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Comment le GIGN décide-t-il de tuer un preneur d'otages ?
©Reuters

Bonnes feuilles

A l'occasion du 40e anniversaire du GIGN, Roland Môntins revient sur son expérience au sein de l'institution. Il raconte les coulisses de l'organisation, formée au départ par un simple gendarme afin de donner à la France une unité capable de maîtriser les prises d'otages. Extrait de "GIGN, 40 ans d'actions extraordinaires" (1/2).

Roland Môntins

Roland Môntins

Roland Môntins, médaillé de la Légion d'honneur, a participé à plus de deux cents interventions du GIGN (Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale), dont la célèbre opération de Marignane.

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Prouteau l’a souvent dit : « Tuer est une décision lourde à prendre. » Une partie de l’opinion publique estime qu’il faut abattre des individus parce qu’ils se sont mis hors la loi par des actes odieux. Les hommes du GIGN sont confrontés à une violence humaine qu’il faut maîtriser. Ils savent comment la mort est sale. Ils ont vu les membres perforés ou déchiquetés et les têtes éclatées sous l’impact des balles. Ils ne se glorifient pas d’avoir tué un être humain, même si celui-ci est la pire des crapules. Tuer pour tuer ne les intéresse pas.

Dans l’esprit du capitaine Prouteau, répétons-le, le terme « neutraliser » est le seul verbe qu’il emploie lorsqu’il doit engager en dernier recours les armes du GIGN. Chaque fois que des individus s’enferment dans une logique destructrice qui menace la vie d’autrui, il agit avec les moyens appropriés pour libérer des otages en danger de mort et qui, les premiers, ont le droit de vivre. Les enfants de Djibouti incarnaient l’innocence absolue, Prouteau n’a pas hésité à tuer les terroristes pour les libérer. Il n’avait pas d’autre choix.

La négociation reste la meilleure des solutions, certes, mais elle n’entraîne pas toujours la reddition des preneurs d’otages.

Voici un cas où il a été très difficile d’ouvrir le feu sur le forcené.

Le 30 juillet 1978 à Brionne (Eure), dans un petit immeuble, un dénommé Millon menace ses trois enfants avec un fusil de chasse chargé de balles de chevrotine. Son épouse est partie du domicile conjugal et, si celle-ci ne revient pas, il promet de tuer ses enfants. Le scénario rappelle étrangement celui de Cestas.

Le forcené, très alcoolisé, tire sur tout ce qui bouge, et le GIGN arrive. Le maire de la ville informe le capitaine Prouteau et le lieutenant Barril que Millon est capable d’assassiner ses propres enfants. Il a été condamné à plusieurs reprises. Il est connu pour son extrême violence. Prouteau place rapidement des tireurs d’élite dans des appartements face à celui de Millon. Ils ont une vue imprenable sur le dément et peuvent intervenir à n’importe quel moment. Fidèle à ses principes, Prouteau cherche à négocier. Barril enfile la tenue d’un gendarme départemental et s’approche sans arme comme l’a demandé le forcené. Il se présente sur le palier. Millon ouvre la porte et reste à trois mètres.

À cette distance, le lieutenant ne peut rien tenter. L’individu est très nerveux. Il a les doigts posés sur les deux détentes de son fusil. Barril essaie de le calmer et lui propose une reddition. Mais le forcené refuse et le lieutenant repart. Pendant plus de trois heures, la situation est bloquée. Les hommes de Prouteau ont placé un nouveau système d’écoute. Les propos de Millon adressés aux enfants n’ont rien de rassurant. Il se présente à la fenêtre de son appartement et tire à plusieurs reprises. Personne n’est blessé. Les tireurs d’élite auraient pu facilement le neutraliser, mais Prouteau pense aux enfants. Il ne veut pas que leur père soit touché devant eux, cela risque de les traumatiser. Mais si l’homme s’en prend à eux, il faudra bien intervenir.

Barril tente une ultime négociation avant que ne soit employée la manière forte. Prouteau hésite à envoyer son adjoint, mais sur l’insistance de ce dernier, il le laisse faire. Le lieutenant retourne sur le palier. Le forcené, armé, est méfiant, très nerveux, mais il écoute ce que Barril lui dit : « Laisse-moi entrer, j’ai de bonnes nouvelles pour toi. — Quelles nouvelles ? — Ta femme... Je l’ai eue au téléphone... — Qu’est-ce qu’elle a dit ? — Elle veut que tu te calmes et elle voudrait que “mazelemenat”... »

Barril a volontairement utilisé un mot qui ne veut rien dire et l’a prononcé à voix très basse. Millon s’avance vers lui.

« Hein ? Qu’est-ce que tu as dit ? Je n’ai rien compris ! »

Le canon du fusil est collé contre le ventre du lieutenant. À la caserne, avec ses hommes, il s’est souvent entraîné à ce type de scénario en utilisant des balles à blanc. Le seul moment où l’on peut désarmer à mains nues un individu, c’est lorsqu’on est en contact avec le canon de son arme. Mais aujourd’hui, ce sont de vraies balles et on n’est pas à l’entraînement. Il lui faut un sacré courage pour se présenter devant un fou prêt à tirer. Mais en ces instants très particuliers, on ne pense pas aux risques encourus. On est dans le feu de l’action, c’est le cas de le dire.

Les balles de chevrotine tuent le gros gibier. À cette distance, la mort est assurée. Le lieutenant dit à voix basse au forcené qu’il veut un café : une façon de le déstabiliser. Millon tend l’oreille pour mieux entendre. Soudain, rapide comme l’éclair, Barril écarte avec sa main gauche le canon du fusil en criant « zéro ». C’est le signal pour l’équipe d’assaut qui attend sur le palier en dessous. Un trinôme arrive rapidement et saute sur le forcené. Le lieutenant parvient à lui arracher l’arme des mains. Ils sont trois à maîtriser celui qui se débat avec une énergie décuplée.

Barril sourit en descendant l’escalier. Il a réussi à dénouer sans violence la dangereuse prise d’otages. Prouteau et ses hommes le félicitent. Pour arriver à une telle maîtrise individuelle, la force et le courage ne sont pas suffisants. Le lieutenant Paul Barril était sûr de lui, sûr de la technique qu’il avait acquise grâce à un travail acharné. Un travail de tous les jours. Un travail en équipe. Car il n’était pas seul dans cette opération, même si le geste final lui appartient. C’est le GIGN dans son ensemble qui a libéré les trois enfants. Ce jour-là, les tireurs n’ont pas été nécessaires, Prouteau en a décidé ainsi. Et contrairement à ce qui s’était passé à Cestas en 1969, il n’y a eu aucun mort à Brionne.

Extrait de "GIGN, 40 ans d'actions extraordinaires", Roland Môntins (Editions Pygmalion), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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