Et maintenant la fronde des professions libérales… Le système de protection sociale résisterait-il à la rébellion de tous ceux qui cotisent plus qu'ils ne perçoivent de prestations ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les professions libérales ont lancé lundi une nouvelle fronde contre le gouvernement.
Les professions libérales ont lancé lundi une nouvelle fronde contre le gouvernement.
©Reuters

Les inégalités ne sont pas où on croit

Après les commerçants, les auto-entrepreneurs, les "Bonnets rouges"… c'est au tour des professions libérales de lancer, depuis lundi, leur mouvement de contestation. Elles protestent notamment contre la pression fiscale dont elles font l'objet et contre le manque de considération à leur égard du gouvernement.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Les professions libérales ont lancé lundi leur mouvement de contestation. Y a-t-il d'autres catégories professionnelles qui pourraient rejoindre cette contestation ? Lesquelles et pourquoi ? 

Jean-Yves Archer :La colère fiscale est véritablement répandue et on peut toujours imaginer des points de coagulation sur ce thème à valeur trans-sectorielle. En même temps que chaque catégorie veut défendre son pré carré et ses acquis – avec ou sans violence –, chacun de ses membres n'oublie toutefois pas les grandes équations de la dette et l'impasse budgétaire de 82,2 milliards ( déficit inscrit au PLF 2014 ) et se contraint à une certaine modération issue de la lucidité que nous devons à notre Nation.

Par-delà la contestation des artisans du bâtiment et de la tonique CAPEB, il est clair que l'UPA ( Union professionnelle des artisans ) pourrait muscler sa protestation et drainer ainsi certains petits patrons relevant de la CGPME. Vers mars 2014, quand les comptes annuels 2013 des entreprises seront connus, il est possible que la pression fiscale, alors clairement visible, soit à nouveau l'occasion de mouvements dignes de révoltes dites poujadistes ou du Cid-Unati de Gérard Nicoud ( 1969 ). C'est-à-dire des soulèvements inopinés et non maîtrisables par les organisations représentatives habituelles.

Concrètement, quelles actions pourraient-elles mener ? Pouvez-vous donner des exemples ? 

 Les professions libérales sont, nous l'avons vu plus haut, au cœur de bien des secteurs sensibles. Des grèves perlées, des cessations ponctuelles de prestations, pourraient vite désorganiser deux pôles fondamentaux que sont la santé et la Justice.

Par ailleurs, la congestion des conurbations urbaines montre l'impact fort qu'a la moindre opération escargot ou autre. Plus périlleuses seraient des actions comme celle récente des vétérinaires ( la première grève en 40 ans ) qui s'opposaient à un volet du projet de loi d'avenir agricole qui limitait la possibilité de vendre certains antibiotiques. Le SNVEL (Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral) a d'autant plus protesté qu'une mission gouvernementale d'avril 2013 avait conclu à l'opposé du projet de loi. Suite à l'action de l'ancien ministre PS François Patriat (sénateur de Côte d'Or et Président de la Région Bourgogne), la disposition a été retirée. Mais la manifestation du 6 novembre a été maintenue et a constitué un succès pour la profession.

Ont-elles les moyens de paralyser le pays ? Ou au moins une frange de l'économie ? 

Le ministère de l'Intérieur et ses représentants dans les départements, les membres du corps préfectoral, savent qu'il est plus aisé en 2013 de paralyser tel ou tel système de communication (accès à un aéroport, blocages routiers, paralysie d'une partie du trafic ferroviaire, etc.) par rapport à vingt ans plus tôt du fait du nombre croissant des déplacements ( travail, aller-retour domicile travail, loisirs) et de l'organisation économique ( flux tendus, logique d'assemblage et de "sourcing" multi-sites ).

Dès lors, tout est concevable y compris le déclenchement d'une pagaille collective.

Au stade d'exaspération de nombre de citoyens et au rythme des plans sociaux (comme la récente annonce de EADS Défense de plus de 1100 postes supprimés en France ) qui vont verser légitimement les travailleurs concernés vers la peur du déclassement social, il serait plus que présomptueux de négliger les craquements et fissures qui parcourent notre corps social soumis à l'intensité et la durée de la crise.

Suivant le rapport taux d'imposition / protection sociale, les professions libérales peuvent-elles être considérées comme les vraies victimes d'inégalités ?

Aucun observateur, quelque soit sa tendance partisane, ne peut nier que la France gronde tel le tonnerre d'été depuis l'automne. Comme vous le rappelez de forts mouvements sociaux ont été enregistrés et sont, pour l'instant, restés disjoints. Le chauffeur routier et l'écotaxe n'a pas convergé avec les artisans du bâtiment et leur opération emblématique sur le viaduc de Millau.

A ce stade – pour qui veut aborder la question des professionnels libéraux –, il est essentiel de rappeler que la population active est désormais composée de plus de 90% de salariés et d'éviter une lecture hâtive et donc une erreur fréquente. Bien des analyses se fondent en effet sur l'évolution pluri-décennale : les salariés représentaient 63% des actifs en 1956, 85% en 1991 et 90,2% en 2012.

La lecture hâtive incite donc à conclure que les indépendants et les professions libérales seront bientôt une "sorte de réserve d'Indiens" comme l'avait dit péremptoirement un député. Or, à examiner la situation de plus près, il ressort cinq chiffres-clefs. La population active non salariée se situait à 2,988 millions de personnes en 1990, 2,265 en 2000 puis 2,467 en 2010, 2,530 en 2011 et 2,560 en 2012. Autrement dit, nous sommes arrivés à une butée du salariat et la crise économique contraint nombre de personnes à créer leur propre emploi. Cette inversion de tendance n'est pas négligeable puisqu'elle concerne plus de 300 000 personnes sur la dernière décennie. Ainsi, les indépendants et les professions libérales – loin d'être destinés à la portion congrue – font partie des forces vives de la Nation. Clairement.

C'est ce que la dynamique montre mais c'est aussi ce que l'analyse qualitative démontre : quel pays occidental pourrait faire l'impasse sur les avocats, sur les médecins de ville, sur les autres professionnels de santé ? En fait, les professions libérales se trouvent exactement aux endroits où la demande va croissante : tendance à la judiciarisation de la société, développement de l'offre de soins notamment liée au vieillissement.

Si la quantité peut sembler limitée à certains membres de l'exécutif, il n'empêche que les indépendants et professions libérales représentent un appui tangible au phénomène de croissance économique. Loin d'être des membres de corps "has been", ils représentent, à l'inverse, le fer de lance de bien des activités. En effet, il est essentiel de retenir que l'un des sujets actuels de protestation concerne le changement de calcul des retraites complémentaires du RSI : Régime social des indépendants. Celui-ci regroupe les artisans, les commerçants, les professionnels libéraux mais aussi une large part des dirigeants de sociétés qui relèvent de la gérance majoritaire de SARL, d'associés de sociétés en nom collectif, etc.

Ainsi, le jeune entrepreneur qui décide de créer sa start-up sous le régime de la SARL et qui est majoritaire relève du même régime social que le charcutier-traiteur installé de longue date ou que l'infirmière libérale qui vient de s'installer.

Dans ce contexte de meilleure appréhension de la réalité des indépendants, il est clair que la cotisation des artisans et commerçants (pour la retraite complémentaire) qui est désormais fixée à un taux identique de 7% sur les revenus inférieurs à un plafond équivalent au plafond annuel de la Sécurité sociale ( 37 032 euros ) et à 8% pour les revenus compris entre un et quatre plafonds annuels a représenté un alourdissement des cotisations que certains professionnels contestent vivement.

Parallèlement, depuis la réforme des retraites du gouvernement Ayrault, il y a un fort malentendu qui concerne la gouvernance des caisses de retraites où l'État a renforcé considérablement son poids au point d'inquiéter les élus des caisses complémentaires qui sont dotées de plus de 21 milliards d'euros de réserves....

Enfin, il est clair que l'imposition sur les revenus a été – comme pour le reste de la population – modifiée à la hausse sauf que les bases de calcul des BNC (bénéfices non commerciaux) ont ici et là été modifiés, par exemple le moindre remboursement des frais kilométriques qui a pénalisé la plupart des professions libérales : le vétérinaire qui se rend dans une exploitation, l'infirmière qui vient à domicile, l'avocat qui se rend à la Cour d'appel du ressort, etc.

Circonstance pénalisante, la libre possibilité que vont avoir les collectivités locales de fixer la CFE (contribution foncière des entreprises) jusqu'à 40% plus chère pour les professions libérales. Cette progressivité dérogatoire est un vrai motif de protestation des intéressés qui objectent que l'impôt sur le revenu est déjà progressif. Autant de motifs d'éclatement de la confiance alors que 2012 avait vu, électoralement, un déplacement de certaines professions indépendantes vers le candidat Hollande.

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