiques ?

La décentralisation a en effet donné plus de pouvoirs aux échelons locaux dans le cadre défini par la loi. Dit autrement, lorsque l'État confie aux conseils généraux la compétence "allocation personnalisée d'autonomie" (APA), il en fixe des conditions rigoureuses de telle sorte que les conseils généraux ne sont dans ce cas que de simples exécutants de la volonté de l'État. Il y a donc une homogénéité des politiques publiques. Pour les collèges ou les lycées, les collectivités ont plus de latitude à ceci près que, n'étant pas responsables de la politique éducative et de la gestion du corps enseignant, elles pourraient se retrouver avec des bâtiments vides ! D'où la nécessité de travailler avec l'Etat, dans des conditions où les deux interlocuteurs ne détiennent jamais, seuls, les clés des interventions. Mais l'on rencontre de réelles discordances dans les compétences exercées librement dans les territoires par les collectivités en raison de la clause générale de compétence. Cette dernière permet en effet de financer à peu près tout en politiques locales, dans ce qui a trait à l'aménagement du territoire. Et comme à peu près tout se rapporte à l'aménagement du territoire... Il n'y a donc clairement plus d'homogénéité des politiques publiques.

La décentralisation devait permettre à l’État de faire des économies. A-t-elle été réellement avantageuse en termes de coûts ? L'État s'est-il désengagé de ses responsabilités ?

D'un point de vue financier, la décentralisation devait être parfaitement neutre, l'État transférant avec une compétence les moyens financiers et humains pour l'exercer. La réalité est plus nuancée. Car l'État transfère les moyens financiers aux conditions d'exercice de la
compétence "avant". Mais s'il ne réalisait que peu d'actions dans un domaine, eh bien il transférait peu de moyens ! C'est simple et c'est ce qui s'est passé avec les collèges et les lycées où l'état du parc dans les années 1980 évoluait entre le déplorable et le dangereux. Dès
lors, les collectivités ont engagé plus de dépenses d'investissement. Pour les personnels transférés, il convient d'être clair : l'État ne transfère pas, ou peu, ses cadres. En conséquence, les collectivités, après s'être vu  transférer les agents d'exécution, ont recruté des cadres. D'où des doublons entre, d'un côté des cadres sans troupes (l’État, qui s'apparente à une armée mexicaine) et de l'autre, des collectivités qui embauchent de nombreux cadres, clairement méprisés par l'État, d'ailleurs. La meilleure illustration du désengagement financier de l'État est que, en 2013, l'État investit en dépenses civiles quatre fois moins qu'en 1982.

Sur fond de fronde fiscale, on assiste aujourd'hui à la montée de revendication régionalistes à travers notamment le mouvement des Bonnets rouges. Faut-il craindre le démantèlement de l'État-nation tel qu'il avait été pensé à la Révolution ?

L’État-nationtel qu'il a été mis en œuvre à la Révolution Française est en quelque sorte le résultat du millénaire capétien. Ce à quoi Louis XIV s'est heurté - à savoir les décisions des Parlements dans les provinces - la Révolution et Napoléon y réussissent en mettant véritablement au pas les provinces, c'est-à-dire en les supprimant purement et simplement. Dans ces conditions, il ne peut être question pour les constitutionnalistes de 1789-1791 de maintenir la province en tant qu'échelon local de pouvoir. Il est une phrase qui résume à elle seule cette volonté : "80 petits roquets plutôt que quinze gros chiens loups". On aura bien sûr reconnu les départements dans les roquets et les régions-provinces dans les chiens loups ! Toute l'histoire administrative française des 250 dernières années est contenue dans ce paradoxe : l'État a une peur permanente du pouvoir provincial et construit patiemment un système à sa main autour du département où, de 1800 à 1982, le préfet est à la fois le représentant de l'État et le chef de l'exécutif départemental. On risque donc aujourd'hui un démantèlement de l'État-nation en ce sens que l'État n'est plus en capacité d'intervenir, puisqu'il a transféré ses compétences de terrain. Il a donc perdu la main financièrement, puisque confronté aux questions de déficit public à résorber. Mais surtout l’État ne montre pas clairement la voie en matière de décentralisation, notamment pour ce qui est des régions.

Dans ces conditions, les régions se retrouvent piégées. La gauche détenant la quasi-totalité des régions, il lui est difficile d'entrer en fronde ouverte contre l'État. Mais qu'ont obtenu les régions depuis 2012 ? Le texte d'ensemble sur la décentralisation est désormais scindé en plusieurs parties, les métropoles ayant été clairement privilégiées. Les régions sont en opposition larvée contre des dispositions qui pourraient même leur faire abandonner des compétences auxdites métropoles, comme dans le domaine de l'économie. Et comme le gouvernement ne veut bien évidemment pas redonner un quelconque pouvoir fiscal aux régions, il reste les réunions "au sommet", alternativement à l'Elysée, à Matignon et à Bercy où, en dix-huit mois, les régions n'ont jamais été autant reçues, sans rien obtenir naturellement !  De là à dire, comme Clemenceau, que la décentralisation est une vieille chimère bonne pour l'opposition...

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